Massacres du 28 septembre 2009 et politique guinéenne : Mamadou Bah Baadiko de l’UFD se prononce…

Mamadou Bah Baadiko

CONAKRY- Quels sont les auteurs et commanditaires des massacres du 28 Septembre 2009 en Guinée? Après la récente sortie médiatique du Général Sékouba Konaté, ancien président de la transition guinéenne, le président de l’Union des Forces Démocratiques s’est posé un certain nombre de questions. Dans cette interview exclusive accordée à notre rédaction, Mamadou Bah Baadiko s’est également prononcée sur la situation sociopolitique de son pays qui est marquée par une “crise“ née du manque de dialogue entre le pouvoir du président Alpha Condé et son opposition. Exclusif !!!

 

-AFRICAGUINEE.COM: Bonjour M. Bah!

-MAMADOU BAH BAADIKO: Bonjour M. Souaré !

-Comment se porte aujourd’hui l’opposition extraparlementaire ?

Nous avons, au sortir des élections législatives, un certain nombre de partis qui ne sont pas au Parlement, pour toutes sortes de raisons. Certains, c’était parce qu’ils n’ont pas participé aux élections ; d’autres parce qu’ils n’ont pas eu des députés leur permettant d’entrer dans cette Assemblée ; nous avons senti la nécessité de tirer toutes les leçons de la situation politique actuelle. Nous avons été tous d’accord sur le fait que le système politique guinéen repose désormais sur le bipolarisme politico-ethnique. Ce qui ne peut pas résoudre les problèmes de la Guinée. C’est cela le postulat qui a amené à la constitution de la Coordination de l’opposition extraparlementaire (COEP). Nous avons voulu, au-delà des élections ou autres, qu’on réfléchisse réellement sur l’avenir de la Guinée, à travers des nouvelles institutions permettant de sortir de la dangereuse impasse politique actuelle. Vous avez vu toute la cassure qu’il y a eue et dans laquelle le pays est en train de vivre. Certains disent aujourd’hui qu’on est revenu au point de départ. Nous, nous disons qu’on n’est pas revenu au point de départ, nous sommes bien plus bas qu’avant les législatives. La situation est bien plus dramatique au plan politique, institutionnel, économique et social. Nous avons dit qu’il faut réfléchir pour tracer de nouvelles voies, faire de nouvelles propositions pour sortir définitivement la Guinée de cette crise politique qui dure de si longtemps. Nous faisons donc de la COEP (Coordination de l’opposition extraparlementaire) un organe de lutte contre le pouvoir actuel et un nouveau départ pour la Guinée. Nous réaffirmons notre appartenance à l’opposition et notre opposition à ce système de RPG arc-en-ciel. En réalité, dans l’ensemble nous sommes dans un système de bipolarisation ethnique, où tout est fait par des combinaisons ethnicistes qui ne peuvent pas permettre la résolution des problèmes guinéens. Nous sommes convaincus que seule une Conférence nationale  – Vérité, Justice et Réconciliation peut permettre à la Guinée de connaître un nouveau départ, un vrai départ vers une société harmonieuse, laborieuse marchant vers le progrès. Plus de 30 ans après chute de la dictature du Parti-Etat du PDG(Parti Démocratique de Guinée, ancien parti au pouvoir ), cette assise est devenue incontournable pour sortir de ces espoirs déçus et de ces faux-départs. Il nous faut un véritable consensus national pour prévenir la perpétuation du système criminel, prédateur et rétrograde qui a prévalu depuis l’indépendance. Ce ne sont pas seulement les acteurs qu’il faut changer mais surtout les institutions et les mentalités.

Sur le plan économique la catastrophe est totale. La Guinée est devenue un cimetière économique, un repoussoir pour les investisseurs sérieux. Regardez la casse d’entreprises qu’il y a eue, les pertes massives d’emploi depuis 2011. C’est sans scrupule qu’on affirme qu’il y a des taux de croissance de je ne sais de combien de pour cent. Alors qu’on a fermé des usines, on a fermé des mines. Il n’y a pratiquement pas d’activité, les entreprises sérieuses se retirent, la misère explose. La Guinée n’est pas seulement un cimetière économique, c’est un cimetière tout court. Avec l’éruption de maladies aussi terrifiantes qu’Ebola, qui n’est que la conséquence de la désintégration totale, de la putréfaction du milieu de vie des larges couches des populations guinéennes. Tout cela s’est passé après les législatives, alors qu’avant il y avait un minimum de choses qui bougeaient.

Aujourd’hui, le problème de la Guinée n’est pas d’avoir de nouvelles lois, c’est plutôt l’application de celles qui existent. Il y a comme un consensus dans ce système de bipolarisme politico-ethnique pour s’autoriser à violer la loi, quand cela les arrange les acteurs politiques. Quel est le problème que l’Assemblée a pu résoudre depuis qu’elle est là ? Aucun ! Nous restons donc une opposition extraparlementaire, une force de contestation du système établi et une force de proposition pour sortir la Guinée de cette situation dramatique.

Opposition extraparlementaire et opposition parlementaire. Rapport de forces ou complémentarité ?

Ils sont de l’opposition au Parlement. Nous sommes de l’opposition à l’extérieur du Parlement. Il faut bien que nous voyions comment établir la synergie entre les deux forces, pour ensemble lutter pour le changement véritable. Le problème n’est pas un changement d’équipe, ou d’hommes, mais un changement du système politique reposant sur l’ethnicisme et la prédation du bien public. Nous l’avons dit depuis au temps de Conté que nous ne voulons pas un « Gouvernement de remplacement national », mais un gouvernement qui change totalement la façon de faire à travers des institutions solides et crédibles qui acceptent d’être contrôlées.

Parlant de l’application des lois, l’opposition parlementaire n’est pas contente. Elle estime qu’on a foulé aux pieds les accords de 3 juillet 2013…

Si les accords du 3 juillet étaient appliqués, on aurait eu les élections communales et communautaires. Mais celles-ci se seraient déroulées comme les législatives, c’est-à-dire avec des fraudes massives. Nous, l’UFD, avons été victimes de ces fraudes. Au Parlement, il est arrivé des gens qui, de façon évidente et indiscutable avaient moins d’assise populaire que nous. Ils n’avaient certainement pas eu en réalité plus de voix que nous. Mais ce sont eux qui ont été cooptés par le pouvoir qui a massivement truqué les élections. Continuer des élections dans les mêmes conditions, donnerait les mêmes résultats. Cela me rappelle les problèmes de la Centrafrique où on crie : « Oui, les élections en Centrafrique ! Il faut les élections ». Alors que les seules élections ne peuvent pas changer nos problèmes. Il faut qu’on s’asseye pour discuter et remettre en cause le système qui prévaut.

Nous sommes à la fin du deuxième trimestre 2014, les communales et communautaires n’ont pas eu lieu. Les présidentielles de 2015 approchent, on n’a toujours pas choisi l’opérateur pour réviser le fichier électoral. Certains pensent à une volonté du pouvoir de trainer pour coupler les deux. Votre avis?

De ce côté, je pense qu’il n’y a pas à être surpris. Ce sont les mêmes qui ont bloqué les élections au deuxième tour en 2010, qui ont trainé plus de deux ans et demi pour organiser les législatives, jusqu’au moment où ils ont fini de mettre en place le système de fraudes. Il n’y a aucune raison qu’ils agissent différemment. Ils vont organiser les élections, lorsque toutes les conditions de fraudes seront réunies pour se fabriquer des fausses majorités. C’est pourquoi nous disons que le problème de la Guinée n’est pas uniquement des élections. Il faut arriver à se pencher ensemble sur le système institutionnel qui nous gouverne avec une population qui est écrasée, une jeunesse totalement sacrifiée.

Après les législatives qui n’ont pas été bonnes, est-ce que l’Union des forces démocratiques compte participer aux hypothétiques présidentielles de 2015 ?

Je dois rappeler ou informer ceux qui ne savent pas, en 1992 lorsque l’UFD été agréée, nous avions dit que nous n’allions participer à aucune élection en Guinée, tant qu’il n’y aurait pas une conférence nationale « vérité, justice et réconciliation ». Qu’on mette à plat tous les problèmes du pays, qu’on pose les vraies bases d’un nouveau départ pour la Guinée, avec une population réconciliée, où on s’est expliqué sur toutes les dérives économiques et crimes humains qui ont jalonné l’histoire de notre pays auront été mis à plat. Et qu’on arrive à nous entendre et avoir un consensus national qui, à notre avis, est le seul qui peut permettre la reconstruction de ce pays. Nous n’avons pas été suivis, puisque la conférence nationale, personne n’en voulait. Nous sommes revenus sur ce refus de participer aux élections. Pour l’instant nous réservons notre réponse, parce que ce qui s’est passé aux législatives qui n’ont été ni libres, ni honnêtes ni transparentes, mérite qu’on se pose des questions avant de jeter ses maigres forces dans une nouvelle bataille où les dés sont pipés.

L’échec aux législatives a certainement amené l’UFD à se poser des questions, surtout sur le système électoral. Qu’avez-vous trouvé ?

Si nous avions eu les résultats détaillés des douze mille bureaux de vote en deux (Uninominale et proportionnelle), on aurait pu au moins savoir exactement dans quel cas les gens qui avaient promis de voter pour nous, ont tenu leur promesse. On n’arrive pas à avoir ces données. Sur les 24 000 bureaux de vote attendus, la CENI a affiché 40. Si la CENI n’avait rien à se reprocher, elle aurait tout publié pour que les gens sachent ce qu’ils ont eu. Nous avons fait nos propres enquêtes là-dessus, nous disons qu’on a triché au détriment de l’UFD. On ne peut pas dire qui a triché, parce qu’on est dans un bipolarisme politique et on ne sait jamais d’où viennent les coups. C’est normal que personne dans ce système ne nous fasse de cadeau. La conséquence est que nous n’avons pas eu des voix nous permettant de nous représenter à l’Assemblée nationale.

Mais encore une fois, nous ne regrettons même pas de ne pas siéger dans une Assemblée comme celle-là, qui est moins qu’une chambre d’enregistrement. Qui n’a avancé en rien, qui n’a permis de résoudre aucun des problèmes qui tenaillent le pays. Et qui aujourd’hui est tournée en ridicule par le pouvoir. Si nous étions à la chambre des députés, on aurait dénoncé tout cela, mais la population nous aurait certainement demandé des comptes. Et face à cette interpellation, on serait bien en mal de leur montrer les résultats, puisque c’est une Assemblée totalement inutile.

L’UFR de Sidya Touré a été refoulé récemment du Palais du peuple pour la tenue de son Conseil national. Votre réaction?

Pour la petite histoire, l’UFD à l’époque de Lansana Conté, a été le premier parti à être victime de ces pratiques. On avait loué la salle, au moment venu on a trouvé les portes scellées. Le pouvoir a violé les engagements de l’administration du Palais du peuple, puisqu’il est sur une pente dictatoriale. Il se dit qu’il faut étouffer l’opposition. A Kindia, il y a une radio communautaire,très appréciée de toutes les populations, Sabou FM qu’on a étranglée économiquement, après avoir mis en taule et intimidé son animateur. Le pouvoir actuel est dans une logique dictatoriale de Parti-Etat. Je dis qu’avec toutes les pratiques du pourvoir actuel, si la Cour pénale internationale n’existait pas Dieu seul sait qu’est-ce qu’on n’aurait pas vu dans ce pays, en termes de crimes politiques et autres violations des droits humains. La logique qui a prévalu dans les régimes précédents, c’est encore elle qui est-là. On a empêché l’UFR de tenir son Conseil national, nous étions venus comme tous les invités, mais nous ne pouvions que déplorer cette violation flagrante des libertés démocratiques, malgré toutes les proclamations. En Guinée actuellement le président a un pouvoir absolu, aucune institution ne peut prétendre avoir le moindre contre-pouvoir, la moindre indépendance par rapport au leader solitaire qu’est le président de la République. C’est ce qui a hypothéqué l’avenir de la Guinée depuis la première République. Je ne parle même pas de l’absence de toute possibilité pour l’opposition d’accès aux médias d’Etat. C’est une logique qui perdure et qui ne peut faire que le malheur de la Guinée. Le régime s’est mis dans un système où il est lui-même paralysé. Ça ne tient pas seulement à son incapacité, mais au fait que dans un pays aussi ravagé que la Guinée, on ne peut pas le rebâtir sans un minimum de consensus. C’est pourquoi nous réclamons plus que jamais une conférence nationale « vérité, justice, réconciliation ».

L’opposition a suspendu sa participation aux activités de l’Assemblée nationale. Certains estiment qu’on retourne à la case départ…

Lorsque le pouvoir refuse tout dialogue avec l’opposition, il n’y a aucun cadre de dialogue, on vous dit qu’il y a l’Assemblée nationale, on peut se voir là-bas, sachant qu’en réalité on ne peut pas avancer, on ne réglera aucun problème. La CENI par exemple, l’Union Européenne lui a offert son assistance pour préparer l’appel d’offres pour le nouvel opérateur. La CENI sous pression a cédé en disant non, on n’en a pas besoin. Comme nous l’avons dit il n’y a pas de cadre de dialogue, l’Assemblée n’est qu’une pourvoyeuse d’emplois juteux pour des gens qui en ont bien besoin.

Si nos amis de l’opposition ont pris cette décision, nous prenons acte. C’est très courageux de leur part, puisque de toute façon cette Assemblée ne produira rien de concret dans les conditions actuelles.

Pourtant dans les pays voisins, ce sont les pouvoirs qui tendent la main à l’opposition…

Nous sommes dans un système totalitaire, un système de pouvoir absolu, de leader solitaire, qui contrôle tous les rouages. Un pouvoir sans partage qui ne tient compte de l’avis de personne. Il fait ce qu’il veut et n’a de comptes à rendre à personne. Il passe le temps à violer la constitution comme la déclaration des biens des responsables gouvernementaux et des institutions et le non-respect des échéances électorales. Il peut violer les textes sur la Cour constitutionnelle, sans que rien ne se passe.

Des violents affrontements ont eu lieu au Foutah. A Mamou et à Kankalabé dans Dalaba. Quelle lecture faites-vous de ces évènements?

Il faut dire que l’objectif du RPG arc-en-ciel, document à l’appui, est de déstabiliser la Moyenne-Guinée, en pratiquant l’opposition communautariste. C’est écrit, on a eu les documents avant les élections législatives, toute leur stratégie est d’attiser les haines intercommunautaires pour déstabiliser la région. Ça fait partie de la stratégie politico ethnique du RPG arc-en-ciel. Mais quelqu’un a dit un jour qu’il n’y a pas plus sot, plus idiot que celui qui soulève une pierre pour se la laisser tomber sur les pieds. Aujourd’hui, cette politique de division et de violences politico-ethniques est train de leur exploser à la face, dans leur propre fief. Il ne peut pas y avoir deux poids deux mesures. On ne peut pas appliquer la politique de division communautariste et de violence au Foutah et appliquer une politique d’union et d’unité et de respect des lois ailleurs. C’est ce qui est en train de se passer à Siguiri et ça ne peut pas s’arrêter. Nous avons vu ces jours-ci, des images insoutenables de gens qui infligeant des traitements inhumains et dégradants à d’autres citoyens, sans aucune réaction des autorités. Ce scénario sanglant a été inauguré par le RPG en octobre 2010. C’est cette culture et ces pratiques qui sont entrain de disqualifier le pouvoir du RPG Arc en Ciel en tant que force neutre et impartiale, vouée à l’intérêt général. L’impunité est de règle. Nous voulons dire à la population que, quels que soient les problèmes, les legs historiques, elles doivent régler tous les différents qui se posent à elles, la main dans la main. Nos militants sont invités à tout faire, pour empêcher à tout prix que ces différends, ne dégénèrent en affrontements, malgré la politique d’Etat en place qui est d’attiser ces haines et ces violences pour consolider son pouvoir. C’est la même politique qui a prévalu en Forêt, qui a provoqué des centaines, voire des milliers de morts et des atrocités de toutes sortes à N’Zérékoré, Galapay Lola, Beyla, Zogota et ailleurs dans la Forêt. C’est une politique criminelle qui doit s’arrêter, parce qu’elle n’a aucun fondement autre que la manipulation politicienne.

A propos justement de violences et de crimes contre l’humanité, on a vu le Général Sékoba KONATE, Président de la transition, révéler qu’il a déposé une liste de noms d’acteurs des violences de 2009 auprès de la Cour Pénale Internationale. Qu’en pensez-vous ?

Nous sommes très heureux qu’après plus de trois ans et demi de silence, le Général Konaté recouvre enfin ses facultés et sa mémoire pour faire des révélations. On verra bien la finalité de cet acte mais c’est une bonne chose qu’il se mette à table car il porte personnellement la lourde responsabilité sur la fin bâclée de la transition qui a enfanté ce pouvoir dictatorial, corrompu et ethniciste qui gère la Guinée aujourd’hui. Il aura certainement beaucoup de choses à nous dire sur les manipulations de résultats du premier tour des élections présidentielles du 27 juin 2010, sur les le retard du scrutin et les fraudes massives qui ont émaillé le deuxième tour. Il est presque du domaine public de dire que beaucoup d’argent avait circulé à cette époque et qu’il y aurait même en suspens des impayés et des promesses non réalisées… Au chapitre des violations graves des droits humains et des crimes économiques, le Général Konaté aura certainement beaucoup à nous dire sur certains épisodes :

1. Comment se fait-il qu’il était en « mission » hors de Conakry le 27 septembre 2009, c'est-à-dire juste avant les événements au Stade du 28 septembre, alors qu’il était ministre de la Défense ?  

2. Comment se fait-il qu’il était encore « ailleurs », comme par hasard, lorsque le Capitaine Tumba a tenté d’assassiner Moussa Dadis CAMARA le 3 décembre 2009?

3. Pourquoi a-t-il laissé les troupes qu’il commandait rester l’arme au pied, sans intervenir en octobre 2010 à Siguiri et Kouroussa, pendant que des nervis du RPG brûlaient, massacraient et faisaient la chasse à des milliers de migrants censés être tous des militants de l’opposition ? Nous savons qu’il était informé minute après minute de ce qui se passait. Mais il n’a rien fait pour dérégler le scénario sanglant concocté à Conakry.

4. De 2009 à 2010, sous la transition du CNDD, la monnaie guinéenne a perdu plus de la moitié de sa valeur, à cause de la gabegie, des détournements massifs et à ciel ouvert via les marchés de gré à gré. On a parlé de plus de 9000 milliards de Francs Guinéens imprimés, détournés ou dépensés le plus souvent en pure perte. Aujourd’hui, c’est le pauvre peuple de Guinée qui paie cette perte sèche de son pouvoir d’achat. Le Général Konaté qui était au centre de ce système de prédation massive du bien public devrait s’expliquer. C’est une affaire d’honneur. 

La Guinée vient de signer le cadre d’investissement avec Rio Tinto. On parle de plus de vingt milliards de dollars…

Avant de dire que Rio Tinto va venir et mobiliser des milliards, il faut d’abord  rappeler qu’ils ont gelé leurs opérations en Guinée et mis tout le monde dehors. En cela ils ont suivi les autres miniers comme BHP Billiton, comme VALE, RUSSAL à Fria. La Guinée baigne dans un système hostile à l’investissement, c’est un Etat qui ne favorise pas le progrès économique et social. La corruption endémique, le manque d’infrastructures, la machine administrative destructrice, ne favorisent pas l’éclosion d’entreprises qui puissent prospérer. Sous le règne du RPG Arc en Ciel, tout marche selon la préférence politico-communautaire, les investisseurs n’ayant même pas les mains libres pour embaucher les candidats de leur choix, selon les critères universels de capacité et de probité. C’est très bien de signer des accords, mais en réalité il faut dire que Rio Tinto n’aura pas rempli ses obligations de sortir du fer de Simandou en 2015. C’est tout à fait normal que ces braves gens qui sont bien plus organisés que nous, fassent tout ce qu’il faut pour sécuriser leurs concessions. On clame qu’il y aura vingt milliards de dollars d’investissement dans un univers hostile. Nous ne pensons pas que cet accord va changer quoi que ce soit. Avec cet accord, ils ont sécurisé leurs droits sur Simandou. Plus grave, rien, absolument rien, n’a été dit pour justifier le fait que Rio Tinto ne sortira pas sa première cargaison de minerai de fer en 2015, comme le prévoyaient les accords d’avril 2011 qui avaient permis d’empocher les 700 millions de Dollars.

Il faut savoir que ces conglomérats sont bien informés de la situation socio-politique du pays.  Ils savent parfaitement que le pays n’est pas stable. Il n’y pas de minimum de consensus permettant de travailler dans ce pays et de rentabiliser des capitaux. C’est valable pour tous les investisseurs. La Guinée est aujourd’hui abandonnée par tous les investisseurs sérieux.

Voulez-vous dire que Rio Tinto signe ces accords pour faire de Simandou chasse-gardée ?

Ce n’est pas une chasse-gardée. Ils ont eu l’attribution, mais ils n’ont pas rempli leur obligation de produire à la date indiquée de 2015 et c’est logique qu’ils essayent de sécuriser leur droit là-dessus. Etant donné qu’ils n’ont pas rempli leurs obligations, ils auraient risqué de se faire arracher légalement leur concession. Mais je rappelle quand même qu’ils ont versé au gouvernement 700 millions de dollars en 2011. Jusqu’à ce jour le gouvernement n’a jamais dit à quoi a servi ce montant. Même pour un seul dollar.

Parlant un peu de l’actualité africaine, la secte Boko Haram est soupçonnée d’avoir installé des bases-arrières au Cameroun. Vous qui y vivez, comment jugez-vous cette affaire d’enlèvement des jeunes filles, au Nigéria ?

La situation du Cameroun est extrêmement préoccupante. Le Cameroun dans sa forme actuelle n’est que l’assemblage du Cameroun occidental anglophone qui était à l’époque rattaché au Nigeria et le Cameroun oriental francophone, sous mandat de protection des Nations-Unies, confié à la France. Voilà un pays qui est donc issu comme d’autres, des frontières totalement artificielles posées par les colonisateurs européens. Les populations qui vivent d’un côté comme de l’autre de la frontière sont les mêmes. C’est aussi bien valable pour le Nigeria à l’Ouest et au Nord-ouest qu’à l’Est avec la Centrafrique. Le Cameroun est également fait face aussi à la déstabilisation par des groupes armés venant de Centrafrique qui y ont fait leur champ de bataille. Les Séléka et autres Anti balaka s’affrontent sur le territoire camerounais, en ayant des alliés locaux à cause des communautés qui sont à cheval sur les deux frontières. Pour revenir sur le Boko Haram, il faut comprendre que c’est du banditisme de grand chemin. La religion ne sert que de prétexte. Il n’y a pas de religion derrière tout cela. C’est du grand banditisme d’une jeunesse qui est laissée à l’abandon, qui n’a aucune perspective et qui trouve là un moyen tout à fait commode de s’occuper et d’exister. Tout cela se greffe sur fond de problèmes politiques internes à la fédération nigériane. Il y avait un modus vivendi entre le leadership nigérian – les politiciens – pour qu’il y ait une alternance à la présidence entre le Nord et le Sud. Les coups bas d’Obasanjo à ce système qui a permis la montée de Goodluck Jonathan, a exacerbé les contradictions entre le Nord et le Sud du pays. Il y a certainement eu aussi des politiciens du Nord qui se sont servis de cette situation pour sponsoriser au début Boko Haram. Mais aujourd’hui c’est une bande de criminels qui échappe totalement à tout contrôle et qui se nourrit d’elle-même. Ils ont réembauché tous les anciens coupeurs de route du Cameroun, qui ont un savoir-f »aire certain en matière de banditisme. C’est donc tout à fait normal que ce banditisme essaime au Cameroun. Cette situation est en train de déstabiliser les pays. A l’heure où je vous parle, beaucoup d’étrangers européens et asiatiques sont en train de quitter le nord du pays. C’est comme une tache d’huile. Au début c’est jusqu’à Maroua, puis on descend vers Garoua et actuellement ceux qui sont à N’Gaoundéré, un peu plus au sud, ne se sentent plus en sécurité. Les entreprises ferment, des activités s’arrêtent. Le pays est sérieusement menacé par ces bandes. Le traitement qui était appliqué à Boko Haram au Cameroun est certainement responsable de ces dérives, de cette explosion, de cette avancée loin à l’intérieur du Cameroun. Ils ont rodé un système très lucratif de rançonnage : ils ramassent un Blanc, le garde. Et puis, il y a toute une chaine de « négociateurs » qui se met en branle. Le gouvernement camerounais, je suppose je n’en sais rien, trouve l’argent, se fait rembourser comme il peut par le gouvernement français qui crie partout que lui, ne paie jamais de rançon. Alors qu’en réalité le payeur final ne peut être que la France. Le plus grave dans cette histoire est qu’il y a toute une chaine de répartitions de cette rançon, comme jadis au Mali. Tous les intermédiaires sur la chaine, du haut en bas, jusqu’au chef local de Boko Haram, chacun prend sa part. C’est une industrie qui est bien huilée. Ce n’est pas facile de désamorcer cela, puisque le vers est dans le fruit.

D’où l’incapacité pour les différents gouvernements d’aller au bout des bandes armées ?

Ils ne pourront pas les combattre efficacement! Il y a tout une chaine de complicités qui est installée. L’armée camerounaise n’est pas motivée spécialement pour se battre contre un ennemi invisible, qui a des accointances locales. En dehors de cela, il y a un véritable problème politique au Cameroun. Paul Biya qui a beaucoup fait pour enraciner la démocratie chez lui, est au pouvoir  depuis trente deux ans. Il est frappé par l’usure du pouvoir. Son autorité est mise en cause par pratiquement tout le monde. Les dernières élections montrent que la population s’en désintéresse totalement. Ne croyez pas qu’il a été réélu par la fraude, mais il y a très peu de gens qui veulent voter. Il y a une incertitude politique qui ne favorise pas la véritable recherche de solutions.

Un dernier message…

Nous avons dit depuis 1992 que la Guinée ne peut se construire dans le communautarisme et l’exclusion. Nous ne nous lasserons jamais de dénoncer les pratiques politiciennes qui consistent à instrumentaliser les communautés pour arriver à des fins partisanes. Nous disons que c’est ce système qui a prévalu, qui a perduré, s’est consolidé et qui a explosé aujourd’hui à la face de la communauté nationale guinéenne. Il est temps qu’on réagisse autrement, qu’on trouve d’autres solutions que les préférences communautaires.

 

Interview réalisée par SOUARE Mamadou Hassimiou

Pour Africaguinee.com

Tél. : (+224) 655 31 11 11

Créé le 19 juin 2014 14:38

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