Main tendue du Président Doumbouya, couplage des élections, UFDG : l’interview « vérité » du Dr Faya Millimouno…

CONAKRY – Après une pause temporaire due, selon lui, à des menaces reçues, le président du Bloc Libéral (BL) rompt le silence. Dans cette interview exclusive accordée à l’un de nos journalistes, Dr Lansana Faya Millimouno réagit sans détour aux sujets brûlants de l’actualité nationale.
Dans cette première partie, il se prononce sur les récentes décisions du président Mamadi Doumbouya en lien avec le retour à l’ordre constitutionnel, l’annonce du couplage de la présidentielle avec les législatives, le recensement biométrique, ainsi que sur d’autres enjeux politiques majeurs.
AFRICAGUINEE.COM : Le général Mamadi Doumbouya a récemment pris un décret fixant la date du référendum constitutionnel au 21 septembre 2025. Selon vous, cette échéance sera-t-elle, cette fois, respectée ?
DR. LANSANA FAYA MILLIMOUNO :Merci encore pour l’opportunité que vous m’offrez de commenter cette actualité. Au niveau du BL, nous espérons que cela tiendra cette fois-ci, même si nous avons beaucoup de doutes à ce sujet. Aujourd’hui, il y a une chose qu’il faut vérifier. Ce n’est pas seulement avec nous qu’il faut en parler ; nous espérons que vous tendrez aussi le micro, par exemple, au ministère de l’Administration du Territoire. Ce ministère devait, en principe, lancer le recensement ce (mardi 15 avril 2025), selon le calendrier qui nous a été communiqué. On nous a annoncé que le recensement devait effectivement démarrer le 15 avril, avec l’arrivée d’environ 6 000 kits. Est-ce suffisant ? Le recensement électoral démarrera-t-il effectivement le 15 avril 2025 ? A-t-on pu recruter suffisamment d’agents recenseurs ? Ont-ils été formés à l’utilisation des kits ? Il faut leur poser la question. Si c’est bien le cas, le pays devrait être prêt, sur toute l’étendue du territoire, pour démarrer effectivement le recensement demain. Parce que si le recensement électoral ne démarre pas à la date indiquée, il faudra au moins trois ou quatre mois pour obtenir un fichier fiable. Si le recensement ne commence le 15 avril 2025, cela justifiera les inquiétudes que nous avons déjà quant à la date du 21 septembre 2025, qui a été arrêtée au forceps.
Vous avez sans doute consulté l’avant-projet de constitution élaboré par le CNT. Le jour du référendum, envisagez-vous de voter « OUI » ou « NON » ?
Écoutez, au niveau du Bloc Libéral, nous attendons de voir la dernière mouture du projet de constitution, car nous avons quitté la phase d’avant-projet. Il paraît que le CNT a adopté le projet à l’unanimité. Nous espérons que ce projet sera envoyé aux entités que nous représentons, afin que nous en prenions connaissance. Parce qu’en Guinée, voyez-vous, avec Alpha Condé, un projet avait été soumis au référendum. Mais après celui-ci, le texte constitutionnel adopté était différent de celui qui avait été soumis. C’est pour cette raison que nous commencerons par prendre connaissance du contenu du projet adopté. Nous allons le lire, et c’est seulement sur cette base que nous nous prononcerons : OUI ou NON. Ensuite, nous conseillerons à nos membres de voter en conséquence.
Le Premier ministre Bah Oury a récemment laissé entendre qu’il est probable que les élections législatives et présidentielle soient couplées après le référendum. Quelle est votre réaction à ce sujet ?
La question qu’il faut se poser ici est la suivante : avons-nous l’expérience de coupler deux élections majeures — les législatives et la présidentielle ? Nous avons une vingtaine, voire une trentaine d’expériences électorales, même si la majorité d’entre elles ont été entachées de fraudes. Mais jamais en Guinée il n’a été envisagé de coupler une élection présidentielle avec une élection législative. La seule fois où un couplage a eu lieu, c’était en 2020, avec Alpha Condé, qui avait soumis le projet de constitution au référendum, et le même jour, il y avait eu le vote pour les députés.
Ce serait donc une première que les élections présidentielles soient organisées en même temps que les législatives. La question est : comment allons-nous y parvenir ? Parce qu’aujourd’hui, depuis l’arrivée du Premier ministre Bah Oury, c’est comme si la Guinée fonctionnait comme une monarchie absolue. Il n’y a aucun dialogue. Or, dans un processus électoral, l’acte n°1, c’est l’élaboration du fichier électoral. Ce recensement va commencer sans la participation des acteurs politiques et sociaux censés prendre part aux élections.
En quoi ce processus, lancé sans associer les acteurs politiques et sociaux, peut-il garantir la paix à terme ? En quoi peut-il garantir l’acceptation du processus par toutes les parties ? Nous sommes un pays profondément marqué par une crise de confiance. C’est d’ailleurs cette crise de confiance qui a justifié, ces dernières décennies, la mise en place d’une CENI, une Commission électorale nationale indépendante. Plusieurs formules ont été essayées, sans succès. Depuis plus de dix ans, nous préconisons la mise en place d’une CENI technique, réellement indépendante, même si les acteurs sociaux, l’administration et les partis politiques peuvent y être associés comme observateurs. Mais il faut une entité indépendante, surveillée par tous ces acteurs.
En Guinée, il faut écarter totalement l’idée que l’administration organise seule les élections. Car aujourd’hui, l’administration publique agit comme un parti politique, celui du CNRD. Nous déplorons donc ce manque de dialogue, qui ouvre la voie à toutes les dérives. Et Bah Oury n’est pas un acteur quelconque. Il a prétendu se battre pendant des années pour les droits humains. Il a été un homme politique engagé, avec beaucoup d’expérience. Et voilà qu’il devient Premier ministre, et qu’on ferme les médias importants de ce pays sous sa gouvernance. Des partis politiques sont suspendus, dissous ou placés sous observation, sans aucun processus transparent et clair. Il y a vraiment matière à s’interroger à propos de cette déclaration du Premier ministre.
Parlons du dialogue justement. La présidence a renouvelé ces derniers jours son appel au dialogue avec les acteurs politiques. Selon vous, s’agit-il d’une démarche sincère ou simplement d’une stratégie de façade ?
Ce n’est pas simplement en lisant un communiqué à la RTG, que beaucoup ne regardent même pas, qu’on peut dire qu’un dialogue est en passe de commencer dans les jours ou semaines à venir. Je pense que, que ce soit la présidence, la primature, ou toute autre institution, il faut écrire à chaque entité légale, car dès lors qu’on dit « vous êtes autorisés à mener vos activités », c’est qu’on reconnaît leur légalité. Qu’on nous saisisse alors, nous avons des propositions à mettre sur la table. L’agenda, nous devons le construire ensemble. Il faut qu’on s’asseye pour se mettre d’accord. Le premier faux pas que le CNRD vient de commettre, c’est d’avoir autorisé le démarrage du recensement électoral sans la participation des acteurs politiques.
Parce que tout ce qui est fait à l’insu de quelqu’un peut être fait contre lui. Nous savons qu’en Guinée, la fraude électorale commence très souvent par la constitution du fichier électoral. Lorsqu’on exclut les acteurs, c’est l’administration – à laquelle on ne peut pas faire confiance – qui prend la main sur le processus.
On peut envoyer moins de kits dans certaines zones perçues comme des bastions de l’opposition, par exemple. On peut y déployer des agents mal formés, ou encore priver de primes ceux qui y travaillent. Tout cela fausse le processus et donne un fichier électoral biaisé, qui favorise certaines régions au détriment d’autres. Si l’on veut vraiment œuvrer pour la paix dans ce pays – et c’est notre combat –, il faut que les autorités acceptent l’organisation d’un véritable dialogue, où toutes les questions seront mises sur la table, discutées, et feront l’objet d’un consensus.
Déjà, on ne peut pas faire confiance à un processus qui commence demain, celui de l’élaboration du fichier électoral, alors qu’il viole un principe fondamental : celui de la concertation préalable. Sans dialogue, pas de consensus. Et sans consensus, aucune garantie de transparence ni d’acceptation.
Ces derniers temps encore, on observe d’importantes mobilisations en faveur du CNRD dans certaines régions du pays, comme N’zérékoré, Kankan, Kindia et récemment à Boké. Certains y voient une campagne prématurée en faveur du général Mamadi Doumbouya, tandis que d’autres dénoncent un gaspillage des ressources publiques. Quelle est votre position ?
Vous savez, quand le CNRD est arrivé, et que nous avons écouté le président Mamadi Doumbouya, il y avait quelque chose qui pouvait être salué. Parmi les promesses qu’il a faites, il avait affirmé qu’il fallait « dépolitiser l’administration publique ». À voir ce qui se passe aujourd’hui, on a l’administration la plus politisée du monde (rires). C’est ce qui rend la déception des Guinéens aussi brutale, par rapport aux engagements pris.
Il avait aussi dit qu’aucun Guinéen ne devrait mourir à cause de ses opinions. Pourtant, plusieurs compatriotes ont disparu, et l’on se demande encore aujourd’hui où ils sont passés : Fonikè Manguè, Billo Bah, Marouane Camara, Sadou Nimagan… Abdoul Sacko, qui a eu plus de chance, a été torturé et reste aujourd’hui entre la vie et la mort. Nous venons d’apprendre qu’il a pu quitter le pays pour recevoir des soins. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement. S’il n’avait pas été retrouvé par des paysans dans la brousse, on parlerait de lui au passé aujourd’hui. Voilà encore une promesse non tenue.
Le président avait aussi dit qu’il fallait éviter les erreurs du passé. Eh bien, je ne sais même plus de quelles erreurs il s’agissait, car aujourd’hui, on fonctionne pire qu’avant. Vous avez évoqué ces manifestations qui ressemblent à des campagnes avant l’heure. Il y a eu la marche pour la paix à Kankan, une autre à Kindia, et encore une à Boké les 11 et 12 avril 2025. Et qui y participe ? Ce sont des agents de l’État. On y voit des militaires, des membres du CNRD, des administrateurs centraux – ministres, chefs de cabinet, directeurs nationaux… On pense même que les plantons y sont forcés.
Notre administration compte environ 100 000 personnes. Ce sont les véhicules administratifs, les VA, qui transportent ces gens. On sait combien de VA ont été envoyés à Kankan. À Boké, le ministère de la Sécurité a même publié un communiqué bloquant la circulation sur l’axe Boké-Conakry pour permettre à l’administration centrale, basée à Conakry, de s’y rendre. C’est tout simplement scandaleux.
Il faut rappeler à tous ceux qui se prêtent à ce jeu que, en tant que fonctionnaires, ils ont un devoir de réserve dans le jeu politique. Et c’est justement pour cela que ceux qui rêvent de voir les élections organisées par le ministère de l’Administration du Territoire, sans les acteurs politiques et sociaux, se trompent lourdement. Cela ne passera pas. À moins que le but soit de créer les conditions d’un conflit. Mais nous, nous tenons à la paix. Nous ne pouvons pas accepter des démarches qui nous mèneraient à la violence.
Ce sont bel et bien des campagnes avant l’heure. On nous avait promis une administration dépolitisée. Or aujourd’hui, ce sont des VA, avec du carburant payé par le contribuable, qui transportent des milliers de personnes à Kindia, Boké ou Kankan. Mais je veux dire quelque chose au peuple de Guinée : ne vous laissez pas tromper. Ce que le CNRD et ses soutiens sont en train de créer, c’est une illusion. On veut faire croire que toute la Guinée est derrière eux.
Mais regardez bien les images : ce sont les mêmes visages que l’on retrouve à Kankan, Kindia et Boké. Ce sont les mêmes personnes qu’on déplace d’une ville à une autre pour les faire passer pour des foules enthousiastes. Ce sont les maigres ressources de l’État qu’on utilise pour financer cette mise en scène. Ce n’est pas toute la Guinée qui soutient le CNRD. C’est l’administration, et quelques affamés en quête de survie.
Que fait le Bloc Libéral pour contrer cette dynamique ?
Nous sommes en train de nous concerter, car il ne fait plus aucun doute que les manifestations sont désormais autorisées sur toute l’étendue du territoire national. Lorsque le CNRD est arrivé, il a déclaré : « Les manifestations ont causé trop de morts dans notre pays. Observons un moratoire, le temps de construire des institutions, de mener la refondation… » Mais aujourd’hui, il est clair que ce n’est pas la refondation qui est à l’ordre du jour, ni la construction d’institutions. Ce à quoi nous assistons, c’est une volonté de confiscation du pouvoir.
Dès lors que toutes les manifestations semblent permises partout, ce que je fais personnellement, en tant que président du Bloc Libéral — avec mes collègues de la CPR et d’autres membres de la classe politique — c’est d’œuvrer à l’organisation de marches de la paix dans toutes les régions, dans toutes les préfectures du pays, avec les effigies des leaders politiques que nous sommes. Ainsi, le jeu politique pourra véritablement s’enclencher, et nous invitons les Guinéens à s’y préparer. Il faut comprendre que ceux qu’on voit s’agiter aujourd’hui avec les portraits du général Mamadi Doumbouya ne représentent qu’une minorité. Et c’est le message que j’ai toujours adressé au général Doumbouya :
Lorsque vous êtes arrivé, vous avez parlé, et nous avons écouté. Beaucoup d’entre nous avons soutenu les débuts de la transition parce que nous avons cru à vos promesses — qui sont devenues aujourd’hui du vent. Ne faites pas le pas dans l’inconnu. Ce pas, c’est celui de déclarer une candidature.
Le jour où Alpha Condé a décidé de briguer un troisième mandat à la fin de son second, il a fait ce saut dans l’inconnu. On connaît la suite. Je ne souhaite pas que l’histoire se répète. Je veux que l’instabilité chronique qui mine notre pays, les coups d’État à répétition, cessent. À l’arrivée du CNRD, beaucoup ont dit : « Plus jamais de coup d’État en Guinée ! »
Mais aujourd’hui, on semble créer les conditions d’une nouvelle crise, car la Guinée est gérée comme une monarchie absolue. Il n’y a plus d’écoute, plus de débats. Ce n’est plus une République. Ce sont ces dérives qui alimentent l’instabilité et les risques de coups d’État. Nous n’en voulons pas. C’est pourquoi nous lançons un appel au président Mamadi Doumbouya : qu’il mette un terme à cette récréation.
Les fonctionnaires doivent respecter l’article 57 du statut général qui impose un devoir de réserve. Tous ceux qui utilisent les VA avec du carburant financé par le contribuable pour des activités politiques s’exposent à des poursuites. Et tout cela se fait avec la complicité tacite du CNRD. Aucun acte n’est posé pour l’empêcher. Il faut se rappeler qu’en Guinée, on peut être poursuivi pour responsabilité de commandement, même sans ordre explicite. Le président Doumbouya doit retenir cela et agir en conséquence pour faire cesser cette frénésie menée au détriment des biens publics.
L’UFDG a enregistré des départs, notamment ceux de Cellou Baldé ou Maladho, qu’on a récemment vus aux côtés du CNRD, à Boké. Comment interprétez-vous cela ?
Un parti politique, c’est comme un autobus. Il démarre à un point A pour aller à un point Z, avec plusieurs arrêts. À chaque arrêt, des gens montent, d’autres descendent. C’est ainsi que je vois les départs récents. Dans tous les partis politiques, il y a des membres qui, à un moment donné, se lassent de rester dans l’opposition. Et vous savez, ce n’est pas facile d’être dans l’opposition (rires). Il n’y a pas d’argent à gagner. Bien au contraire, on en dépense : pour soutenir un militant malade, pour présenter des condoléances, pour subvenir à toutes sortes de besoins. C’est pourquoi les vrais héros de la politique guinéenne, ce sont ceux qui restent fidèles aux valeurs, malgré les difficultés.
Ceux qui se battent pour la démocratie, la liberté, la justice, sans être à la soupe — comme on dit (rires). Car il paraît que « rejoindre le gouvernement, c’est aller à la soupe ». Certains sont tentés par cela. Mais dans la vie politique, c’est un processus normal : des gens débarquent, d’autres montent à bord.
Ce que nous espérons, c’est qu’il y ait de plus en plus de Guinéens qui croient aux valeurs pour lesquelles tant d’autres ont donné leur vie. Avant même l’indépendance, des Guinéens sont tombés pour ces idéaux. Pas pour manger, mais pour que nous ayons la liberté, la justice, la dignité. Et même récemment, sous Alpha Condé, on enterrait parfois des dizaines de victimes. Ceux-là se sont battus pour que notre dignité soit respectée. Honorons leur mémoire en poursuivant ce combat.
A suivre !
Entretien réalisé par Oumar Bady Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 15 avril 2025 13:58Nous vous proposons aussi
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