Les Guinéens chassés d’Algérie, qui l’eut cru ? Un peu d’histoire pour rafraîchir les mémoires
La Guinée a accédé à l’indépendance le 2 octobre 1958. Cependant, le jeune État refusant de jouir isolément des dividendes de cette indépendance, considéra son œuvre émancipatrice comme une symphonie inachevée tant que d’autres peuples du continent continueront à ployer sous le poids du système colonial. Dès lors il se prescrivit une nouvelle mission, celle de voler au secours des autres peuples encore épris de liberté, de paix et de justice sociale. Cette nouvelle mission fut expressément consignée dans le préambule de sa première Constitution en ces termes : « Le peuple et le gouvernement de la République de Guinée sont déterminés, totalement déterminés à assumer coûte que coûte leur devoir historique en aidant par tous les moyens à libérer les peuples d’Afrique encore colonisés, car la liberté guinéenne perdrait toute sa signification et sa portée si elle devait se restreindre à ses limites territoriales »[1]. Comme si cela ne suffisait pas, et pour plus de solennité, cet engagement fut repris à la face du monde, par le tout nouveau et jeune Président, Sékou Touré, lors de sa première prestation à la tribune des Nations-Unies, le 10 octobre 1958.
Mais déjà, bien avant son indépendance, la Guinée s’était sentie concernée par la juste lutte de libération du peuple algérien déclenchée en novembre 1955 contre le colonialisme français, non seulement en tant que source d’inspiration, mais aussi en tant qu’opportunité pour concrétiser les idéaux panafricanistes de ses leaders. En effet, en mars 1957, Sékou Touré, alors Secrétaire général du PDG, inscrivait dans son programme de campagne pour les élections territoriales, l’indépendance algérienne comme une exigence des peuples africains. A cette occasion, il invita les candidats de son parti, à dénoncer fermement le colonialisme français et à réaffirmer leur soutien indéfectible au peuple algérien en lutte.
Plus tard, à son IVème Congrès, tenu à Conakry du 5 au 8 juin 1958, le Parti Démocratique de Guinée exigea de façon explicite dans ses résolutions, la reconnaissance du droit à l’indépendance du peuple algérien frère. Ce soutien a été réaffirmé et poursuivi après l’accession à l’indépendance de la Guinée.
Désormais membre à part entière de l’Organisation des Nations Unies depuis le 12 décembre 1958, la République de Guinée devint un des grands défenseurs du dossier algérien devant les instances internationales. Cette détermination et surtout cette constance dans l’appui à tous ceux qui souffrent sous le poids du colonialisme, traduisaient la nécessaire solidarité attendue de tous les peuples africains qui ont déjà goûté aux savoureux fruits de la liberté.
Très courageux, sinon téméraire, Sékou Touré ne ratait aucune occasion pour dénoncer frontalement le refus obstiné du gouvernement français d’accorder l’indépendance au peuple algérien. Il fit de la solution du problème algérien, le préalable à toute coopération avec le gouvernement français. Aussi, la République de Guinée, nonobstant le spectre de la guerre froide, permit le transit par le port de Conakry, des armes en provenance de l’URSS d’alors pour le maquis algérien via le Mali. Ces armes étaient convoyées par de hauts responsables du gouvernement guinéen dont les plus réguliers furent Dr Abdoulaye Touré, qui se faisait doubler à partir de Bamako où il était ambassadeur, par Abdoulaye Ghana Diallo.
Soit dit en passant, Abdel Aziz Bouteflika qui représentait le FLN et le GPRA en Guinée, était très populaire à Landréah où il descendait régulièrement durant ses séjours guinéens. Il faut signaler qu’après la victoire de la révolution algérienne et en souvenir de ses liens d’amitié tissés durant ses nombreux et fructueux séjours en Guinée, Abdel Aziz Bouteflika, très longtemps ministre des Affaires étrangères avant de devenir Président de la République algérienne, a adopté un enfant de Dr Abdoulaye Touré. Celui-ci est aujourd’hui, citoyen algérien et y vit avec sa famille.
Par ailleurs, en dehors de Bouteflika, nombreux sont les combattants du FLN et du GPRA qui ont séjourné à plusieurs reprises en Guinée et qui y ont obtenu comme tant d’autres nationalistes africains, des passeports diplomatiques guinéens pour leur leurs déplacements à l’étranger.
C’est donc non sans raison qu’un haut responsable politique algérien fit l’annonce prémonitoire selon laquelle « … Le gouvernement de la République de Guinée concrétise les lignes directrices qui inspirent notre action et préfigurent les liens d’étroite collaboration qui doivent exister entre les nouveaux États indépendants d’Afrique. Les hommes d’Afrique, parce que la Guinée indépendante existe, pourront très rapidement comparer leur sort à celui de leurs frères d’hier, mis en esclavage par le colonialisme français. C’est de la Guinée, tête de pont de la liberté que partiront toutes les vagues qui anéantiront la domination française en Afrique Noire. »[2]
A la honte donc de ses détracteurs afro-pessimistes, la Guinée a donné la preuve du respect de ses engagements vis-à-vis des peuples en lutte pour leur émancipation en général, et du peuple algérien en particulier. Loin d’être une folie de grandeur, c’était pour elle, à la fois un défi à relever, un challenge à gagner et un devoir militant à assumer, au nom des textes fondateurs de la République.
Face à l’horreur du drame que vivait le peuple algérien en lutte pour son indépendance, le peuple de Guinée ne pouvait pas ne pas s’impliquer. Car, comme l’écrivait Martin Luther King, « Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants ; c’est l’indifférence des bons. » La Guinée avait donc délibérément choisi d’être du côté des bons en tenant promesse.
Les autorités guinéennes d’hier avaient parfaitement conscience des difficultés auxquelles elles exposaient leur pays en soutenant obstinément le peuple algérien en lutte. Mais par devoir de solidarité panafricaniste, il fallait bien le faire. Aujourd’hui, loin de le regretter, les nouvelles autorités du pays en sont fières et l’assument pleinement, même si par ailleurs des Guinéens passent actuellement pour des « sans-papiers » en Algérie. Si c’était à refaire, nul doute que le général Mamadi Doumbouya se prêterait à l’exercice sans état d’âme. Pour l’instant, en ces moments de détresse de ses compatriotes, il a donné la réponse qui sied en faisant de l’expulsion des Guinéens d’Algérie, un point d’honneur et de dignité de toute la nation.
S’il était donné de rebobiner l’histoire, devant les regards interrogateurs du Président Ahmed Sékou Touré, Ahmed Ben Bella et Abdel Aziz Bouteflika répondraient sagement, comme le fit le Christ à Dieu, devant ses bourreaux au pied de la croix : « Père, pardonnez-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. » En effet les jeunes générations d’Algériens ne le savent pas, parce qu’ils ont ignoré l’histoire. Mais les leaders du FLN et du GPRA qui ont longtemps séjourné à Landréah (Conakry) ou qui ont convoyé discrètement les armes de Conakry pour le maquis algérien en compagnie de leurs frères guinéens, le savent parfaitement bien, et de ce fait, ne partagent certainement pas ce qui est en train de se passer contre des Guinéens en Algérie.
Si aujourd’hui pour des difficultés économiques, comme il se dit là-bas, les Guinéens sont devenus des « sans-papiers » et chassés d’Algérie comme des malpropres, l’histoire en revanche a retenu qu’hier, pour avoir soutenu ouvertement et sans ménagement la lutte du peuple algérien contre la France, la Guinée a enduré toutes sortes de représailles économiques dont la restriction des investissements extérieurs et de l’aide au développement. Des chantiers furent abandonnés et des projets détournés au profit d’autres pays, s’ils n’étaient pas purement et simplement annulés. Le cas le plus emblématique en fut le barrage hydro-électrique du Konkouré dont le montage technique et financier était pratiquement terminé avant 1958. Malheureusement, pour les raisons ci-haut citées, il ne fut jamais réalisé parce que la France avait retiré la caution promise au bailleur de fonds, en l’occurrence l’URSS d’alors, qui était disposé à accorder le prêt à la Guinée. Comme si cela ne suffisait pas, le général de Gaulle en personne avait fait le déplacement de Moscou pour contraindre Nikita Khrouchtchev à renoncer au financement du projet. C’est bon que les jeunes générations d’Algériens le sachent et les Guinéens aussi, pour agir en toute connaissance de cause.
Bon courage chers compatriotes encore en attente d’expulsion de ce pays dont la libération avait fait hier le souci de vos ascendants qui, à cet, avaient osé contester sur les grandes tribunes internationales l’autorité coloniale française, les leaders algériens ne pouvant le faire eux-mêmes parce que vivant en exil ou retranchés dans le maquis.
En revenant au pays, vous réalisez, certes péniblement, mais sagement, un adage de chez nous qui dit que « le fleuve Makona peut vous refuser la traversée, mais ne s’opposera jamais à votre retour au village. » En Guinée vous êtes chez vous. On ne vous insultera plus, on ne vous pourchassera plus, bref, on ne vous persécutera plus, parce que vous n’êtes pas des « sans-papiers » en Guinée, comme vous l’a si bien dit l’infatigable ministre des Affaires étrangères et des Guinéens établis à l’Étranger, Dr Morissanda Kouyaté. Ses paroles de sagesse doivent vous permettre de donner un sens à votre retour au bercail, en tirant les leçons de ce que vous avez vu, de ce que vous avez entendu et surtout de ce que vous avez physiquement enduré en Algérie. Ce séjour vous marquera à jamais, car « il est plus facile de ne rien apprendre que d’oublier », dit un célèbre psychopédagogue, surtout quand vous portez encore sur vous, les stigmates de votre mésaventure.
Dr Aly Gilbert IFFONO
Historien et ancien ministre
[1]« Expérience guinéenne et unité africaine » Présence Africaine, 1962, P. 256.
[2] Ibidem.
Créé le 5 novembre 2024 18:13Nous vous proposons aussi
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