Le Bâtonnier Me Mamadou Souaré Diop parle: « Ce combat dépasse le cas de Maître Traoré… »

CONAKRY – Une semaine après le début du boycott décidé par l’Assemblée générale du Barreau le 23 juin, la mobilisation reste intacte. Et ce, malgré les marques de soutien du procureur général près la Cour d’appel de Conakry et la condamnation ferme du Premier ministre, Bah Oury, à la suite de l’enlèvement de l’ancien bâtonnier Mohamed Traoré.
Dans cet entretien exclusif accordé ce lundi 30 juin à Africaguinee.com, le bâtonnier Mamadou Souaré Diop revient sur la position du Barreau et les conditions d’une sortie de crise.
AFRICAGUINEE.COM : Après les résolutions adoptées par le Barreau à la suite de l’enlèvement de votre confrère Maître Mohamed Traoré, le chef du gouvernement a réagi, condamnant avec fermeté les violences subies par l’ancien bâtonnier. Quelle est la position du Barreau ?
Me MAMADOU SOUARÉ DIOP : Le Barreau prend acte de ces déclarations et des différents communiqués. Encore une fois, je tiens à rappeler que l’intention de l’Assemblée générale des avocats n’est pas de bloquer le fonctionnement de la justice. Notre objectif, c’est de défendre l’application de la loi. La loi doit être la même pour tous. C’est cela, notre combat.
Nous avons bien entendu les déclarations du Premier ministre, nous en avons pris acte, et nous rendrons compte à qui de droit. Rendre compte à qui de droit, cela signifie rendre compte à l’Assemblée générale des avocats, qui est l’instance suprême de décision. Lorsque l’Assemblée générale décide, le Conseil de l’Ordre exécute, et le bâtonnier applique. Ni moi, bâtonnier, ni le Conseil de l’Ordre, ne pouvons revenir sur une décision prise par cette Assemblée. Le parallélisme des formes nous l’impose.
Le boycott avait été décidé pour deux semaines. Je n’étais pas présent lors de cette réunion. C’est pourquoi nous nous réunirons à nouveau le lundi 7 juillet en Assemblée générale pour apprécier la situation, décider, et ensuite aviser.
Une semaine après l’adoption des résolutions par l’Assemblée générale du Barreau, quel bilan faites-vous du mouvement déclenché, notamment du boycott ? Est-il largement suivi ?
Le mot d’ordre est largement suivi, il n’y a aucun doute là-dessus. Le boycott est totalement respecté. Au sein du Barreau, c’est l’Ordre qui prévaut : lorsque l’Assemblée générale décide, tout le monde s’aligne. C’est notre mode de fonctionnement.
Est-ce que la communication du chef du gouvernement à propos de ce qui est arrivé à Maître Traoré vous rassure, malgré tout ?
Nous apprécions la démarche. Nous restons ouverts au dialogue. Nos portes n’ont jamais été fermées, et nous sommes prêts à discuter avec toutes les autorités de la République. Et cela, dans l’intérêt de tous. Ce mouvement ne concerne pas uniquement Maître Traoré. Il faut s’en souvenir : chaque fois qu’il y a eu une violation grave des droits humains dans ce pays, le Barreau s’est levé.
Ce n’est donc pas un combat personnel. Il s’agit de défendre les droits fondamentaux de nos concitoyens. Et si ces droits sont violés, nous continuerons de nous élever. Certes, aujourd’hui, on parle de l’ancien bâtonnier, mais, encore une fois, c’est un combat pour tous.
Est-ce que la prochaine Assemblée générale pourrait aboutir à un allègement des décisions prises ?
Ce sera aux avocats de décider. Nous observerons l’évolution de la situation sur le terrain et du dialogue engagé. Si un dialogue véritable s’installe, nous en tiendrons compte. Mais encore une fois, c’est l’Assemblée générale qui a le dernier mot. Notre rôle, c’est de rendre compte, et à l’Assemblée de se prononcer. S’il y a des avancées – notamment l’identification et la traduction en justice des auteurs des faits –, alors, pourquoi pas ? Il n’y aurait aucun obstacle, à mon sens.
Les avocats ne demandent rien d’autre : que les auteurs soient identifiés et arrêtés. C’est là la principale revendication du Barreau.
La satisfaction de cette revendication — à savoir l’identification et la traduction en justice des auteurs — pourrait-elle mettre fin à la crise ?
Je ne peux pas l’affirmer, car cela ne relève pas de ma seule volonté. Mon avis personnel n’engage pas l’Assemblée générale des avocats. Je me limite à rappeler que c’est là la principale revendication exprimée par le Barreau.
Peut-on considérer aujourd’hui que le Barreau est l’unique organisation à défendre activement le respect des lois et les droits de l’homme en Guinée ?
Nous ne sommes pas des extrémistes. Le Barreau n’a aucun intérêt à entretenir des rapports tendus avec l’État. Ce n’est pas notre intention. Nous sommes des avocats de la République, nous ne sommes pas en dehors de la République — nous en faisons partie. Notre combat, c’est que la loi soit respectée, qu’elle soit la même pour tous. C’est tout ce que nous demandons. Et cela est dans l’intérêt général.
La loi est la seule protection, aussi bien pour les gouvernants que pour les gouvernés. Lorsqu’elle est respectée, chacun y trouve son compte. C’est aussi simple que cela.
Si vous aviez un message à adresser aux autorités, que diriez-vous ?
Le Barreau est là. Il est disponible pour dialoguer avec toutes les autorités de la République. Nous souhaitons simplement que chacun œuvre pour que la loi soit la seule règle qui prévaut dans ce pays. C’est le cœur de notre engagement. En tant qu’avocats, notre « fonds de commerce », c’est la loi. Et je vous le dis : il est bien plus simple de respecter la loi que de la violer. Tant que vous respectez la loi et la procédure qu’elle prescrit, vous êtes protégé. Vous n’entendrez pas de cris de protestation.
Mais quand parle-t-on de violation des droits de l’homme ? Ce sont les arrestations arbitraires, les enlèvements, les actes de kidnapping opérés en dehors des procédures légales. Si une personne reçoit une convocation régulière, se présente devant un juge et que sa cause est entendue conformément à la loi, il n’y aura jamais de débat sur les droits humains. C’est le non-respect de cette procédure qui constitue une atteinte à la loi. Et c’est contre cela que le Barreau se lève.
Nous ne nous opposons pas à la poursuite de quiconque aurait des démêlés avec la loi. Le Barreau n’est pas là pour délivrer des certificats de non-poursuite. Mais nous veillons à ce que chaque procédure engagée le soit dans les règles de droit, dans le respect de la dignité humaine. C’est cela qui protège tout le monde. C’est notre seul et unique combat.
Avez-vous des nouvelles de votre collègue, l’ancien bâtonnier Maître Mohamed Traoré ?
Oui, nous avons des nouvelles. Il se remet progressivement. Grâce à la solidarité dont il a bénéficié, sa situation s’améliore.
Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 1 juillet 2025 07:50