Labé : De la moto-taxi au camion-benne, Aissatou Bah brise les stéréotypes

LABÉ – Hadja Aissatou Bah, 26 ans, mariée et mère d’un garçon, continue de surprendre tout le monde par sa passion pour des métiers généralement réservés aux hommes. En marge du mois de la femme, nous avons marché sur ses pas.
Après avoir eu le courage de conduire un taxi-moto en 2021 à Labé pour subvenir à ses besoins, une corporation dans laquelle elle s’est distinguée par sa détermination, Aissatou Bah a embrassé une carrière de conductrice de camion-benne il y a deux ans. La revoir au volant d’un camion transportant des agrégats sur les chantiers, force l’admiration. Baldé Aissatou ne se donne aucune limite. Elle ambitionne désormais de conduire des gros porteurs de marchandises de Conakry vers les villes de l’intérieur.

Fait particulier : le métier de chauffeur est une tradition dans la famille Bah de Companya (quartier périurbain de Labé). Sa mère a conduit des taxis et des gros camions aux côtés de son mari (le père d’Aissatou Baldé), qui l’avait encouragée dès le lendemain de leur mariage. Les frères d’Aissatou sont également chauffeurs. D’ailleurs, c’est auprès de son jeune frère, Alsény Baldé, qu’elle a appris à manier le volant des camions-bennes. En ce mois de mars consacré aux femmes, nous sommes allés à sa rencontre.
Nous suivons les pas d’Aissatou Bah, cette courageuse femme que nous avions croisée en mars 2021, alors qu’elle venait d’endosser le gilet de première femme conductrice de moto-taxi à Labé. Quelques années après, elle se tourne vers les camions-bennes. Aissatou n’a aucune gêne à s’habiller comme un homme et à aller au ramassage des agrégats hors de la ville.
Elle traverse également le centre urbain, son camion chargé de sable et de blocs de pierre, en direction des chantiers. Son courage et sa détermination ne sont plus à prouver. Nous nous sommes installés dans la cabine de son camion pour l’accompagner.
« Depuis toujours, je n’ai pas voulu distinguer un métier d’hommes et de femmes. Toute profession me passionne. C’est ainsi que j’ai intégré la corporation des moto-taxis il y a quelques années. Vers la fin, je travaillais moins dans ce domaine. J’ai décidé d’apprendre la conduite de camion-benne auprès de mon jeune frère, qui tient le camion de mon père, également chauffeur. J’ai suivi mon frère pour comprendre la conduite d’un camion. Ensuite, je lui ai demandé de m’apprendre. J’ai commencé à prendre la direction, et à présent, je conduis seule pour transporter des agrégats. Cela fait maintenant deux ans.
Je vois certains clients se décourager en me voyant au volant, d’autres sont impressionnés. Une autre catégorie pense que je ne tiendrai pas longtemps. De toute façon, je ferme les yeux et je me mets au travail, pourvu que ce soit un métier licite », explique-t-elle toute concentrée sur son volant.

Dans sa nouvelle profession, la conductrice veut aller loin : « Je n’ai pas de limites : on charge les briques et les blocs de pierre comme les garçons qui travaillent avec moi. Parfois, ils me dispensent des tâches physiques et je me contente de la conduite, mais le plus souvent, nous faisons tout ensemble. Je vais dans tous les villages voisins de Labé pour livrer du matériel de construction », confie-t-elle.
Aissatou doit sa persévérance pour son envie de se surpasser et réussir les défis. Mais aussi, du soutien de ses parents notamment sa ma maman, son époux et les autres membres de sa famille.

« Ma mère m’a encouragée. La conduite est un héritage dans ma famille. Mon défunt père était chauffeur, mes frères le sont aussi, et même ma mère conduisait des taxis légers et des camions. En grandissant, je voyais ma mère au volant, c’est mon père qui lui avait appris. Je suis dans ce métier moi aussi, et je ne compte pas arrêter. J’en ferai mon métier de vie », confie la conductrice avant de dévoiler que son ambition de persévérer davantage.
« Je suis animée de courage, j’affronte les difficultés comme les garçons, et ils me respectent tous. Parfois, je fais encore du moto-taxi. J’ai commencé à conduire le camion du vivant de mon père, décédé il y a neuf mois. Il avait arrêté de conduire, c’est mon jeune frère qui gère tout. Finalement, je me suis rapprochée de lui pour apprendre. Je n’ai pas eu peur du tout. Au début, c’était surtout les vitesses qui étaient compliquées, mais maintenant, tout va bien. Nous générons des revenus.
Mon mari aussi m’encourage dans mon travail. J’ai besoin d’aide pour avoir mon propre camion, surtout un camion-remorque qui transporte des marchandises. Mon rêve est de posséder mon propre véhicule et de conduire des gros porteurs sur les routes du pays », explique Mme Baldé.
Thierno Alsény Baldé est le jeune frère d’Aissatou. C’est lui qui a initié sa sœur à la conduite du camion-benne familial. Il raconte :
« Au début, elle a émis le souhait de me suivre avec les apprentis. Elle observait attentivement. Un jour, elle m’a demandé des détails sur la conduite. Je lui ai expliqué sans trop y prêter attention, mais elle a tout retenu.
Avec le temps, elle a exprimé l’envie de conduire sous ma supervision. J’ai commencé par lui expliquer les bases sur un terrain plat. Elle a pris la direction et a avancé légèrement. Ma sœur assimile vite. Il y a des apprentis hommes qui ont mis plus de temps qu’elle pour comprendre ce qu’elle a appris rapidement. Finalement, elle conduit aussi bien à l’aller qu’au retour.
Maintenant, je suis avec elle régulièrement. Elle délaisse peu à peu le moto-taxi. Je suis tranquille quand Aissatou est au volant. Même lorsqu’il s’agit de charger les agrégats, elle prend part. Je pense que c’est l’héritage familial qui nous facilite la tâche.
Mon grand-père était chauffeur, mon père a hérité de ce métier, et nous, les petits-enfants, avons suivi. Mon grand frère, mon petit frère, moi-même, ainsi que ma mère, sommes tous chauffeurs. Ma sœur nous a rejoints, et c’est vraiment merveilleux », explique le petit-frère de la conductrice.
Neene Rouguiatou Diallo, mère d’Aissatou Bah, salue le courage de sa fille, un symbole de force et de fierté pour leur famille. Ancienne conductrice, elle s’est aujourd’hui reconvertie dans le commerce :
« J’ai reçu les félicitations de tout le monde quand ma fille a commencé à conduire des moto-taxis à Labé. Moi-même, j’étais dans la conduite avant d’arrêter. Quand Aissatou a voulu faire du moto-taxi, son père n’était pas d’accord au début, mais il a fini par accepter. Elle a osé conduire des motos, puis des petites voitures, et aujourd’hui des camions. Nous sommes fiers d’elle. Nous avons toujours soutenu son courage.
Elle ne cesse d’exprimer son envie d’avoir son propre camion. C’est pratiquement un homme ! Même la moto avec laquelle elle a commencé le taxi m’appartenait. C’est grâce à son courage que des ressortissants guinéens aux États-Unis lui ont offert une moto.
J’ai appris à conduire lorsque la ligne Labé-Daka était encore opérationnelle, bien avant l’avènement des moto-taxis à Labé. Son père possédait une Peugeot 504 Berline, et il m’a encouragée à apprendre. J’ai aussi conduit des camions, mais j’ai arrêté à cause de leur hauteur. Par contre, les petits véhicules, je les conduis toujours », témoigne la mère de Aissatou Bah.
Alhassane Baldé, un proche de la famille et convoyeur du camion, explique qu’Aissatou s’est bien intégrée dans leur équipe : « Aissatou aime ce qu’elle fait. Depuis son arrivée, nous travaillons en parfaite entente.
Elle ne présente aucun défaut. Même son mari l’encourage. Elle est venue avec la conviction de conduire coûte que coûte. Nous lui avons donné quelques conseils pour l’adapter aux gros porteurs, mais comme vous l’avez compris, la conduite est dans son sang. Nous sommes tranquilles avec elle au volant. Elle est à féliciter », déclare- ce membre de famille de Aissatou.
Il faut noter qu’à l’état civil, notre conductrice s’appelle Aissatou Baldé. Mais dans la vie courante, elle est plus connue sous le nom de Aissatou Bah d’où la nécessité pour nous de maintenir ce nom tout au long de cette narration.
Reportage réalisé par
Alpha Ousmane Bah
Pour africaguinee.com
Tel. (+224) 664 93 45 45
Créé le 6 mars 2025 11:34