Kalémodou Yansané : « Un gouvernement de transition n’a pas à inscrire les infrastructures routières comme une priorité… »
CONAKRY-Alors que le gouvernement de transition est dans une campagne de lancement de travaux de bitumage ou de réhabilitation des routes à travers le pays, Kalémodou Yansané, actuel vice-président de l’UFDG chargé des affaires économiques, affiche une certaine prudence sur la faisabilité des projets. L’ancien secrétaire général du ministère des Travaux Publics, ancien directeur national de l’entretien routier et ancien directeur national des investissements routiers a répondu aux questions d’Africaguinee.com.
AFRICAGUINEE.COM : Les autorités de la transition ont fait des projets d’infrastructures routières une de leurs priorités. Qu’est-ce que vous en pensez ?
KALÉMODOU YANSANÉ : Un gouvernement de transition n’a pas à inscrire les infrastructures routières comme une priorité.
Les transitions sont par définition brève alors que la mise en œuvre de projets sérieux d’infrastructures prend toujours assez de temps pour les études, le financement et la réalisation.
Il faut noter aussi que les infrastructures routières intéressent à égalité tout le monde, elles s’imposent à tous, riches et pauvres, c’est la chose la mieux partagée. Son état de praticabilité ou non, influence le transport de personnes et des biens.
On assiste à une vaste campagne de lancement de travaux de bitumage des routes çà et là à travers le pays. Que pensez de la faisabilité de ces projets ?
Le pays a la tradition de pose de première pierre parfois coûteuse et propagandiste. La plupart de ces chantiers se limite à cette cérémonie car ils sont abandonnés soit par manque de financement soit par manque d’étude cohérente ou l’incapacité de l’entreprise retenue.
Certains activistes dénoncent des cas de surfacturation, d’autres pointent des marchés par entente directe pour la réalisation ces infrastructures routières. Qu’en savez-vous ?
Je n’ai pas procédé à une analyse approfondie des prix unitaires mais les chiffres qui sont communiqués par la presse pour certaines rénovations nous indiquent clairement des prix hors-norme. Les entreprises sont toujours tentées de proposer des prix très forts si le jeu de la concurrence n’est pas observé à la passation et si l’entreprise n’est pas rassurée d’être payée à temps. Les tracasseries de circuits de paiement sont aussi prises en compte. Sachez que l’entreprise ne perd jamais car elle inclut toujours dans ses prix les factures que je viens de citer.
Parlons à présent du projet Simandou qui nécessite la construction de plusieurs infrastructures. D’après vous quelles en sont les conséquences sur celles existantes ?
La transition a trouvé le projet Simandou en place. C’est un projet important pour le pays, il n’est pas initié par le CNRD (Comité National du Rassemblement pour le Développement). La convention est passée à ma commission à l’Assemblée Nationale en 2017/2018.
Ce projet devrait booster l’économie globale du pays avec les sous-traitances, l’hôtellerie, les transports, les emplois locaux, le transfert de compétences, la formation etc.
Deux aspects que je déplore c’est d’abord :
- a) le transport lourd de gros porteurs routiers sans surveillance de la charge limite à l’essieux qui est de 11 t. Cela risque d’accélérer fortement la dégradation de la route RN1 et la RN2 sans mesure de compensation ;
- b) le port en eau profonde a été amputé du projet (d’après mes informations). Le transbordement en haute mer par barges provoque des effets négatifs sur l’environnement marin.
Revenant sur le premier point que vous avez évoqué, selon vous quelles pourraient être les conséquences ?
Les effets sont encore plus néfastes sur les routes en terre, par exemple le tronçon Forécariah -Moussaya -Kindia RN1. Le passage de 10 camions gros porteur de 35 tonnes sur une route en terre sous la pluie suffit pour dégrader cette route.
Les routes en général, les ronds-points de Conakry en particulier se dégrade très rapidement à Conakry. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cela ?
On peut dire que techniquement une route a droit d’un rond-point ou d’un virage serré se dégrade plus vite qu’ailleurs. Le phénomène est simple ; c’est à ces endroits que la chaussée subit plus de contrainte, induite par les freinages, les forces torsion provoquées par les gros porteurs qui en tournant les tours intérieures des véhicules ont tendance à tourner sur place en ‘’broutant’’.
Des phénomènes physiques complexes sont enregistrés à ces lieux avec les forces dites centrifuges et centripètes. Les ingénieurs calculent ces phénomènes dans le dimensionnement de la chaussée. Dans des zones trop fragiles on procède aux constructions en béton armé.
Que pensez-vous du projet de réhabilitation des aérogares au niveau des régions administratives du pays ?
Je préfère ne pas en parler. Pour N’zérékoré et Kankan à cause de la distance on peut comprendre. Pour Labé, je vous prie, faites d’abord la route Mamou-Labé, c’est l’urgence absolue. Je sais que les gens de Labé souhaitent voir leur aéroport réhabilité mais l’urgence c’est la route. Depuis 2 ans l’ex premier ministre Bernard Gomou a posé la première pierre. L’actuel ministre est encore dans les promesses. Les cubains ont construit cette piste en 45 jours.
Le gouvernement prévoit le lancement prochain d’une compagnie de plusieurs vols pour desservir les villes de l’intérieur du pays. Que pensez-vous d’un tel projet ?
Une bonne nouvelle, bonne promesse mais attendons de voir. Pour des vols, il faut des avions. On a vu le Président Alpha Condé dans un avion ici à Conakry et depuis, aucune nouvelle. On a vu le Président Mamadi Doumbouya avec 2 avions, ils sont où ? On attend.
Quel conseil avez-vous à prodiguer aux autorités dans le cadre de la construction des infrastructures ?
Avant de lancer les travaux de construction d’une route il est impératif de respecter toutes les phases techniques du projet qui commencent par l’étude de l’avant-projet sommaire APS suivie de l’étude d’avant-projet détaillé, APD par la suite rechercher le financement si les études attestent la rentabilité positive du projet.
Après obtention du financement, lancez les appels d’offres, sélectionnez de façon transparente l’entreprise et la mission de contrôle et lancez les projets. Si vous ratez une seule phase de ce processus les risques de rater le projet sont énormes,
Je peux vous citer 3 exemples : la Route Coyah-Farmoriah. On a cassé les maisons en estimant qu’elles se situent sur l’emprise du projet. Allez voir aujourd’hui des maisons décoiffées ou détruites à plus 5 à 10 mètres du fossé, la route est achevée. Pourquoi avoir démoli alors ces bâtis ?
2/le projet Kanazoe du Burkina Faso qui a décapé la route Kissidougou Kankan, pompé à des milliards de nos ressources. Et, le projet est dans nos bras mais nos sous ont disparu.
3/ le projet RN1 Coyah-Mamou-Dabola lancé sans étude sérieuse. On connaît la suite. L’entreprise même avait annoncé face aux critiques que l’étude se faisait à l’avancement. Les exemples font lésion. C’est toujours l’urgence qui est brandie comme argument.
Propos recueillis par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 29 juillet 2024 07:54Nous vous proposons aussi
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