Immigration clandestine : un passeur nous livre les secrets du voyage… (Exclusif)

passeur

LABE- Comment s’organisent les réseaux de passeurs de la Guinée jusqu’aux côtes européennes ? Comment se fait la traversée du désert pour les candidats à l’immigration clandestine ? Pour un des rares cas, un des passeurs a accepté de divulguer certains de leurs secrets. Pour des raisons de sécurité, ce passeur membre d’un réseau international, n’a pas voulu décliner son identité. Mais, il a accepté de répondre à toutes nos questions. Exclusif !!!

 

Bonjour Monsieur !

Passeur : Bonjour Monsieur le journaliste !

Aujourd’hui de nombreux jeunes immigrent clandestinement vers l’Europe en passant par la méditerranée. Les candidats font beaucoup parler d’eux mais rarement les passeurs. Merci d’avoir accepté de nous accorder cet entretien.

C’est gratuit !

Expliquez-nous ce gigantesque tour de passe-passe que vous faites pour aider les candidats à l’immigration à rallier les côtes européennes ?

Disons que tout commence réellement au Mali Bamako voisin. Vous voulez aller au Maroc, en Libye ou en Algérie, les différents chemins se prennent-là. Pour l’Algérie, comme les escrocs sont nombreux, ils te diront de multiples tarifs. Ils varient de 90.000 FCFA jusqu’à la frontière du mali, d’autres 20.000 voire 50.000 FCFA. Mais le transport officiel jusqu’à la frontière dans la ville de Gao, c’est 17.000 FCFA. Si vous partez en Algérie, vous devez changer de bus entre Mopti et Sevaré puis vous arrivez à la frontière. A Gao aussi il faut payer 25.000 FCFA pour traverser le désert. Il faut au moins 3 jours de route en voiture tout terrain, vous ressortez à Kidal parfois, une autre ville du nord Mali. A partir de là, les réseaux des passeurs, la plus part des Touaregs vous accueillent, ils vous préparent.

Ensuite ils vous conduiront à 1 km du premier village algérien à Timiyawi. A partir de là c’est un guide qui vous conduira à pied afin de contourner la frontière officielle où le contrôle est stricte. Ceux de l’Algérie vous récupèrent pour vous conduire dans un foyer. Dans les foyers il faut débourser de l’argent pour en sortir, donc une autre source pour certaines personnes. Ils exigent des montants allant de 15000 à 20.000 dinars équivalents à 1.500.000 à 2 millions de francs de guinéens.

Pour la Libye aussi le périple est presque le même. C’est Bamako-Niamey-Agadez ensuite Saba en Libye. Ça dépend de l’efficacité du réseau chez lequel vous êtes inscrits. Mais je précise qu’en Algérie il n’y a pas de traversée pour arriver en Europe. Soit vous partez en Libye ou au Maroc. La traversée est formellement interdite sur le territoire algérien. En Algérie, quand on vous appréhende dans ces cas de figures, passeurs et immigrés seront tous jetés en prison et oubliés là-bas.

Quel est le coût global de la traversée ?

En principe le tarif entre la Guinée et l’Italie, c’est 15 millions de francs de guinéens. Mais pour aller jusqu’à Alger, la capitale algérienne c’est 5 millions. Le contrat prend fin dès que tu arrives à Alger. Pour continuer, il faudra penser à une nouvelle négociation, certains préfèrent aller étape par étape tout comme d’autres payent le montant intégral qui peut les mener jusqu’aux côtes italiennes. Dans certaines situations aussi, après la traversée d’autres aussi demandent à ce qu’on les dépose en Allemagne tout dépend des négociations.

Comment le contact s’établi entre vous et les candidats et comment le prix de la traversée se verse à votre niveau ?

En Guinée, des personnes basées là nous signalent dès qu’ils voient un candidat potentiel. Nous appelons candidat potentiel, celui qui est déjà prêt. Soit tu verses l’argent ou tu donnes une personne qui est garant dès que tu traverses il nous verse le montant. A ce niveau il faut préciser que c’est au Maroc seulement qu’on prend la garantie, en Libye c’est obligatoire de verser avant toute traversée. En Libye, on t’aide à arriver à Tripoli si ton argent est prêt dès que tu arrives on te met à la disposition du réseau qui te gardera près de la mer jusqu’au jour où ils auront le nombre requis pour le départ. Parfois aussi si le correspondant en Guinée prend l’engagement de payer ta traversée quand tu traverses, là aussi les touaregs peuvent te faire confiance, en ce moment c’est le correspondant qui gère avec la famille du candidat.

Quels sont les obstacles que vous rencontrez ?

Les obstacles, c’est les multiples barrages sur les routes entre le Mali et les pays du Maghreb. Il faut beaucoup d’arrangement avec les services de sécurité postés à ce niveau. Eux aussi trouvent leur pain dedans afin qu’ils ne bloquent pas la vague des migrants notamment ceux qui ont pris contact à partir de leur pays d’origine. Pour ceux qui se débrouillent eux-mêmes pour arriver dans le Maghreb, nous ne prenons pas en compte leur cas, en cas d’arrestation en cours  de route c’est à leur risque et péril, et la plupart des cas c’est ceux là qui se font arrêter en cours de route.

L’autre difficulté la plus dure, c’est la traversée du désert, si vous êtes en rupture d’eau personne ne vous en donnera, beaucoup meurent dans le désert par manque d’eau avec une chaleur torride la journée, et la nuit une fraicheur qui ne dit pas son nom se fait sentir. Il faut se préparer à tout. Pour être bref, beaucoup des choses imprévisibles et inattendues peuvent vous hanter à tout moment. Quand les véhicules bougent il n’y a pas d’arrêt. C’est avec avec des allures qui dépassent l’imagination. Dans ces  circonstances beaucoup tombent malades en cours de route du fait n’être pas habitués à ces genres de difficultés. C’est Dieu qui protège mais le désert est difficile. Parfois on peut avoir pitié des mineurs qui sont vulnérables, nous les  conseillons entre nous sans que le réseau ne se rende compte pour qu’ils renoncent mais ils sont beaucoup plus courageux. Et comme c’est eux qui payent la traversée, tu ne pourras rien.

Vous êtes conscients que vous faites un travail suicidaire. Pourquoi alors ne pas abandonner ?

Ecoutez, au début j’étais candidat à l’immigration, mais une fois arrivée dans le Maghreb, avec le retard, j’ai pu m’intégrer, j’ai compris qu’il y a l’argent dans cette affaire si tu es affilié à un bon réseau. Pendant deux ans j’ai vécu dans le Maghreb. Les passeurs deviennent banalement des millionnaires en euros, mais je ne compte pas rester dans ça jusqu’à la fin de ma vie, c’est pourquoi d’ailleurs je suis beaucoup plus fréquent en Afrique de l’Ouest où je recrute les candidats où il y a moins risques. Mais le réseau est présent partout aujourd’hui même au sein de la croix rouge européenne ou au sein des garde-côtes, il y a des complicités partout.

Si nous prenons la Guinée, dites-nous quel est l’épicentre de l’immigration clandestine ?

Des fils de toutes les régions s’engagent, mais la région de Mamou bat le record. Dans un groupe de 10 candidats, au minimum, 6 sont de Mamou. Dans certains cas tout le groupe peut provenir des différentes localités de cette région. Mamou semble être la région la plus audacieuse dans cette affaire (éclats de rire). Il suffit de s’asseoir 10 minutes dans une gare routière de Bamako, tu verras les parents de Mamou comme si tu étais chez eux.

Dans la sous-région quels sont les pays les plus touchés ?

En Afrique de l’Ouest, c’est la Guinée, la Gambie, le Sénégal, le Liberia et la Côte d’ivoire qui sont devant tout le monde dans les chiffres des flux.

Est-ce qu’il y a des codes pour distinguer les vrais candidats à l’immigration par rapport aux taupes ou des policiers  qui cherchent à vous traquer ?

A ce niveau ça ne pose aucun problème ! D’ailleurs aucun pays de l’Afrique de l’ouest ne cherche à mettre main sur quelqu’un. Les candidats sont facilement reconnaissables au niveau des gares, venez juste vous postez dans une gare. Ce n’est pas un problème, chacun cherche à convaincre les gens qui parlent  la même langue que lui. Pleins de guinéens sont sur le trajet ici. Ils parlent pular, maninka, Soussou et autres. C’est valable pour les autres pays voisins.

Comment vous vous sentez quand vous embarquez des personnes dans des embarcations de fortune sans avoir l’assurance qu’elles arriveront à destination ?

Bon à ce niveau, les émotions sortent quand ce moment arrive. Mais bon, on ne peut rien. Les embarcations sont différentes, il y a des bateaux plus ou moins solides où vous payez 1000 euros, il y a d’autres qui font payer entre 300 et 500 euros mais avec de forts risques que le bateau coule en mer.

Aucun passeur ne manœuvre les pirogues ?

Evidemment ! Il n’y a pas de passeurs dans les pirogues. On forme un clandestin pendant une semaine au maximum pour conduire le bateau. On lui donne le réseau avec un GPS pour la localisation. Il y a une limite même dans les eaux, entre les eaux africaines et les eaux des côtes européennes. C’est des choses qu’on apprend aux conducteurs, une fois qu’ils arrivent à un stade de la mer où l’eau donne une couleur bleue et plus propres, qu’ils sachent qu’ils sont déjà dans les eaux européennes. Dans plusieurs cas un talkie-walkie est remis aux conducteurs, avec le numéro de la croix rouge qu’ils peuvent appeler pour les secours. C’est bien organisé. Si le voyage n’est pas bien organisé, c’est sur les eaux africaines que les gardes côtes ou la croix rouge vous trouve, ils vous reconduisent directement sur les côtes africaines. Mais même si c’est un mètre que vous faites sur les eaux européennes, dites-vous que vous êtes sauvés si la pirogue ne chavire pas, vous serez conduits dans les centres d’immigration en Europe notamment en Italie vers la Sicile.

 Au début je vous parlais de complicité, on sait à quel moment nos hommes sont de garde que ça soit les gardes côtes ou la croix rouge du côté de l’Europe. Ils viennent au secours. Il y a des contrats c’est jusqu’en Italie, il y en a d’autres c’est jusqu’en Allemagne.

Est-ce qu’il y a des candidats à l’immigration qui désistent à l’heure de l’embarcation ?

Oui ça se fait. Des désistements se font une fois qu’ils voient le mouvement des eaux, mais quand tu arrives au point d’embarcation, tu n’as aucune possibilité de te retourner, les touaregs, les arabes ou les berbères n’acceptent pas qu’un candidat qui a vu le point d’embarcation rebrousse chemin. Les raisons sont simples, c’est pour ne pas qu’il divulgue aux autres ce qu’il a vu qui pourrait décrocher les autres. Si vous désistez, on vous embarque de force, on peut même vous ligoter, vos amis vont vous détacher quand vous serez en haute mer, là vous ne pourrez rien. Si quelqu’un retourne il va décourager ceux qui ont déjà payé leurs traversées. Donc on ne permet à personne de dissuader les candidats. Même si vous accompagnez quelqu’un alors que vous n’êtes pas candidats, vous ne revenez pas à moins que vous soyez passeurs aussi. Si vous accompagnez quelqu’un et que vous descendiez au point de l’embarcation même si vous n’avez pas payé votre traversée, on vous met dans la pirogue de peur que vous racontiez quoique ça soit. C’est la règle Monsieur le journaliste.

On voit tout là-bas vous pouvez voir des corps humains morts en pleine mer que les eaux ont ramené aux côtes avec des odeurs insupportables.

En suivant ces différents trajets, combien de pays traverse-t-on avant d’atteindre les côtes européennes ?

Il y a deux pays aujourd’hui. C’est la Libye et le Maroc, en Libye c’est seulement en bateau, au Maroc il y a l’assurance, mais c’est très cher. Il y a au moins trois moyens au Maroc, il y a la mer, les grillages en voiture. Au niveau des grillages ce n’est pas payant, il suffit de se mettre dans la forêt, la nuit tu tentes ta chance pour atteindre l’Espagne, mais si la police te repère aussi tu t’en sors avec des blessures et tu retournes. Beaucoup sont rentrés par là, récemment c’est 200 personnes qui sont passées par là. Il y a de petits bateaux de certaines organisations qui font la navette entre ces pays, si vous payez 1500 ou 2000 euros on vous met dedans, parce que c’est rare qu’on fouille ces bateaux. Il y aussi une bretelle qu’on traverse en voiture, des organisations internationales sont dans la zone, si vous vous entendez dans 15 minutes tu te retrouves sur le territoire espagnol, mais ça peut vous couter 4500 euros. Mais ce n’est pas à la portée de tous.

Quelle est la clé de répartition des montants que les passeurs gagnent ?

Là c’est secret, chacun a sa part je ne souhaite pas aller en profondeur, parce que chaque réseau à ses règles internes.

La Guinée aurait mis dans son nouveau code pénal des articles qui répriment les passeurs des peines allant de 3 à 5 ans de prison. Qu’en dites-vous ?

Bon ! Je ne suis pas informé et  personne ne  m’en a parlé. Mais en Sierra Leone on arrêtait  des gens. Lors de mon dernier séjour à Freetown, ils recherchaient un certain KALOON dont le bateau a chaviré avec 200 passagers qui sont morts aux larges de la Libye. Il a quitté le pays mais il est activement recherché, je précise que c’est un autre Kaloon ce n’est pas le footballeur plus connu d’ailleurs.

Ces derniers temps, les voyages ne réussissent pas. Il y a beaucoup d’accidents et de pertes en vies humaines. N’envisagez-vous pas de changer de stratégie ?

Oui c’est vrai. Il faut savoir la période à laquelle, il faut voyager. Actuellement c’est l’hiver, c’est la neige, il y a trop de vents, les pirogues ne supportent pas tout ça. Pratiquement il faut renoncer au voyage entre septembre et janvier de chaque année. Le moment propice c’est entre février et Août, surtout en juin, début septembre, c’est l’été avec une nature ensoleillée, moins de vents. Mais beaucoup quittent sans connaitre l’état de la nature. Et quand ils arrivent il n’y a pas question de se retourner, il faut tenter la chance comme on le dit.

Un dernier mot ?

Écoute je gagne un peu ma vie dedans mais il m’arrive parfois de penser profondément aux morts en cours de route. Je vois également la pauvreté dans les familles qui poussent les enfants à se dire il faut que j’aille pour changer la vie de la famille. Il faut dire que les grands passeurs sont devenus des millionnaires en euros. Ils circulent dans des vehicules tout terrain sortie d’usine, tout ça est issu de l’immigration clandestine. Les uns meurent, d’autres s’enrichissent.

Merci à vous

Merci. Rassurez-moi que mon identité ne sera pas divulguée.

 

Interview réalisée par Alpha Ousmane Bah

À Labé

Tel. : (+224) 657 41 09 69

 

 

 

 

Créé le 6 décembre 2016 19:29

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