Frontières, cas Gaoual et cie, déguerpissement, Inidh: Dr Alia Diaby parle…

Dr Alia Diaby, Président de l'INIDH

CONAKRY-Le président de l’Institution Nationale Indépendante des Droits Humains (INIDH) a brisé le silence. Dans une interview accordée à notre rédaction, l'universitaire  parle du rôle, des acquis et des défis de son institution, mais aussi des sujets brûlants du moment. Dr Alya Diaby se prononce sur le dossier des détenus politiques, la fermeture des frontières, le maintien d'ordre, les sanctions de l’Union européenne… D'autres questions d'actualité ont aussi été abordées dans cette interview exclusive.

AFRICAGUINEE.COM : Votre institution est chargée de promouvoir et de protéger l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de la personne humaine, de prévenir la torture et toutes autres peines ou traitement inhumains ou dégradants. Qu’en est-il de son action depuis son installation ?

 ALIA DIABY : L’Inidh dans sa version actuelle est à mi-chemin entre la Constitution de 7 mai 2010 en fonction de laquelle elle a été constituée et la Constitution du 22 mars 2020 qui la consolide et donne les conditions de sa recomposition et renvoie à la Loi organique que nous attendons. Nous avons été installés en fin 2014 et les travaux ont commencé en début 2015. Mais l’institution a connu des difficultés. Jusqu’en 2018, elle n’avait pas encore tenu sa première assemblée plénière. A partir de 2018, nous avons été élus à la tête de cette institution et le nouveau bureau que j’ai l’honneur de diriger a organisé d’avril 2018 à maintenant plus de 79 réunions hebdomadaires, 20 concertations électroniques assorties de 18 résolutions. Au moins, nous avons assisté à 5 rencontres régionales. Nous avons publié trois rapports annuels dont celui de 2017, 2018 et 2019. Nous avons également publié 13 rapports circonstanciels sur diverses questions : les prisons, le monitoring des élections, les déguerpissements. Mais l’Inidh est une institution constitutionnelle qui est chargée de la promotion et de la protection des droits, nous ne sommes pas une Ong de dénonciation. C’est pour cela que vous ne nous entendez pas faire du bruit parce que le bruit nuit à l’efficacité du travail que nous sommes en train de faire.

Ces différents rapports sont-ils accessibles au public ou c’est à l’intention du gouvernement seulement ?

D’abord, les rapports sont adressés officiellement aux autorités compétentes particulièrement au président de la République, aux institutions comme l’Assemblée nationale. Mais les rapports ne sont pas secrets, ils sont mis à la disposition de la presse en particulier et à toute autre personne qui les demande. Les deux premiers rapports sont sur notre site internet. On a un bureau des archives, vous pouvez voir tous les documents de l’institution y compris les PV des réunions dont je parle. Nous sommes un service public transparent, il n’y a absolument rien à cacher. Au cours de nos plénières, on fait le résumé du trimestre. C’est comme ça qu’on a l’habitude de faire. Mais vous savez quand on est dans la négation, on nie même l’évidence. On ne peut pas faire un jeu de ping-pong avec des gens. En décembre 2020, nous avons publié un document bilan de tout ce qui a été fait. Si nous devons être jugés c’est sur la base des faits concrets et non pas des impressions et des suppositions qui, parfois, relèvent des valeurs axiologiques.

Qu’est ce qui est ressorti du rapport circonstanciel sur les déguerpissements ?

Le premier rapport circonstanciel concernait Kaporo-Rails parce qu’il y avait une sorte de confusion. A l’époque, nous avions déterminé la part de responsabilité pour dire tout ce qui était documenté et sur lesquels l’Etat avait un titre foncier, on l’a déterminé. Ceux qui devaient, d’une certaine mesure, être dédommagés cela aussi a été dit. Mais sur le cas spécial du dégagement des emprises des voies, l’institution n’a pas encore fait un rapport pour plusieurs raisons. Parmi lesquelles, nous sommes à mi-chemin, nous fonctionnons sur la base de l’ancienne Constitution, l’institution qui doit être mise en place au compte de la nouvelle Constitution ne l’est pas encore. Donc, il y a un déficit de légitimité, ce qui fait que nous sommes en train de faire en sorte que la transition ait lieu le plus tôt possible. (…) Les deux constitutions ne sont pas en contradiction par rapport à l’existence de l’Inidh. Mais sur la base de la nouvelle Constitution, une nouvelle loi organique doit être adoptée concernant l’Inidh. Pour l’instant, nous sommes là jusqu’à l’adoption de cette nouvelle loi. Si elle est adoptée, une recomposition va s’imposer parce que le mandat du groupe actuel est passé depuis le 30 décembre 2020.

A l’élection de votre bureau en avril 2018 vous vous étiez donnés pour défis la création d’une clinique juridique, l’institution de la palme nationale des droits de l’homme, la publication des rapports annuels et l’alignement de l’Inidh aux standards internationaux. Où en êtes-vous ?

A ce stade, je suis très à l’aise. Nous vous informons que la clinique juridique a été créée à la tête de laquelle se trouve un spécialiste qui est docteur en droit et avocat au Barreau et qui est secondé par un praticien des questions des droits de l’homme. La plupart des plaintes individuelles qui ont été portées, c’est la clinique juridique qui a fait le travail. Aujourd’hui, si nous pouvons attester avoir traité de plaintes individuelles c’est grâce à la clinique. Par rapport à la Palme nationale, elle a été effectivement instituée et a déjà été attribuée à 3 reprises. La première Palme a été attribuée à des personnalités religieuses pour leur contribution à la paix sociale. La 2e Palme a été attribuée à une association des femmes pour leur implication depuis près de 2 décennies à la défense de la cause de la femme. Et la 3e Palme a été récemment attribuée à Elhadj Fofana, ministre chargé des relations avec les institutions pour sa contribution au développement des questions des droits de l’homme que ça soit au niveau de l’Inidh, à l’Assemblée nationale ou du Médiateur.

Au-delà de la Palme, je vous disais tantôt qu’on a publié 3 rapports annuels. Nous avons également participé à plusieurs rencontres régionales. Il y a en particulier une question qui reste en suspens, c’est l’alignement derrière les standards internationaux autrement dit la question des principes de Paris. C’est une question qui peut diviser, prêter à polémique, mais c’est la nouvelle loi organique qui, à mon avis, va régler ce problème. C’est la première résolution de la première assemblée plénière de l’institution en 2018 qui avait recommandé l’adoption d’une nouvelle loi pour aligner l’institution sur les standards internationaux. Donc, cette mesure, malheureusement, ne peut pas être prise par le bureau exécutif, il faut qu’elle intervienne par l’effet d’une loi organique que nous attendons.

Qu’est-ce que cet alignement va changer au sein de l’Inidh ?

On reproche à l’Inidh sa composition. On estime qu’il y a plusieurs représentants de l’Etat et surcroit qui ont le droit de vote. La société civile veut que les représentants de l’Etat n’aient pas le droit de vote. En dehors de ces considérations, il faut dire que les principes de Paris quand on parle d’indépendance des institutions, c’est au niveau de la création. C’est-à-dire qu’il ne faut pas que ça soit créé par un acte de l’Exécutif. Or, nous, notre institution a été créée par la Constitution, dotée d’une loi organique donc son indépendance statutaire est affirmée. Maintenant, les autres questions peuvent venir, notamment sa composition, les modes de désignation. Aujourd’hui, le point d’achoppement c’est la présence des représentants de l’Etat et leur droit de vote, mais cette question ne peut être tranchée que par la nouvelle loi organique.

Concernant la clinique juridique, qui est sensé saisir l’Inidh et comment ?

D’abord, les individus victimes d’une violation de leurs droits peuvent saisir l’institution de plainte individuelle. L’institution fait des enquêtes, des constatations et tente de remédier aux violations en général. En dehors des individus, l’institution peut être saisie par des entités pour soit saisir la Cour constitutionnelle pour des questions notamment d’exception d’inconstitutionnalité. Mais, la nouvelle Constitution ne contient plus l’exception d’inconstitutionnalité. Là aussi nous attendons la nouvelle loi organique sur la Cour constitutionnelle pour voir la place que l’exception d’inconstitutionnalité va avoir sur le système. C’est surtout des plaintes individuelles, mais il n’est pas interdit à un groupe de saisir l’institution. Par exemple, on avait été saisi par le collectif des victimes de Kaporo Rails. La dernière saisine c’est un fonctionnaire du ministère des Finances dont le salaire a été bloqué pendant plus d’un an. Il a gagné devant les juridictions et le ministère a refusé d’exécuter la décision. Nous avons été obligés d’écrire au ministre des Finances pour lui rappeler les obligations quant à l’exécution des décisions de justice. Mais comme le problème persiste, on a été obligé de référer la question au Médiateur de la République les constatations sur tous les cas de saisine, il y a un document ouvert vous pouvez vous-mêmes en prendre connaissance.

A quel moment peut-on saisir votre institution ?

L’Inidh est un organe quasi-juridictionnel. Nos constatations sont mi juridictionnelles, mi administratives. Mais lorsque les juridictions sont saisies d’une question, l’Inidh ne peut pas trancher même si elle est saisie. Aussi longtemps qu’une question est pendante devant la justice, on n’est pas concerné. Par contre, si avant de référer la question à la justice, vous saisissez l’institution dans la mesure du possible et qu’il y ait arrangement puisque tout n’est pas obligé d’être réglé par des mécanismes strictement juridiques. Une fois, il y a un jeune guinéen dont le taxi avait été immobilisé à la fourrière, il s’est plaint de l’abus de la police. Nous avons envoyé des commissaires pour vérifier les informations, finalement, on lui a remis sa voiture dans la soirée et il est rentré chez lui. Le lendemain, il m’a rappelé pour dire qu’on lui a retiré 50 mille Gnf, je lui ai dit que c’est sa parole contre celle de l’officier qu’il accuse et nous n’avons aucune preuve pour vérifier l’exactitude de son accusation. Il arrive qu’on arrête des individus et qu’on les emprisonne.

Quand on est saisi, on s’informe et si c’est abusif, on essaie de voir. Il est arrivé lors de nos missions que nos commissaires se rendent compte que des personnes qui ne devaient pas être arrêtées le sont. Nos commissaires sont intervenus à Labé, à Nzérékoré auprès des procureurs pour que ces personnes soient libérées. Finalement, on obtient satisfaction. Ce genre de travail, vous ne pouvez pas faire du bruit. Parce que si un procureur arrête quelqu’un et que vous sortez à la radio pour le dénoncer, il ne va pas être prêt à vous recevoir. Nous faisons un travail un peu ingrat, mais nous avons des résultats puisque si vous lisez nos rapports, vous comprendrez combien de personnes ont été libérées. De ce point de vue, l’institution fait son mieux.

Est-ce que votre décision est contraignante ? 

C’est une question relative. En principe, les décisions de l’Inidh devraient être exécutées et suivies par toutes les autorités. Il peut y avoir des difficultés d’interprétation ou de compréhension, mais la loi dit qu’on peut faire cesser les violations. Cela suppose que l’institution a en son sein une unité mixte de police, de gendarmerie et de l’armée pour faire arrêter les violations. Ce qui n’est pas encore le cas. Les réformes projetées devraient pouvoir régler ces questions.

En Guinée c’est devenu une habitude qu’à chaque manifestation, on enregistre des morts. Comment cette situation est-elle vécue par l’Inidh ?

C’est avec beaucoup de regret que nous assistons à cette situation. Même un mort, l’Inidh a l’habitude de dire que c’est trop. Un certain nombre d’éléments participe à cela parmi lesquels l’intention ou la volonté des individus de rendre justice. Quand il y a mort, il faut se poser la question qui en est l’auteur. Si un citoyen tombe au cours d’une manifestation ça pose problème de savoir est-ce que c’est la police ou la gendarmerie. Si c’est un agent qui est attaqué qui est responsable. Vous savez l’Etat accuse les manifestants qui, à leur tour, accusent les forces de l’ordre. Mais en vérité, il y a une loi sur le maintien de l’ordre public. Si cette loi était respectée, je crois que des deux côtés on ferait des manifestations pacifiques comme le souhaite l’Inidh.

Avez-vous eu un échange avec le gouvernement sur la gestion du maintien de l’ordre public pendant les manifestations ?

En 2019, l’Inidh avait fait une journée nationale de concertation sur les violences en général. L’armée, la police, la gendarmerie et toutes les composantes étaient représentées. Chacun a pris la parole pour exprimer son opinion. On s’est rendu compte que les Guinéens parlent beaucoup, mais ne se parlent pas assez. Le rapport que nous faisons sont transmis à qui de droit et nous attendons que des conséquences soient tirées. Tous nos rapports contiennent des recommandations au gouvernement en général, aux ministères de la Défense, de la Justice et des fois au personnel judiciaire, aux partenaires internationaux. Nous ne pouvons faire que des recommandations quant à leur exécution cela relève de la bonne foi de nos partenaires.

L’un des rôles de votre institution c’est de veiller au respect des engagements de la Guinée envers la Cedeao, l’Union africaine et les Nations unies. Qu’en est-il de la fermeture des frontières ?

La question des frontières relève, à la fois, de la compétence des ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur, de la Sécurité. C’est une question gérée par le gouvernement qui est responsable de la défense et de la sécurité du pays. L’Inidh conseille le gouvernement par rapport au respect de nos engagements. Par rapport à la Cedeao, il y a le principe de la libre circulation des personnes et des biens. Mais lorsque la sécurité intérieure d’un Etat est menacée, il a le droit de fermer ses frontières. Le droit qu’il n’a pas c’est de continuer durablement et abusivement à garder les frontières fermées. Mais pour un temps déterminé afin de permettre à l’ordre public de se rétablir, à mon avis les Etats sont libres de fermer ou d’ouvrir leurs frontières en tenant compte de leurs intérêts nationaux et du contexte sous régional. Pour le cas de la Guinée, la frontière avec la Sierra Leone a été ouverte après les négociations entre les deux entités. J’espère que les frontières avec les autres Etats vont suivre.

Plusieurs Ong internationales ainsi que les Etats-Unis et l’Union européenne ont dénoncé les violations des droits humains dans notre pays notamment les arrestations arbitraires, les détenus politiques, l’interdiction des manifestations. Leur constat vous semble-t-il objectif ?

Le rôle de l’institution ce n’est pas de donner raison aux Ong et donner tort à l’Etat ou vice-versa. Nous ne faisons que prendre acte des rapports fournis par les Ong sans commenter parce que tout commentaire est une prise de position. Nous-mêmes nous faisons nos propres rapports dans lesquels nous exprimons la position de l’institution.  

La détention des certains leaders politiques polarise le débat. Comment appréciez-vous la gestion de ce dossier ?

Nous avons souhaité que le dossier là soit traité avec parcimonie et célérité parce que ce qui est en cause c’est la liberté des individus et donc des citoyens. Nous avons dû comprendre les motifs notamment de sécurité intérieure pour que certaines personnes, en raison de la gravité des infractions qu’on leur reproche, puissent être retenues en détention préventive. Dans les deux cas, l’essentiel, il faut qu’on sache qui est responsable et qui ne l’est pas dans un procès équitable. C’est que l’Inidh pourrait faire c’est de monitorer le procès s’il y a lieu pour voir le respect des droits de l’homme. A l’institution indépendante des droits humains, on ne peut s’aligner ni derrière l’opinion de personnes qui supportent les détenus, ni derrière intrinsèquement la position défendue par le gouvernement. Nous avons une obligation de neutralité qu’impose la Constitution.

Comment améliorer la situation des droits humains dans notre pays ?

De mon point de vue, c’est d’abord faire des lois dignes de ce nom. Ensuite, il faut que les citoyens connaissent leurs droits et les limites de ces droits. Il faut former et informer le citoyen. Lorsqu’il est formé au civisme, cela change beaucoup de choses. On se rend compte que les gens commettent beaucoup d’excès par ignorance et non pas par volonté. Il faut faire respecter la loi par ceux qui en ont le droit. Il faut donner suite à l’exécution des décisions de justice et puis, il faut se parler, le dialogue est un élément fondamental sur le terrain des droits. Toutes les réclamations ne s’obtiennent pas dans la violence. On peut arranger beaucoup de choses par le dialogue. C’est comme ça que les autres nations se sont développées et nous ne pouvons pas procéder autrement. 

Votre dernier message ?

Nous souhaitons que les droits de l’homme se portent mieux à l’avenir dans notre pays et nous souhaitons que la nouvelle loi organique dote la Guinée d’une institution nationale indépendante des droits humains plus robuste que celle que nous avons maintenant dont les résultats seront plus promoteurs. On l’espère…

Interview réalisée par Abdoul Malick Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 669 91 93 06

Créé le 20 mai 2021 11:50

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