François Patuel d’Amnesty International : « Il y a un réel problème d’impunité en Guinée… »

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CONAKRY- Alors que le Gouvernement a tenté de minimiser l’ampleur de la violation des droits humains en Guinée, Amnesty International est revenu à la charge pour justifier le contenu de son rapport.

François Patuel, chercheur pour l’Afrique de l’ouest à Amnesty International a accepté de se confier à la rédaction d’Africaguinee.com. Dans cet entretien, M. Patuel a exprimé des inquiétudes de son organisation face à la situation de violation des droits de l’Homme en Guinée. Avec lui, il a été également été question de la décision des autorités de Conakry d’interdire parfois les manifestations. 

 

AFRICAGUINEE.COM : Vous avez produit un rapport qui décrit une situation assez inédite de la dégradation des Droits de l’Homme ces 5 dernières années en Guinée. Après la publication de votre document, le Gouvernement l’a récusé. Dites-nous sur quoi vous avez fondé votre rapport ?

FRANÇOIS PATUEL : Nous nous rendons régulièrement en Guinée. A ces occasions, nous nous entretenons avec des victimes, des blessés, le personnel médical. Nous avons échangé avec plus de 100 personnes y compris les autorités nationales. Nous avons échangé par exemple avec le Ministre de la Justice, aussi avec le Ministre de la Sécurité et de la Protection Civile et celui en charge l’Unité Nationale et de la Citoyenneté. C’est vraiment le fruit d’un dialogue que nous avons eu avec les autorités guinéennes depuis ces dernières années. Je pense qu’il est important de rappeler ici que ces autorités ont également reconnu des difficultés lors de nos entretiens, notamment le fait que beaucoup de manifestations avaient été interdites et que ces interdictions avaient donné lieu à des violences qui étaient inutiles. Il y a également un problème avec l’arrestation des journalistes et des militants pros démocratie comme les leaders du FNDC (Front National pour la Défense de la Constitution, Ndlr). Et enfin un réel problème d’impunité avec l’ensemble de ces violations qui se commettent dans un climat d’impunité. Il y a très peu d’affaires qui sont portées près de la justice quand il y a des violations des Droits Humains.

Pourtant les autorités guinéennes estiment que votre rapport n’est pas bien fourni et qu’il omet intentionnellement les efforts fournis par le Gouvernement pour l’amélioration de la situation des Droits de l’Homme du pays. Qu’en pensez-vous. 

Pour l’instant, nous avons surtout vu le compte rendu du conseil des ministres. Nous pensons c’est quelque chose qui est positif. Ensuite c’est vrai que dans ce compte rendu il a été mentionné que nous n’aurions pas insisté suffisamment sur les points positifs. Pourtant, nous l’avons fait dans le rapport. Nous avons évoqué notamment l’abolition de la peine de mort, nous avions évoqué la criminalisation de la torture et du mariage précoce et du mariage forcé. La confirmation de la criminalisation des mutilations génitales féminines. Nous avons quand-même noté un certain nombre de points positifs.

Maintenant, il faut aussi pouvoir noter les éléments où la Guinée a des progrès à réaliser, puisque c’est en se rendant compte des difficultés qu’on peut essayer de trouver des solutions. Tant que les autorités fermeront les yeux ou refuseront de reconnaitre les arrestations des militants pros démocratie, ou persisteront sur l’interdiction arbitraire de manifester en muselant les acteurs par l’usage excessif de la force, bien malheureusement les problèmes ne seront pas réglés. Dans ces conditions, notre institution Amnesty International, comme les Nations-Unies ont pu le faire par le passé, évoquera ces difficultés. 

Le Gouvernement dit aussi que ce rapport est un peu en contradiction avec celui qu’il a établi et qu’il entend présenter en janvier prochain à Genève lors de son examen périodique universel ?

Tant mieux, c’est tout l’objectif d’un rapport de la société civile. La société civile peut soumettre un rapport aux Nations-Unies à l’approche de l’examen périodique universel. C’est justement pour compléter en réalité les rapports qui sont faits par les autorités nationales. Parfois ces autorités peuvent prendre du recul par rapport aux actions qu’elles ont menées ou par rapport aux résultats de ces actions. Il est important que la société civile puisse le mentionner. Si la société civile ne faisait que répéter ce que fait le Gouvernement dit dans un rapport, vous vous rendrez bien compte que ça aurait très peu d’intérêt. 

Notre objectif est de dire qu’il y a des progrès ou bien qu’il y a des mesures à prendre pour aboutir à des résultats. Et c’est important que la société civile puisse le faire librement sans qu’on nous taxe de manque de professionnalisme ou d’indépendance.

Au lendemain même de la publication de votre rapport, il y a eu de nouvelles violences meurtrières. Selon vous qu’est-ce qu’il faut faire pour mettre un terme définitif à ce cycle de violence en Guinée ?

La première des choses est d’arrêter d’interdire de manière arbitraire les manifestations. Nous avions posé la question à la Direction Nationale de la Police de savoir « comment se fait-il à quelques jours d’intervalles, il y a des manifestations avec des décès et d’autres non? » La Police a tout naturellement répondu en disant que quand les manifestations sont interdites ça pose problème. Parce que d’un côté les manifestants considèrent que c’est leur droit de manifester et de l’autre côté, le fait de braver l’interdiction constitue un affront à l’Etat. Pour nous c’est un vrai problème, puisque ce n’est pas parce qu’une manifestation est interdite que l’usage des armes ou de la force soit forcement légitime. Tant qu’il n’y a pas une menace grave à la vie par exemple, on ne devrait pas faire usage d’arme à feu dans un contexte de manifestation. Le second point c’est quand il y a des bavures policières, il faut savoir les reconnaitre, il faut savoir diligenter des enquêtes et quand les personnes suspectées responsables de ces violations sont identifiées il faut qu’elles soient présentées devant les tribunaux. 

Notre constat est qu’on suit une douzaine de plaintes depuis 2015, il n’y a qu’une seule qui a abouti à une condamnation, les autres il n’y a aucune avancée dans les enquêtes. Les familles n’ont même pas été recontactées au sujet de leurs plaintes et il y a une situation d’impunité. Malheureusement ça donne un sentiment qu’on peut violer la loi en toute impunité, cela ne dissuade pas en fait les forces de sécurité de commettre des violations de nouveau. Puisque de toute façon, elles pensent pouvoir échapper à la justice. 

Le Président Alpha Condé a récemment déclaré qu’il y a des gens qui tuent des manifestants pour ternir l’image des forces de l’ordre. Votre réaction ? 

Tout à fait, le fait que les autorités ne reconnaissent pas leur responsabilité dans cette situation est un vrai problème. C’est pour cela qu’on dit qu’il faut une prise de conscience. Si quelqu’un comme le chef de l’Etat dit que ce sont des personnes infiltrées dans les manifestations, il faut qu’il y ait des preuves et il faut qu’il puisse donner les résultats des enquêtes, il faut des suites qui soient données aux plaintes. Si les auteurs sont identifiés, pourquoi est-ce que le parquet ne poursuit pas quand il y a des plaintes qui sont déposées ? Il y a un vrai problème. 

Si c’est soi-disant des personnes qui sont habillées en tenues des forces de l’ordre, il faut les identifier et qu’il y ait des poursuites. Pour l’instant à notre connaissance, il n’y a eu qu’un seul élément des forces de sécurité qui a été poursuivi. Le reste, personne d’autre n’a été inquiété. Si on fait des annonces comme cela il faut que cela soit suivi par des rapports d’enquêtes et qu’il y ait des poursuites judiciaires. Pour l’instant ce n’est pas le cas. 

Votre rapport évoque aussi le volet juridique lié à l’encadrement du maintien d’ordre en Guinée. Est-ce que vous pouvez développer les principales inquiétudes d’Amnesty International ? 

La loi sur le maintien d’ordre, le code pénal et la loi sur l’usage des armes par la gendarmerie, donnent plutôt des autorisations aux forces de sécurité d’utiliser la force voire les armes. Or, en Droit International des droits de l’Homme, il y a des standards extrêmement clairs qu’on ne peut pas franchir s’il n’y a pas une base légale qui soit conforme au droit international. Pour l’instant cette base légale n’est pas conforme au droit international en Guinée. Par exemple, la loi sur le maintien d’ordre, le code pénal et la loi sur la gendarmerie prévoient que les forces de sécurité peuvent utiliser la force pour défendre leur position. Ce sont des dispositions qui sont vraiment militaires qui n’ont rien à voir à faire dans un contexte de maintien d’ordre en droit international des droits de l’homme.

On ne peut utiliser la force que quand il y a menace grave d’atteinte au droit à la vie. C’est dans cette situation qu’on peut utiliser les armes létales. Sinon c’est n’est autorisé. Le second élément il faut que les autres moyens moins coercitifs et moins violent aient échoué. Malheureusement le droit guinéen ne les reprend pas. Donc c’est préoccupant parce que cela donne un peu carte blanche aux forces de sécurité dans l’utilisation de la force. Les conditions d’utilisation de la force ne sont pas suffisamment encadrées. 

C’est qui est aussi extrêmement préoccupant c’est dans les exposés des motifs où il est indiqué que l’un des objectifs de la loi est de protéger la gendarmerie contre la justice revancharde. Si des personnes considèrent que leurs proches ont été blessés ou tués dans une manifestation de manière arbitraire par la police ou la gendarmerie, il est extrêmement important qu’elles puissent porter plainte ; qu’il y ait une enquête et que les résultats identifient oui ou non il y a violation. Et s’il y a eu violation, les personnes doivent être poursuivies. On ne devrait pas protéger les gendarmes contre la justice. Au contraire les gendarmes tout comme les policiers sont censés appliquer la loi. Il faut eux-mêmes que leur action soit encadrée par la Loi.  Le fait de les protéger contre la justice revancharde est préoccupant parce que cela renforce ce climat d’impunité qui ne fait qu’alimenter le cycle de la violation en Guinée.

 

Interview réalisée par Diallo Boubacar 1

Pour africaguinee.com 

Tél. : (00224) 655 311 112

Créé le 21 novembre 2019 13:28

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