Flambée du viol en Guinée : les « vérités crues » de Dr Bano Barry…

Dr. Alpha Amadou Bano Barry

CONAKRY-En Guinée, le viol est quasiment devenu une gangrène sociale ! Les statistiques sont effroyables. Pour comprendre l’ampleur du phénomène, il suffit juste de voir les chiffres officiels de l’Office de protection du genre, de l’enfance et des mœurs (Oprogem). De 2018 jusqu’à date, plus de 1000 cas de viols ont été recensés dans le pays. Ce ne sont certainement pas des chiffres exhaustifs, sachant combien de fois l’omerta entoure le phénomène. Comment expliquer la recrudescence du viol en Guinée ? Quelles solutions ? Africaguinee.com a interrogé le Sociologue Pr. Alpha Amadou Bano Barry. Dans cet entretien, l’ancien ministre de l’Education donne son analyse et préconise des pistes de solution.

 

AFRICAGUINEE.COM : Comment expliquez-vous la recrudescence des violences sexuelles en Guinée ?

DR. ALPHA AMADOU BANO BARRY : C’est un phénomène qui n’a pas été beaucoup étudié en Guinée. Cependant, ce n’est pas parce que le phénomène n’existait pas du tout. Non, il n’était probablement pas aussi étendu. Mais partout où des êtres humains vivent et nomment un phénomène, ce que le phénomène en question existe. Dans toutes les langues, la notion de viol existe.  Un peuple ne nomme que ce qui existe. Si un phénomène n’existe pas, il ne le nomme pas. Peut-être qu’il n’a jamais atteint l’ampleur que nous avons aujourd’hui. Lorsqu’il y avait un cas de viol connu, s’il y a des liens de famille avérés entre l’auteur et la victime, la personne qui en est l’auteur était bannie de la société et complètement renvoyée. Elle quitte et ne revient plus jamais. Mais le phénomène (de viol) n’était probablement pas si vulgarisé.

Nous avions réalisé une étude il y a quelques années sur la question de la sécurité et de l’insécurité. Nous avions fait cette étude dans les communes de Kaloum, Ratoma, Matoto, Dubreka, Nzérékoré et Kankan. Parmi les éléments sur lesquels nous avions travaillé, la question du viol et de tout ce qui est lié aux violences avaient été posées.  Les données que nous avions collectées à l’époque pour le compte de l’union européenne- j’avais conduit cette étude- indiquaient que, par exemple à Kaloum, les cas de viol se passaient dans la matinée et étaient toujours le fait de personnes en lien avec la victime.

A Ratoma et à Matoto, les cas de viols que nous avions rencontrés se faisaient la nuit et essentiellement le long de rails et de la mer. On était arrivé à la conclusion qu’en dehors des viols qui se font dans la rue, si ça se passe à l’intérieur du foyer, c’est quelqu’un qui est apparenté à la victime. Tout en endroit obscur dans la rue, mal fréquenté ou peu habité, il y a de risques importants pour les filles et les femmes de subir la violence sexuelle. Je pense que ce qui est particulier maintenant, c’est trois phénomènes qui, chacun, concourent à augmenter le niveau de violence sexuelle.

Premièrement, les réseaux sociaux, les médias, les smartphones connectés. Les téléphones offrent aujourd’hui la possibilité de libérer le sexe. Ce qui fait que si avant, on attendait l’âge de la maturité et peut-être même le mariage pour découvrir le sexe, aujourd’hui les téléphones avec la connexion permettent de suivre des films érotiques et des films pornos. Ça encourage et développe l’appétit sexuel. Le deuxième phénomène, c’est la prolifération de la drogue et de l’alcool. Lorsque de jeunes ont accès à des films érotiques et vous ajoutez à cela, une consommation de drogues et d’alcools, vous augmentez considérablement les risques qu’il y ait des cas de viol. Et le troisième paramètre, aujourd’hui le téléphone est devenu un instrument de média. Ce qui fait que tous les cas de viols qui étaient inconnus, dès qu’ils sont connus, sont rendus pratiquement disponibles. L’aboutissement, c’est que ce que l’on on ne connaissait pas, devient subitement connu. Et à partir du moment où on a la connaissance du phénomène en question, on se retrouve dans une situation où tout le monde est informé dans des délais relativement courts.

Il y a probablement augmentation en raison des phénomènes. Mais il y a aussi et surtout que désormais les choses sont sur la place publique. Les gens n’ont plus peur de communiquer là-dessus. Ça ne les gêne pas de le dire. Si tu remarques dans les cas de violence de Labé et de Kankan, ils se sont passés à des zones peu habitées, dans la périphérie de la ville comme je le disais à Conakry, à Ratoma et a Matoto, c’est le même phénomène (…).

Aujourd’hui le tabou sur le viol semble briser. Est-ce un avantage ou un inconvénient ?

Je pense que tout ce qu’on ne nomme pas ne trouve pas de solution. Une société doit avoir le courage de regarder ses travers. L’omerta ne profite qu’aux prédateurs sexuels et aux délinquants. Ce qui est plus important en Guinée, ce n’est pas ces éléments-là. C’est le fait que des agents de santé qui ont le serment d’Hippocrate, censés soigner et qui possèdent des produits sanitaires qui permettent de faire dormir des patients, utilisent le secret de leur cabinet où le père, la mère, le fils n’entrent pas, pour violer des patientes. C’est la chose la plus grave. Si le ministère de la Santé ne règle pas cette question, d’ici quelques années, aucun homme n’acceptera que sa femme, sa fille sa mère ou sa sœur, soit soignée par un agent de santé dans un cabinet avec une porte close. Ça c’est très grave parce que cela veut dire qu’il n’y a plus d’intimité entre le personnel de santé et le patient. 

Comment palier ce phénomène de viol ?

C'est très simple. On ne peut pas lutter contre un phénomène qu'on ne connaît pas. La première des choses qu'un pays doit faire lorsqu'un phénomène est rendu public et il veut le traiter, il commandite des études. Le problème de la Guinée ce que la recherche appliquée, celle qui permet de résoudre tous les problèmes, est toujours financée par des organismes internationaux. Si ces organismes internationaux ne financent pas, on ne s'intéresse pas. Le budget de la recherche pour ce qui existe, c’est 0.01% dans l’enseignement supérieur. La Guinée fait comme d'habitude, c'est de l'activisme. C'est-à-dire qu'on va trouver des ONG qui vont dire qu’elles sont capables de lutter contre ceci et cela, organiser des séminaires, des ateliers, sensibiliser… mais ce n'est pas vrai. On ne va pas faire lorsqu'on ne sait pas. On doit savoir d'abord à quel moment les viols se font, qui en est l'auteur, quelles sont les circonstances dans lesquelles les gens passent à l'acte ? Il y a un ensemble des connaissances qu'il faut obtenir.

A partir du moment où on a obtenu, on élabore une politique nationale, une stratégie qui va permettre d'agir. Mais, ce n'est pas ce qu'on fait en Guinée. Si ce n'est pas les occidentaux, ou le PNUD ou l'UNICEF, ou l'OMS qui finance, il n'y aura jamais d'études. Le gouvernement guinéen ne finance jamais une étude, il ne met pas un budget pour dire lui-même il veut savoir les causes d’un phénomène. Il ne fait appel à des cabinets pour réaliser des études pour déterminer l'ampleur du phénomène, pour essayer de comprendre à l'interne le phénomène. C'est lorsqu'on sait qu'on peut agir. Mais non, c'est de l'agitation, tu vas entendre demain le ministre des affaires sociales dire qu'il faut que ça cesse, on fait du bruit, les femmes vont se réunir pour dire "je suis M'mah Sylla".  En fait, les gens en font du bruit. Parce que même dans le cas de M'mah Sylla tout n'a pas été dit. Personne ne sait exactement le processus, ce qui s'est passé, comment tout s'est arrivé, sur quelle période, quelle était la fragilité.

 

Abdoul Malick Diallo

Pour Africaguinee.com

Créé le 3 décembre 2021 12:00

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