Exclusif/Affaire Kassory Fofana : Pourquoi Aly Touré a récusé le Juge Yagouba Conté ?

CONAKRY-Nous l’avions déjà annoncé dans la soirée du lundi 23 décembre ! Le Procureur Spécial près la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF) a récusé le juge Yagouba Conté, en charge du dossier de l’ancien Premier Ibrahima Kassory Fofana, privé de liberté depuis avril 2022, pour des soupçons de corruption, d’enrichissement illicite, blanchiment de capitaux et de détournement de deniers publics.

Saisi le 11 décembre dernier par Aly Touré à l’effet de dessaisir M. Conté de ce dossier, le Président de la Crief Francis Kova ZOUMANIGUI, a tranché ce 23 décembre en accédant à la demande du Parquet. Ce haut magistrat a ordonné le dessaisissement de M. Yagouba CONTE du dossier de la cause et son remplacement par Monsieur Lansana SOUMAH, assesseur de la chambre de jugement, lequel devra désormais présider les audiences de ladite procédure.

Mais qu’est-ce que Aly Touré reproche concrètement à Yagouba Conté ? Africaguinee.com a obtenu un document exclusif qui jette la lumière sur ce nouveau rebondissement dans un bras de fer judiciaire qui dure depuis bientôt trois ans. Il s’agit de l’ordonnance numéro 063 rendue hier par le Président de la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières.

Que dit-il ?

En effet, pour soutenir son argumentaire à l’effet d’obtenir la récusation du juge Yagouba CONTE, Président de la chambre de jugement, le Procureur Spécial près la CRIEF s’est fondé sur plusieurs faits. D’abord, il fait observer que la législation guinéenne permet à un avocat d’assister un prévenu, mais jamais le représenter. L’empereur des poursuites à la Crief estime qu’en autorisant les avocats d’Ibrahima Kassory FOFANA de plaider et de présenter les observations, alors que celui-ci a « refusé de comparaître » devant la juridiction de jugement, Monsieur Yagouba CONTE lui fait sérieusement douter de son impartialité. Mieux, lit-on dans l’ordonnance, le juge « récusé » ayant ordonné une contre-expertise quoiqu’inopportune, les médecins désignés ont conclu à un état de lucidité d’Ibrahima Kassory FOFANA.

Aly Touré, Procureur Spécial de la Crief

« Malgré cette contre-expertise, le Président Yagouba CONTE a ordonné un déplacement de la chambre en vue d’interroger le prévenu à l’hôpital, tandis qu’à cette occasion, par mauvaise foi, Ibrahima Kassory FOFANA s’est abstenu de répondre sur plusieurs questions, comme en fait foi le procès-verbal de transport judiciaire. En dépit de ce constat (…), le Président Yagouba CONTE a renvoyé cette affaire au 06 janvier 2025, alors même qu’elle est en état d’être jugée », souligne le document en possession d’Africaguinee.com.

Plus loin, il est écrit que dans la gestion de cette procédure, la chambre de jugement a ordonné plusieurs fois des renvois injustifiés, alors même que le prévenu n’a pas comparu une seule fois. Selon lui, tous ces agissements sont réalisés par le Président de la chambre de jugement pour « faire plaisir aux conseils » du prévenu, avec qui il (aurait) des « affinités sérieuses ».

« C’est pour ces raisons qu’il (Aly Touré) estime que les comportements de Monsieur Yagouba CONTE constituent des manifestations assez graves et constantes pour faire respecter son impartialité dans cette affaire tel que prévu par le point 9 de l’article 740 du code de procédure pénale, sollicitant ainsi le dessaisissement de ce haut magistrat pour le bien de la justice et de la réputation de la CRIEF », mentionne l’ordonnance de six pages.

Répliques du Juge récusé

En réplique, selon l’ordonnance, Monsieur Yagouba CONTE s’est appuyé sur l’article 478 du code de procédure pénale pour faire remarquer que lorsqu’un prévenu n’a pas comparu, il doit pouvoir justifier les raisons de sa non comparution et que ses raisons peuvent être justifiées par son conseil, qui peut prendre la parole à cet effet. Selon toujours l’ordonnance du Juge Francis Kova Zoumanigui, M. Conté a affirmé que les mesures ainsi ordonnées collégialement ne doivent pas être perçues comme anormale, dès lors que le conseil prend la parole, non pas pour évoquer le fond, mais pour expliquer seulement les raisons de la non présence du prévenu et soumettre à la Cour, la demande de son transfert qui est en rapport avec cette non présence.

Yacouba Condé, président de la chambre spéciale de Jugement de la Crief

« Il (Yagouba Conté) indiquait qu’en l’espèce, Ibrahima Kassory FOFANA a constitué, pour sa défense maîtres Sidiki BERETE et Dinah SAMPIL, tous avocats au Barreau de Guinée, et que ce sont les mêmes conseils qui ont bien voulu prendre la parole qui leur a été accordée par la Cour à l’effet d’expliquer les raisons de la non présence de ce prévenu, lesquelles sont, de son avis, relatives à son état de santé. C’est également l’un d’eux, à savoir maître Sidiki BERETE qui a soumis au débat de la Cour, la demande de transfert dudit prévenu afin que chaque partie au procès donne son avis », apprend-on.

S’agissant de la contre-expertise, des renvois et autres mesures, jugés inopportuns par le Procureur spécial, le magistrat récusé a fait savoir que ces décisions ont été prises par la Cour pour lui permettre d’apprécier la demande de transfert à elle adressée. Pour lui, « il est illogique qu’on veuille faire des reproches à un seul magistrat d’une chambre par rapport à des décisions qui ont été prises de façon collégiale, encore que la seule volonté de ce magistrat ne peut l’emporter sur celle des deux autres (…) ».

De l’avis de Francis Kova Zoumanigui

D’abord, explique l’ordonnance, le Procureur spécial reproche à Monsieur Yagouba CONTE, Président de la chambre de jugement, et président audiencier d’entretenir des affinités d’avec le prévenu Ibrahima Kassory FOFANA, sans avoir étayé cette allégation. « Il mérite d’être débouté de ce chef comme non fondé », mentionne le document.

Plus loin, Francis Kova Zoumanigui mentionne que rien n’interdit au Président audiencier et/ou à la Cour d’ordonner le transfert d’un prévenu, suite au constat de son état de santé nécessitant des analyses plus approfondies, dans un centre spécialisé. Cependant, relève-t-il, il n’est pas contesté non plus, dans les écritures, que le résultat de la contre-expertise réalisé a permis d’attester que le prévenu Ibrahima Kassory FOFANA est effectivement lucide, donc étant à même de répondre aux questions de fond.

Francis Kova Zoumanigui, Président de la Crief

« En raison du double motif lié, à la fois, à la longue durée de détention du prévenu, et du fait que la question de santé (pour laquelle les expertises sont valablement en cours d’exécution) est périphérique aux faits poursuivis devant la chambre de jugement, la responsabilité objective du magistrat audiencier consiste à notifier au prévenu en présence et jouissant ainsi de ses facultés intellectuelles, les charges retenues contre lui », observe le haut magistrat.

Il ajoute que le caractère collégial de la composition de la chambre de jugement ne saurait être une excuse valable pour le président audiencier en sorte qu’il ne tienne pas compte de son obligation d’équilibrer les traitements des droits des parties en présence, à savoir -accorder au prévenu (lucide) clamant un état de santé suspecté comme défectueux de poursuivre ses soins approfondis, tel que procédé par la chambre de jugement, en l’espèce et notifier à ce prévenu, les faits pour lesquels il est poursuivis depuis tout ce temps. Le document explique que l’alinéa 13 de l’article préliminaire du code de procédure pénale commande au prédisent de la juridiction de faire juger les personnes poursuivies dans un délai raisonnable.

Traitement déséquilibré

« En ordonnant le renvoi de l’affaire à une date lointaine (privilégiant beaucoup plus l’expertise médicale et ignorant la question substantiellement liée à la saisine de sa juridiction), alors que tous les renvois sont déclarés comme ayant été en faveur du prévenu, le traitement déséquilibré des droits susmentionnés est manifeste, d’autant plus que de par la nature de ses attributions légales, le Président audiencier a suffisamment de prérogatives, tel que prévu par l’article 471 alinéa 1er du code de procédure pénale qui dispose:  Le Président a la police de l’audience et la direction des débats. Il peut prendre toutes mesures utiles pour en assurer la dignité et la sérénité.

Il est évident que Monsieur Yagouba CONTE, président audiencier, a privé les débats dans la cause suivie contre Ibrahima Kassory FOFANA, de la sérénité et de l’équilibre légalement dus ; Il n’est pas superfétatoire de rappeler que l’impartialité objective légalement exigée du juge consiste dans les signes apparents de neutralité assurant aux parties que leurs arguments feront l’objet d’un examen objectif ».

Ibrahima Kassory Fofana, ancien Premier ministre
Ibrahima Kassory Fofana, ancien Premier ministre, prévenu

Soupçon de partialité

En ne tenant pas compte de cette exigence de conciliation des droits du ministère public, d’un côté et, de l’autre, du prévenu Ibrahima Kassory FOFANA, Monsieur Yagouba CONTE s’est exposé, selon le Président de la Crief,  à un soupçon de partialité tel que soutenu valablement par le requérant (Parquet).

Décision

« Ainsi, afin d’éviter un quelconque doute et dans l’intérêt de la sérénité des débats, et de la bonne administration de la justice, il convient de faire droit à la demande du Procureur spécial près la CRIEF en ordonnant le dessaisissement du Président Yagouba CONTE du dossier de la cause et son remplacement par Monsieur Lansana SOUMAH, assesseur de la chambre de jugement, lequel devra présider les audiences de ladite procédure », a tranché le Juge Francis Kova Zoumanigui.

Le haut magistrat a aussi affecté Monsieur Albert NORAMOU, membre de la chambre de l’instruction, pour compléter la composition de la formation de jugement devant connaître de l’affaire Ministère public et l’Etat guinéen contre Monsieur Ibrahima Kassory FOFANA.

Focus Africaguinee.com

Créé le 24 décembre 2024 14:45

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