Elhadj Ibrahima Sory Souaré, 90 ans : « mon dernier rêve est de marcher sur le bitume de la route Labé-Mali… »
MALI- La route Labé-Mali-Kedougou est un axe vital pour les populations locales et ouvre même sur l’intégration sous-régionale. Malheureusement, elle est restée sans bitume depuis l’indépendance. Le lancement des travaux de bitumage Labé-Mali long de 107 km fait ressortir les archives. Elhadj Ibrahima Sory Souaré, enseignant de carrière parti à la retraite anticipée pour se plonger dans l’agriculture connaît cette route comme la paume de sa main. Le lancement des travaux donne une joie qui dépasse tout commentaire à cet ancien conseiller agricole du président Conté qui vit désormais dans son village Mali Missidè (commune urbaine de Mali).
Dans les années 1960 à 1962, Elhadj Ibrahima Sory était en service aux TP de Mali en tant chef comptable. Il révèle que des manœuvres prenaient 52 sylis le jour pour des travaux routiers sur l’axe et 62 pour les chefs d’équipe. Le nonagénaire révèle que sa préfecture a perdu pleines d’opportunités par défaut de route avant de rappeler les avantages qui en découlent de la réalisation de l’axe pour tous les domaines d’activités. Au moins une économie de 200 kg de contour sera enregistrée en direction de certains pays voisins. Le doyen bientôt centenaire implore la grâce divine d’avoir encore des jours devant lui afin de voir et toucher le goudron avant son rappel à Dieu. C’est son dernier rêve en tant que témoin et acteur de l’histoire de la route Labé-Mali-Kedougou, un projet vieux de plus de 40 ans. Elhadj Ibrahima Sory Souaré a ouvert son cœur à l’envoyé spécial d’Africaguinee à Mali.
Africaguinee.com : natif de Mali, vous êtes également agriculteur dans l’âme. Le bitumage Labé-Mali Kedougou est un vieux projet de près d’un demi-siècle. La première pierre vient d’être posée à Labé, c’est quoi votre ressentiment à près de 90 ans alors que vous l’espériez un peu plutôt ?
Elhadj Ibrahima Sory Souaré : C’est un sentiment de réconfort et la satisfaction totale tout en souhaitant que le projet se réalise. Labé-Mali-Kedougou est un axe vital pour les populations du Nord de la Guinée tout comme les pays limitrophes de la Guinée, le Sénégal, la Gambie et le Mali. Entendre que cette route sera bitumée est un plaisir estimable pour les populations de Mali et surtout pour nous les anciens qui avons connu cette route qui a été ouverte par les travaux forcés.
Que savez-vous de l’histoire de cette route ?
Cette route, je la connais parfaitement bien, moi-même j’ai été chef comptable de la subdivision des Travaux Publics de Mali entre 1960 à 1962. Donc pendant 2 ans je paye les travailleurs, ce n’est pas une route qui m’est inconnue. Cet axe a été restauré à la main avec peu de manœuvres. Sur chaque distance de 10km, il n’y avait que 7 manœuvres et un chef d’équipe. La rémunération journalière est de 52 sylis par manœuvre et 62 pour le chef d’équipe. Une façon de vous signifier que je connais parfaitement cette route, mètre par mètre.
L’axe Mali-Kedougou n’a été restauré qu’une seule fois depuis sa création en 1948, nous apprend-t-on…
Rassurez-vous c’est une seule et unique fois que cette route a été retouchée depuis qu’elle a existé. C’est quand on a entamé la construction de l’usine de Lebekering. C’est à moitié aussi qu’elle avait été réparée, je pense bien c’est en 1973 et c’est à moitié qu’on a eu à refaire cette route, actuellement il faut s’armer de courage pour la pratiquer. La route de Labé Mali a été tracée un peu avant 1920 par l’administration coloniale. Mais elle est faite sur la base des travaux forcés comme je vous l’ai dit au début. C’est l’axe Mali-Kedougou sa suite Mali- qui a vu le jour dans les années 1948.
Mali est potentiellement riche sur le plan touristique et agricole notamment la pomme de terre. Quelles sont les opportunités perdues par cette préfecture à cause de l’état des routes inaccessibles ?
Nous avons perdu beaucoup d’opportunités et c’est connu. Je suis l’initiateur de la production de la pomme de terre en contre saison, c’est-à-dire faire la pomme de terre en saison sèche. Sinon c’est la production en saison des pluies qui est bien connue. Une expérience partagée dans toute la Guinée, cela a permis la génération de la production contre saison. Donc le ministère de l’agriculture de l’époque et l’organisation faitière des travailleurs de Guinée en sont témoins. Avec cette route, nous ne pouvions pas transporter la pomme de terre de qualité à son état primitif. Les quelques tonnes qui arrivent à destination sont presque à jeter à cause du retard accusé en chemin. C’est pourquoi nous formulons l’espoir, qu’une fois que cette route sera faite en bitume, Mali aura retrouvé son devenir dans le domaine économique, social, culturel et touristique. C’est pourquoi les populations de Mali nourrissent l’espoir de ce projet. Nous avons été victimes de cette route depuis tout ce temps, nous avons perdu nos fruits, nos légumes, nous avons souffert de nos déplacements. La perte a été totale. Beaucoup ont abandonné les activités agricoles pour aller dans les villes après avoir subi toutes les pertes, surtout avec la pomme de terre des tubercules très fragiles, des gens y ont laissé leur économie. Quand l’espoir est perdu, c’est l’aventure qui prend la relève.
A un moment avez-vous perdu également des séances de formation agricole pour des remises à niveau pour les producteurs ?
Vous savez que Mali est à l’extrémité nord de la Guinée. Par faute de route, presque tout se limite à Labé et à Timbi-Madina et la région de Mamou. Mali n’a pas bénéficié grand-chose. Aujourd’hui au niveau des services de l’agriculture de Mali, il y a une insuffisance de personnel, en dehors du directeur préfectoral de l’agriculture, il n’y a pas d’agents, le déficit est total tout cela est imputable à l’enclavement ; je suis certain la construction de la route va changer tout. Présentement le déplacement est difficile. Quand vous prenez la sous-préfecture centrale de Mali, sur sa dorsale à un rayon de 10km, la production de la pomme peut se faire à tout moment et en toute saison. Je vous dis à tout moment et en tout lieu. C’est un lieu de prédilection pour la pomme de terre, le sol de Mali.
Pratiquement depuis quelle année avez-vous attendu ce projet de bitumage qui n’a été qu’un rêve jusqu’en 2024 ?
Je ne me souviens plus de la date exacte, mais ça fait plus de 40 que nous avons ce rêve. Ça été évoqué pendant tous les régimes de la Guinée indépendante. Des promesses ont été annoncées par tous les régimes mais c’est finalement cette année que les travaux ont été lancés
« A mon âge je ne peux plus aller à Labé depuis plus de 10 ans »
Ça fait des années maintenant que je n’ai pas pris de risques sur ces routes. Quand j’étais encore moins âgé et actif je la pratiquais très souvent à moto. Ça fait plus de 10 ans je ne suis pas sorti de Mali pour aller à Labé, je ne peux pas aller, j’ai peur de la route
« Je prie le bon Dieu qu’il m’accorde une longue vie afin que je voie le goudron et le pratique ne serait-ce qu’une fois de ma vie »
Aujourd’hui mon souhait, mes prières c’est de rester en vie jusqu’à la fin des travaux, je marche sur le bitume, ou je roule à moto et en voiture dessus. C’est mon dernier rêve. Je souhaite voir cette route quand j’aurais plus de 90 ans qui va coïncider avec la fin des travaux. Je répète, je souhaite voir cette route et la pratiquer. C’est une prière que je formule au bon Dieu pour voir cette route qui constituera une autre indépendance pour Mali.
Parlez-nous de comment est partie votre relation avec le feu général Lansana Conté jusqu’à devenir son conseiller agricole ?
Tout est parti des activités agricoles à dominance la pomme de terre. J’ai fait une récolte exceptionnelle dans les années 1986. Des échantillons ont été présentés au président Lansana Conté. Nous avions récolté des pommes de terre qui pesaient plus d’un demi kilo. Dans le lot, nous avons eu des tubercules qui ont fait 1,2 kg. C’était merveilleux. Le président Conté était si impressionné ce jour-là même il m’a fait assister au conseil des ministres. Le président Conté a demandé à tout le monde de prendre mon exemple. Que chaque guinéen accepte d’aimer son terroir et faire mieux dans le monde agricole comme moi. Au même moment lui-même en tant que président il avait des champs dans son village. C’était des pommes de terre cultivées à Mali que j’ai envoyées à Conakry. Une façon de vous dire que Mali a un sol très riche. Tout est arrivé par l’intermédiaire d’Elhadj Cellou Dalein le vieux, c’est-à-dire l’oncle à l’actuel Cellou Dalein candidat à la présidence. Le vieux Cellou est ingénieur agronome formé à Paris. A cette époque il était le secrétaire général du ministère de l’agriculture.
« La réalisation des travaux donnera une économie de 200 kg de route à parcourir pour en direction de 4 pays en provenance du Fuuta »
Je suis joyeux à la hauteur de la joie de tout le Fuuta. Ça peut paraître banal pour beaucoup de personnes, mais si cette route se réalise Labé-Mali ensuite Mali-Kedougou, on aura eu tout ce qui nous restait en termes d’indépendance routière vers beaucoup de destination. Je vous assure que l’Etat aussi fera des recettes énormes en termes de douane. Je me rappelle, sous la révolution, le poste frontalier de Mali précisément à Louggué c’était le deuxième en Guinée point de vue rendement pour le ministère des finances. La fin des travaux donnera à la région une économie de 200km de route en tout cas ceux qui auront besoin de se rendre au Sénégal, en Gambie, en Guinée jusqu’au Mali. Ils ne feront plus de contour jusqu’à Koundara ou à Siguiri, ils ne feront que traverser Mali et se retrouver de l’autre côté. En tout cas, en provenance du Fouta, ça sera juste un raccourci. Les avantages sont énormes pour tout le monde, prions le bon Dieu après chaque prière pour que les travaux se font le plus vite possible. C’est une véritable intégration. Le producteur agricole sera plus libre, le commerçant aura moins de souci à transporter sa marchandise, le consommateur également ne payera plus les frais exorbitants sur son sac de riz de route sur son sac de riz.
Interview réalisée par
Alpha Ousmane Bah
Pour africaguinée.com
Créé le 3 août 2024 11:03Nous vous proposons aussi
TAGS
étiquettes: Labé, Mali Yimbering