Drame sur une plage de Conakry : Où sont les véritables responsables ? (Opinion)

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CONAKRY- Quelques semaines depuis la tragédie à la plage dite Rogbanei, qui a fait une trentaine de victimes, après les indignations, les compassions, l’heure doit être à une introspection et à une remise en question afin de déterminer les vraies raisons de ce drame. Il est clair que cette tragédie à la plage de rogbanei est une aubaine pour ceux qui y voient une malédiction divine, soit ! Qu’une agence de spectacle appelée « Meurs Libre Productions » organise un spectacle où se produisent deux des groupes les plus adulés du moment à savoir le groupe Instinct Killer et le duo Ballieuzart et qu’il y ait des morts, toutes les spéculations sont possibles. Mais la Guinée est-elle le nombril de la terre pour s’attirer à elle seule  la colère de Dieu, ce genre de raisonnement égocentré n’est pas rare chez certains de nos compatriotes avec lesquels on a pu échanger autant sur l’épidémie d’Ebola que sur la misère humaine en Guinée. Il serait judicieux toutefois de ne pas plonger dans l’obscurantisme et le fatalisme pour  réévaluer nos modes de gouvernance ainsi que sur l’évolution de nos sociétés : Car on ne dit on pas que chaque peuple n’a que les chefs qu’il mérite donc le sort qu’il mérite ?

On ne va pas jouer aux médiums et dire que ce drame était prévisible mais tout de même on pourrait tenter d’en expliquer les causes exogènes.

Pour y arriver, nous nous focaliserons sur les mutations sociodémographiques en Guinée mais aussi sur les dysfonctionnements au sein de nos institutions (administrations ; structures familiales etc. )

A défaut de statistiques officielles, on va se fier à nos observations pour affirmer que la population de Conakry est relativement très jeune. La polygamie, la faible espérance de vie des adultes, le faible niveau d’instruction, l’exode rural, la pauvreté croissante ? Toutes ces hypothèses sont plausibles. Rien qu’à voir leur nombre dans les manifestations publiques ou dans les foyers, on pourrait  se faire une idée. Le fait que la pyramide des âges soit plus élevée chez les jeunes n’est pas un mal en soi, au contraire, c’est un atout considérable dans le processus de développement. Encore faut-il que des politiques publiques adéquates soient mises en œuvre. Malheureusement il n’existe pas un système éducatif viable, chaque année est pire que la précédente en termes de niveau. De même ces jeunes auraient pu être une main d’œuvre qualifiée et compétitive dans cette mondialisation au lieu d’être dans la plupart des cas un fardeau pour les familles, la société et une bombe à retardement pour les gouvernants quelque soient leurs obédiences politiques.

Avant de continuer, il est important de préciser que cette tribune  n’est pas un réquisitoire pour ou contre un régime mais à la limite un plaidoyer pour susciter un débat public objectif qui transcende nos clivages politiques voire communautaires. Cette analyse repose sur un constat : les jeunes guinéens sont livrés à eux-mêmes et à un avenir incertain. Sans pour autant être alarmiste. Quelles sont les politiques d’insertion socioprofessionnelle ou des mesures de création d’emploi mises en place ces dernières décennies ? Combien de diplômés sortent des instituions d’enseignement en Guinée, avec quel background ? Combien parmi eux parviennent à trouver de l’emploi ? Au fait, existe-t-il un organisme pour recenser au moins la population active et celle en proie au chômage ? Le débat reste ouvert…

Toutefois, les dirigeants en tout temps se contentent d’endormir la conscience collective à coups de millions de franc guinéen, distribués uniquement lors des manifestations culturelles et sportives à condition bien sûr de chantonner les louanges du chef et  lui jurer fidélité et soutien. Certains jeunes ont donc compris la parade et les astuces pour  bénéficier des largesses des différents régimes qui proviennent pourtant des richesses de la nation donc de tous les citoyens. Il suffit juste d’organiser un tournoi sportif quelconque ou toute activité susceptible de mobiliser du monde et de le placer sous le haut patronage d’un des hauts responsables du pays ou de leurs épouses et le tour est joué ! Ainsi, le bien public (république= res publica qui signifie chose publique(ne bénéficie qu’à une infime minorité.)

Ces pratiques se sont érigées en normes sociales au fil des années ; les rares jeunes qui s’organisent en association privilégient pour la plupart ce genre de méthode basée sur l’évènementiel que sur des actions concrètes et pérennes  pour l’intérêt public.

Par ailleurs sans vouloir généraliser une bonne partie de ces jeunes se laisse manipuler de part et d’autre pour des intérêts égoïstes et carriéristes  d’hommes politiques  qui se renvoient mutuellement la balle quant à cette situation désastreuse. Alors que dans le fond les responsabilités sont partagées à des degrés certes différents mais non assumées. Rappelons juste que ce sont les dirigeants d’hier qui se sont reconvertis dans l’opposition et vice versa .Et comme pour donner le dernier coup de grâce ; c’est aussi les jeunes qui paient (parfois de leurs vies) lors des mouvements sociaux et des violences politiques depuis les évènements douloureux de janvier et février 2007. Les évènements se suivent et se ressemblent ; Mais aussi étonnant que cela puisse paraitre, c’est  cette même jeunesse martyrisée, désœuvrée et candidate à l’immigration (même s’il faut y laisser la vie) qui est   prête à en découdre entre militants au nom d’une solidarité communautaire. Il n’est pas interdit de voter pour un homme ou femme politique de la même communauté que soi, mais voter pour la personne pour des raisons identitaires est simplement absurde.

Cela traduit une immaturité politique inquiétante pour un pays, c’est aussi une des facettes du paradoxe guinéen. Sinon comment soutenir et même confier son avenir à ceux qui sont ou qui ont été nos bourreaux ? sommes-nous victime du syndrome de Stockholm ? On aurait dû  les mettre tous face à leur bilan qu’il soit positif ou négatif : car ils doivent tous rendre des comptes au peuple. N’avons-nous pas de mémoire collective ? Bien entendu si l’on fait un devoir de mémoire, on saurait qui des acteurs politiques a fait quoi pour la Guinée avant de se lancer aveuglement dans la haine de son prochain alors que l’ennemi n’est pas l’autre mais la pauvreté. Justement en parlant de pauvreté  qu’est ce qu’ils ont fait pour l’éradiquer ? On ne cherche  à jeter l’anathème sur personne, mais juste susciter des interrogations pour mieux envisager notre futur commun.

C’est pour faire suite à ce contexte institutionnel que nous nous pencherons à présent sur les phénomènes sociaux qui minent nos cités. Entre une autorité parentale qui s’effrite au gré de paupérisation des familles et des autorités qui répondent à toute revendication aussi légitime soit elle par la violence et l’autoritarisme quel chemin doivent suivre les enfants ?

Après les figures révolutionnaires et intellectuelles, les célébrités sportives cèdent peu à peu la place aux stars de la musique urbaine à titre de modèles dans l’inconscient du jeune guinéen. Les modes vestimentaires, les perruques et autres accessoires de mode en disent long. Sans oublier les anglicismes dans les expressions par exemple certains se disent SWAG pour dire qu’ils sont au top de la mode alors que cela est un acronyme de  Secretely We Are Gay qui signifie littéralement « secrètement nous sommes gays. »

Loin de nous l’idée de remettre en question le talent des jeunes artistes guinéens mais analysons leurs noms de scènes. Sans citer de nom mais les termes les plus récurrents sont Killer Kill (tueur, tuer) ou fire (feu). ont-ils une influence sur les jeunes notamment sur les adeptes de musique urbaine ? À en croire la théorie des foules oui ! Prémonition ou invocation ayant conduit à cette tragédie à Rogbanei, d’autres  diront oui ! Mais au-delà du non respect des règles de sécurité les plus élémentaires dans l’organisation d’un tel spectacle, on peut y voir le reflet des défaillances de l’Etat et de nos institutions sociales citées plus haut. On ne peut pas blâmer les victimes (paix à leurs âmes) qui ont droit à des aires de jeu et de loisir, des espaces sportifs équipés, soulignons le. On ne va tout de même pas tomber dans le fatalisme, les causes sont là et les solutions aussi…

Feu Souleymane Koly Kourouma, sociologue et fondateur de la très célèbre troupe Kotéba  nous en édifiait dans l’une de ses dernières interviews, il est décédé il y a à peine un mois. A l’instar de ce que nous évoquions plus haut à propos de la construction des modèles, il se demandait pourquoi on le reconnaissait plus facilement à Bamako, Abidjan qu’à Conakry ? C’est une autre illustration des maux qui gangrènent à la fois l’administration et la société guinéenne. Pourquoi avoir attendu sa mort pour le décorer à titre posthume alors que la France et son pays d’adoption la Côte d’Ivoire l’ont déjà fait depuis des années,  et de son vivant ? C’est à croire qu’on a une préférence pour la médiocrité. Lui qui dénonçait le manque de créativité de la nouvelle génération, se disait prêt à apporter sa modeste contribution au décollage de la Guinée : « la Guinée avait brillé par son art et sa culture dans le temps (…) si on doit revenir sur la scène internationale on doit accorder plus de moyens à ce secteur » en parlant du fameux Guinea is back du président Alpha Condé. Il n’invente rien en l’affirmant il a juste conseillé d’adopter la théorie des avantages comparatifs avant d’exhorter les autorités guinéennes à mettre en valeur les idées que les démagogues.

Son analyse nous conduit à nous interroger sur le nombre d’émissions ou rubriques scientifiques, littéraires ou artistiques dans les différents médias ? Sachant que l’opinion détermine le comportement, c’est donc sans surprise que les jeunes agissent en fonction des  messages et codes sociaux véhiculés entre autres par les médias.

Par ailleurs la prolifération des Smartphones (vive la Chine) et  la vulgarisation de l’accès à internet dans les milieux urbains comme Conakry, les réseaux sociaux  ouvrent aux jeunes de nouveaux horizons, de nouvelles cultures sans aucune forme d’encadrement. Cependant il faut noter que ce phénomène n’existe pas qu’en Guinée ; Partout dans le monde, l’essor de la culture urbaine est proportionnel au niveau de frustration et du chômage chez les jeunes.

Au final, il faut retenir que rien n’est perdu, mais qu’il reste beaucoup à faire. A chacun d’assumer son rôle car chaque citoyen répondra tôt ou tard de ses actes (devant Dieu ou devant les hommes) selon nos niveaux de responsabilités : de la cellule familiale au sommet de l’Etat. Si les adultes perdent le sens de la morale et de la responsabilité, cela va  s’en dire que les enfants trouveront à leur manière les solutions à leurs problèmes quotidiens. En attendant certains jeunes désœuvrés s’occupent à jouer régulièrement aux loteries qui, en réalité les dépouillent du peu dont ils disposent sous le regard complice des autorités guinéennes. Mais ça c’est une autre problématique !

De toute évidence la fissure du tissu social en Guinée n’est que la résultante de plusieurs années de manipulation et de mal gouvernance sur fond de pauvreté sans cesse croissante de décennie en décennie. On est de ceux qui pensent que l’ethnocentrisme, le communautarisme ne pourraient être bannis sans reconstruction d’un Etat-Nation, d’un Etat de droit. Sans un nouveau contrat social, sans justice sociale ou encore sans redistribution équitable des richesses du  pays, avec une administration au service de l’intérêt public, il est clair qu’on ne s’en sortira pas. Ainsi à la place de la malédiction divine on risquerait de parler de malédiction des richesses sans pour autant se prendre pour un prophète de malheur…

 

Aliou SOUARE

Citoyen Guinéen

Spécialiste en Conduite/Evaluation des Politiques Publiques du Développement

 

 

Créé le 17 août 2014 12:23

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