Dr. Faya au Général Doumbouya : « Il y a des gens qui s’agitent à contrecœur… »

CONAKRY-Dans la dernière partie de l’entretien qu’il a accordé à Africaguinee.com, Dr. Faya Milimouno livre son analyse sur la durée du mandat présidentiel, mais également sur les mouvements de soutien qui pullulent çà et là dans le pays. Le président du Bloc Libéral appelle le Président Doumbouya à ne pas franchir le Rubicon en annonçant sa candidature. Il a également évoqué d’autres sujets, tels que la grâce présidentielle accordée à Dadis Camara, le drame de N’Zérékoré et l’élection de Brice Oligui Guema au Gabon. Excellente lecture.

AFRICAGUINÉE.COM : Selon certaines indiscrétions, la nouvelle Constitution prévoirait un mandat présidentiel de sept ans au lieu de cinq. Qu’en dites-vous ?

Dr LANSANA FAYA MILLIMOUNO : J’attends encore de voir ce que contient exactement ce projet de Constitution. Je suis attentif aux propos des acteurs qui l’ont élaboré. Mais vous savez, certains pensent que c’est en allongeant la durée des mandats que la démocratie peut s’épanouir. Ce n’est pas forcément vrai.

Prenez l’exemple des États-Unis : le mandat y est de quatre ans, et ce, depuis des siècles. Aucun président ne peut faire plus de deux mandats, soit huit ans au total. Et ça n’a pas empêché ce pays d’être l’un des modèles démocratiques les plus stables au monde. À l’origine, il n’y avait même pas de limite pour un troisième mandat. C’est Franklin Roosevelt qui a brisé ce plafond : il a été élu pour un quatrième mandat, mais il est mort au début de celui-ci. Après lui, un amendement a été adopté pour fixer la limite à deux mandats. Depuis, cela ne se discute plus.

Donc non, ce n’est pas la longueur du mandat qui garantit une meilleure gouvernance ou une démocratie plus solide. Ce qui compte, c’est le respect des règles, la limitation du pouvoir et l’alternance.

Quant au reste, notamment la question de l’âge pour être candidat, on nous parle d’une borne inférieure et d’une borne supérieure. Là aussi, je dis attention : ce n’est pas parce que les grandes démocraties comme les États-Unis n’ont pas fixé d’âge limite qu’elles sont naïves. Par exemple, si on avait fixé une limite à 75 ans, un homme comme Ronald Reagan — l’un des présidents les plus marquants de ce pays — n’aurait jamais pu être élu.

Ce qu’il faut faire, à mon avis, ce n’est pas exclure des gens en fonction de leur âge, mais plutôt s’assurer que tout candidat, quel que soit son âge, soit sain de corps et d’esprit. C’est ça l’essentiel.

Vous savez, quelqu’un peut avoir 80 ans et être parfaitement apte à diriger un pays, bien plus qu’un autre de 45 ans souffrant de pathologies diverses. C’est pour cela que, lors du débat d’orientation constitutionnelle, nous avons beaucoup insisté sur ce point. L’important, ce n’est pas l’âge, c’est la capacité physique et mentale à assumer les fonctions.

Mais maintenant, on entend que dans le projet de Constitution, la durée du mandat passerait de 5 à 7 ans. Est-ce que ce sont les experts consultés par le CNT qui ont recommandé cela ? Si oui, alors chacun doit assumer ses responsabilités. Et surtout, il faut publier le rapport que ces experts ont remis au CNT. Ce document doit être accessible, parce qu’on y verra clairement les changements proposés et leur justification.

Je rappelle qu’à Kindia, quand les acteurs politiques ont été conviés à donner leur avis sur l’avant-projet, il y a eu un consensus très clair. « Tous ont dit qu’ils ne voulaient pas qu’à la fin, on découvre dans la version finale une disposition qui ouvre la possibilité aux membres du CNRD, du gouvernement ou du CNT d’être candidats aux prochaines élections. Cela a été dit fermement. Il ne faudrait donc pas que ce consensus soit ignoré. »

C’était une décision unanime de tous les partis politiques présents à Kindia. J’ai d’ailleurs conservé le rapport contenant toutes les recommandations formulées à cette occasion. Si ces recommandations sont prises en compte dans le texte final, tant mieux. Sinon, le Bloc Libéral les analysera en temps utile et en tirera toutes les conséquences. Mais je le dis clairement : il ne faut pas jouer avec la Guinée. Parce qu’au fond, c’est comme si on jouait avec la vie de millions de personnes.

L’administration, c’est la continuité. Ce qui est bien, ce que le CNRD a entrepris de positif, devra être poursuivi par le futur président démocratiquement élu.
Mais attention : ce discours, on l’a déjà entendu ! Quand le général Lansana Conté est arrivé au pouvoir, on disait : « Il faut lui laisser le temps de terminer ce qu’il a commencé. » Résultat ? Il est resté 24 ans sans jamais finir — il a laissé un pays dévasté, en faillite.

C’est exactement ce que les partisans du RPG nous ont servi ensuite : « Alpha Condé fait du bon travail, il faut le laisser continuer. » Et on a vu comment ça s’est terminé, avec la quête d’un troisième, puis d’un quatrième mandat…

Heureusement, le CNRD est intervenu. Mais soyons clairs : personne ne souhaite qu’un autre comité militaire vienne encore prendre le pouvoir en Guinée. Nous devons tirer les leçons du passé. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Et nous sommes fatigués de cette instabilité créée pour satisfaire des ambitions personnelles sans fin. Il faut que cela cesse.

Cinq mois après le drame survenu au stade de N’Zérékoré, on ne sait toujours pas ce qui s’est réellement passé. Comment observez-vous cette situation ?

C’est décevant ! Au moment de l’immergence gouvernementale à N’Zérékoré, le Premier ministre Bah Oury avait annoncé que le président Mamadi Doumbouya allait prendre la parole. Mais je pense qu’il ne s’était pas concerté avec le général (rires). L’immersion a pris fin il y a longtemps et le président semble avoir d’autres priorités. Mais ce que je tiens à dire au général, c’est que les morts à N’Zérékoré, c’est la faute de quelqu’un. On ne va pas nous faire croire que cet incident était un simple fait de la nature ou une volonté divine.

Il y a eu des responsables qui savaient que le stade de N’Zérékoré n’était pas adapté. C’était un chantier, il n’y avait qu’une seule sortie, et on a même fait entrer des enfants, y compris des élèves de primaire. On a vu les images. Et après l’incident, on a jeté des gaz lacrymogènes sur les gens. Le bilan officiel a fait état de cinquante et quelques morts, mais les défenseurs des droits de l’homme, eux, ont mené une enquête plus poussée. Selon eux, il y aurait eu près de 150 morts et plusieurs disparus. En pareil cas, quand une personne disparaît sans être recherchée, cela veut dire qu’elle n’a pas fui. Si après cinq mois, on ne retrouve pas cette personne, cela veut dire qu’elle est morte.

On nous a promis un rapport, mais il n’est toujours pas disponible. Peut-être qu’ils sont encore en train de l’élaborer. Mais nous, nous avons déjà pris connaissance du rapport des défenseurs des droits de l’homme. De plus, une partie des familles des victimes s’est constituée partie civile et a déposé une plainte à N’Zérékoré, avec l’aide d’avocats. L’État, qui avait promis d’enquêter et de situer les responsabilités, a bien reçu ce rapport, mais on nous empêche de le voir. On semble penser que les Guinéens sont trop fragiles pour supporter la vérité. Mais non, dites-nous la vérité !

Lors du procès du 28 septembre, nous avons déjà reproché l’absence d’enquête approfondie. On nous a dit qu’il y avait des charniers en Guinée. Pourquoi le juge qui dirigeait les débats n’a-t-il pas ordonné de vérifier ? Nous, ce que nous voulons, c’est savoir la vérité. Parce que c’est seulement une fois que nous aurons la vérité que le pardon pourra avoir un sens et que les Guinéens pourront l’accepter.

Donc cette affaire de N’Zérékoré, nous la suivons de très près. Si certains pensent qu’on va simplement dire « pardonnons et passons à autre chose », non, cela ne fonctionnera pas. Les massacres en Guinée feront l’objet de procès. Ce que nous espérons, c’est qu’on évite une répétition du procès du 28 septembre, tel qu’il a été mené.

Justement, en parlant du procès du 28 septembre, le capitaine Moussa Dadis Camara a bénéficié d’un décret de grâce. Selon les informations, il aurait même quitté la Guinée pour se rendre au Maroc. Quelles conséquences cela pourrait-il avoir sur la suite du procès en appel du 28 septembre ?

Tout d’abord, concernant la grâce présidentielle, je me suis personnellement réjoui du fait que Moussa Dadis Camara ait retrouvé sa liberté. Lorsqu’une personne perd la liberté et la récupère, il faut reconnaître que c’est une chose positive. Depuis le début du procès, et même pendant les 12 années qu’il a passées à Ouagadougou, Moussa Dadis a toujours affirmé : “Je suis prêt à faire face à la justice de mon pays. Je n’ai pas donné l’ordre, je n’ai pas demandé qu’on aille tuer…” Et, à la fin du procès, rien n’a prouvé le contraire. Le procès n’a pas démontré que Dadis avait donné l’ordre de commettre ces atrocités.

Ce qui a été décevant dans ce procès, c’est qu’il n’a pas permis de répondre à la question centrale : qui a donné l’ordre ? Nous savons qu’il y a eu plus de 150 morts et des femmes violées, mais nous ne savons toujours pas qui est responsable de ces crimes. Le procès, malgré les milliards de francs dépensés, n’a pas permis de déterminer l’auteur de l’ordre et les exécutants. C’est une question qui reste en suspens et c’est ce qui alimente aujourd’hui beaucoup de doutes et d’interrogations.

Prenons l’exemple de Bienvenue Lamah. Lui, il avait été acquitté, il avait reçu un non-lieu, mais dès qu’un témoin l’a cité, il a été incarcéré et est désormais à la maison centrale. Par principe, je me bats pour la justice, pour les droits et libertés. Je peux accepter que quelqu’un, dont la culpabilité n’a pas été prouvée, soit libéré plutôt qu’un innocent reste en prison. C’est là-dessus que les Guinéens doivent se concentrer, sur le fond de cette question de justice.

En ce qui concerne l’appel, je ne crois pas que la grâce présidentielle empêche la procédure d’avancer. L’appel a été interjeté parce que la première décision n’a pas satisfait les parties prenantes. C’est donc un nouveau jugement qui doit être rendu. D’après les juristes que j’ai consultés, « la grâce présidentielle peut annuler la peine de prison, mais elle n’efface pas la condamnation ». Il est dans l’intérêt de Moussa Dadis et des autres accusés que l’appel se tienne. Car, si l’appel ne parvient pas à démontrer qui a donné l’ordre et qui a exécuté les crimes, cela signifiera que la justice guinéenne aura échoué à rendre justice aux victimes de cette tragédie.

Au Gabon, le général Brice Oligui Nguéma a été élu à la présidence avec plus de 90% des suffrages. Quelles sont vos impressions ?

L’Afrique doit évoluer de manière honnête. Si l’on regarde l’histoire, notamment sous le régime de Sékou Touré, Mobutu, Paul Biya, et même ici chez nous avec le premier général, le général Lansana Conté, on a vu des élections avec des résultats similaires, des suffrages avoisinant les 90%. Le général Lansana Conté a dirigé le pays pendant 24 ans, mais dans quelles conditions nous a-t-il laissé ? Je crois qu’il faut en tirer des leçons.

Quand certains membres du CNRD sont partis en tournée à l’intérieur du pays, et qu’ils ont dit « c’est les généraux qui construisent », ils oublient qu’on vient juste de voir partir un général qui a dirigé pendant 24 ans et qui, malheureusement, n’a pas développé la Guinée. Est-ce qu’on veut un autre général à la tête du pays ? Je n’en suis pas convaincu. En profondeur, je ne crois pas que le Guinéen souhaite revivre cette expérience.

En ce qui concerne le Gabon, malheureusement, c’est une répétition de l’histoire. C’est l’Afrique qui, une fois de plus, semble démissionner, et les mêmes problèmes vont perdurer. J’avais de l’espoir pour le Gabon, surtout lorsque cet officier est arrivé. Si ce général n’avait pas décidé de se présenter à la présidence, j’aurais cru en lui. Mais le fait qu’il se soit lancé dans la course et qu’il ait obtenu un suffrage de plus de 90%, cela ne changera absolument rien au Gabon. Si Dieu nous prête vie, dans cinq ou six ans, vous verrez probablement des Gabonais dans la rue, protestant et cherchant à chasser ce même homme qu’ils ont élu.

Vous ne craignez pas l’effet domino en Guinée ?

Nous sommes encore loin de cette situation. Personnellement, j’apprécie le général Doumbouya. C’est un homme calme, serein, qui semble observer avec attention ce qui se passe autour de lui. Je l’apprécie vraiment. C’est pourquoi je lui dis : « Ne suivez pas ceux qui vous flattent aujourd’hui, ceux qui vous disent que vous êtes le plus beau, le plus géant, le plus honnête, etc. » Ces personnes ne cherchent qu’à profiter. Ce sont souvent les mêmes qui ont dit à Alpha Condé : « Si vous partez, le pays tombera entre les mains de mécréants. » Rappelez-vous, c’est ce qu’ils disaient à Alpha Condé. Aujourd’hui, il est en Turquie. Si la situation devait se retourner, je pense qu’il réfléchirait à deux fois. Parce que les mêmes personnes qui allaient à Sékoutouréyah pour lui dire « nous vous soutenons« , c’étaient les mêmes qu’on retrouvait à Boké, à Kankan, à Kindia. Et aujourd’hui, personne parmi eux ne pense qu’Alpha Condé a le droit de vivre chez lui, en Guinée. Ils ont eu ce qu’ils voulaient avec lui. Vous l’avez enlevé, et maintenant, ils cherchent à obtenir ce qu’ils veulent avec vous.

Je lui dis : « Ne laissez pas cela se reproduire ». Il y a des Guinéens capables de faire mieux, de réaliser davantage que ce que vous, le général Mamadi Doumbouya, êtes en train de faire. On se trompe souvent en pensant que « sans moi, rien n’est possible à la tête du pays« . C’est une des erreurs les plus graves qu’on puisse commettre. Je continue d’avoir beaucoup de respect pour le général Doumbouya. Si je peux lui donner un conseil, c’est de ne jamais franchir le Rubicon.

Quel est votre mot de la fin ?

Je vais inviter le peuple de Guinée, ce peuple très résilient qui a traversé de nombreuses épreuves, mais qui a toujours démontré sa capacité à se battre pour des valeurs fondamentales : la démocratie, la justice, la paix et la liberté. C’est exactement cela que je demande au peuple de Guinée de continuer à faire. Ne vous laissez pas tromper. Ceux qui s’agitent autour du général Doumbouya ne représentent pas 100 000 personnes. La Guinée, c’est 14 millions d’habitants. Et même parmi ces 100 000 personnes, beaucoup agissent sous pression. Il y en a qui le font par obligation, parce qu’ils sont fonctionnaires et qu’ils craignent des représailles, comme une affectation arbitraire ou la perte de leur position.

Certains agissent à contrecœur, ce qui veut dire qu’ils pourraient même ne pas voter pour Doumbouya. Ils se sentent obligés, et c’est pourquoi on les a vus à Kankan, à Kindia, à Boké. Et parmi eux aussi, je le dis au Général, beaucoup se retrouvent là simplement pour avoir de quoi manger, car la situation est très difficile. Les Guinéens souffrent de la pauvreté. Beaucoup ne mangent pas à leur faim. Si vous voyez des gens se déplacer ainsi, c’est souvent parce qu’ils cherchent à remplir la marmite, à survivre. Cela signifie que, le moment venu, ces mêmes personnes pourraient se détourner de lui, bien avant même les élections.

C’est pourquoi je continue d’appeler le peuple de Guinée à poursuivre ce combat, à ne jamais lâcher. Très bientôt, des mots d’ordre vous seront donnés. Puisque les manifestations sont désormais autorisées, nous organiserons, de manière pacifique, des marches à travers tout le pays. Nous serons à Kankan, à N’zérékoré, à Faranah, à Labé, à Mamou, à Boké, à Kindia, à Conakry et dans toutes les préfectures du pays.

Entretien réalisé par Oumar Bady Diallo

Pour Africaguinee.com

Créé le 23 avril 2025 09:58

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