Dr Edouard Zotomou Kpoghomou : “La Guinée est un volcan dormant…”
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CONAKRY- La tournée du ministre secrétaire général de la présidence de la République, dans la région administrative de N’zérékoré, est scrutée de près par certains acteurs politiques. Certains y voient une sorte de campagne déguisée pour encourager la candidature du Général Mamadi Doumbouya. C’est le cas du président de l’UDRP (Union démocratique pour le renouveau et le progrès). Dans cette interview, Dr Edouard Zotomou Kpoghomou s’exprime aussi d’autres sujets brûlants de l’actualité. Il alerte sur les risques d’instabilité que le non-respect des autorités de la transition pourrait engendrer.
AFRICAGUINEE.COM : Que pensez-vous de la tournée du général Amara Camara dans la région administrative de Nzérékoré ?
Dr EDOUARD ZOTOMOU KPOGHOMOU : Vous savez, nous, on ne voulait réellement pas réagir à ces sorties intempestives, qui sont vraiment des sorties qui viennent sur la base des achats de conscience. On ne peut pas mobiliser des gens qu’on achète. Sauf que la popularité ne s’achète pas. La popularité s’acquiert autour d’un projet que tout le monde apprécie.
Monsieur Amara est dans son jeu pour imposer la candidature du général Doumbouya. Or, cela est en porte-à-faux avec la charte de la transition. Nous, nous sommes catégoriques, en tout cas au niveau de l’opposition, au niveau des alliances, au niveau de l’ANAD (Alliance Nationale pour l’Alternance et la Démocratie), nous avons dit que la candidature, quelle que soit la Constitution qu’on va mettre en place, tant qu’on n’a pas voulu remettre, reconduire les intangibilités qui sont le verrou, et qui s’opposent à la candidature du général Doumbouya, on n’ira nulle part avec. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent. Nous, nous disons que le 31 décembre, c’est la fin de la transition. Donc, il faut qu’on ait ça en tête.
Encore une fois, nous ne sommes pas en train de menacer, c’est pourquoi nous appelons toujours, nous sommes toujours en train de demander au président de la transition de faire en sorte que le retour à l’ordre constitutionnel se fasse de façon ordonnée. Et à ce que je sache, les ingrédients, tous les éléments sont en place, il suffit d’activer pour que tout puisse se passer normalement. Mais si on veut aller à autre chose, bon, ce sont eux qui sont les militaires, ce sont eux qui ont les armes, ce sont eux qui achètent des armes et intimident. Aujourd’hui, en Guinée, on est en train d’intimider, de faire disparaître et de chercher à consoler par la suite. On est en train de divertir l’attention du Guinéen sur des projets dont on n’a pas encore tout le contour.
Aujourd’hui, on va vanter le projet Simandou, comme si, de façon magique, il allait sortir les Guinéens de leur vie précaire. La réalité, c’est que le projet, tant qu’il l’est tel qu’il est, il est très opaque dans sa gestion.
Encore une fois, il faut que les détails, les conventions, les contrats et tout ce qui a trait, justement, à l’étude de faisabilité, à l’étude technique, tout cela, d’après l’ITIE (Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives). Il faut que tous ces documents soient portés à la connaissance du public.
Ce n’est pas à eux de nous dire que le projet est bon, c’est à nous, à la population, de rentrer dans ce projet, de décortiquer et de voir ce qui est bon. Au lieu qu’on nous décrit ça, laissez-nous déterminer nous-mêmes. Ce que nous savons, c’est que tout ça, c’est une campagne pour forcer la candidature du général Mamadi Doumbouya. Rien de plus. Sinon, on n’a pas encore annoncé d’élection. Alors comment dire que c’est maintenant qu’il faut faire comprendre aux gens qu’on vient discuter de l’avant-projet de la Constitution qui est, en fait, métamorphosé en autre chose.
Quand on voulait parler de Constitution, on parlait de Constitution au lieu de prétendre parler de Constitution, pour aller imposer une candidature. Le jeu est à ciel ouvert et tout le monde comprend. Donc, M. Amara est dans ses droits. Parce qu’il sait une chose, c’est ce qu’ils sont en train de faire aujourd’hui. Mais demain, l’histoire va juger. Demain, l’histoire jugera. Moi, je pense que c’est ça qu’il faut qu’on dise.
Le général Amara n’était pas seul. Il y avait d’autres fils et cadres de la Guinée-Forestière, notamment François Bourouno, Kéamou Bogola Haba, Benoît Kamano, etc. qui étaient tous avec lui. Il y a eu de la mobilisation. Pensez-vous vraiment qu’il dispose suffisamment d’argent pour faire l’achat des consciences de toutes ces personnes qui sont sorties les accueillir ?
Écoutez. Tous ceux que vous citez là, ce sont des gens qui sont dans les poches du CNRD. Tous ceux-ci, c’est la même équipe. Donc, vous ne pouvez pas dire qu’il y a telle ou telle personne. Moi, je n’aime pas parler des gens. Mais Bogola Haba, est ministre des sports. Comment a-t-il été nommé ? C’est lui qui sait. Et pourquoi il a été nommé ? C’est lui qui sait. Ce sont eux qui sont en train de soutenir ouvertement le CNRD dans ses ambitions. Et ce que nous disons, c’est que si on les suit, quelque part, s’il y a quelque chose, ils en seront tous responsables.
Nous avons attiré l’attention de la mission des Nations Unies sur ça. Aujourd’hui, qu’on le veuille ou pas, la Guinée est un volcan dormant. Le manque de mouvement ne veut pas dire qu’il n’y a rien qui se prépare. Le volcan quand il dort, en bas, c’est de la lave. Dessus, on dirait de la terre normale. C’est une croûte qui est dure, mais ça trompe.
Donc, nous voulons demander aux gens d’être responsables, de ne pas suivre leur instinct d’enrichissement illicite, parce que cela ne va pas aider la Guinée. Le développement, encore une fois, ne s’improvise pas. Il ne s’impose pas par la volonté d’une poignée de personnes. On le planifie, c’est ça. Et quand on veut aller vendre un projet dont on ne connaît même pas les contours, c’est qu’on est en train de se tromper. On cherche seulement à dire quelque chose qu’on ne maîtrise pas. Et quand on le fait, on peut raconter des choses qui ne se doivent pas.
A votre avis, pourquoi cette délégation conduite par le général Amara Camara, a choisi la région du Sud pour faire cette grande tournée ?
C’est très simple. On est en train de jouer justement à la fibre ethnocentrique. C’est à cela qu’on est en train de jouer. On joue à la fibre ethnocentrique. Amara a choisi d’aller là parce que c’est sa région d’origine. C’est la raison pour laquelle ils sont là.
Mais à voir cette mobilisation en tout cas dans ces différentes localités que la délégation a sillonnées, on a l’impression que les populations de la région administrative de N’zérékoré adhèrent aujourd’hui aux idéaux du CNRD, surtout cette éventualité d’une candidature du général Mamadi Doumbouya, est-ce-que vous le voyez ainsi ?
Mais justement, c’est en porte-à-faux avec la charte, ce n’est pas à la population de dire ou alors ce n’est pas au CNRD de faire la campagne pour forcer la candidature du général Mamadi Doumbouya.
Eux-mêmes, ils l’ont dit dans la charte. L’homme, c’est sa parole. Et puisque nous sommes dans un pays de loi, il faut quand même qu’on ait le courage et qu’on apprenne justement la culture de pouvoir respecter nos engagements.
C’est ce qui fait que personne ne peut avoir confiance en nous puisque nous disons une chose, nous faisons le contraire. Alors comment est-ce qu’on va vous faire confiance ? Même dans le cadre des accords que vous pouvez passer, si vos propres lois que vous écrivez, vous ne pouvez pas les respecter, personne ne s’attend à ce que vous puissiez respecter les accords que vous allez passer avec eux. Aujourd’hui, on choisit de vous montrer ce qu’on veut que vous voyiez.
Moi, je crois que c’est une illusion. C’est une illusion parce qu’on vous montre ce que l’on veut que vous voyiez. On ne vous montre pas ce qui n’est pas favorable à eux ou à cette délégation ou à tous ceux qui sont dans cet ordre d’idée-là. La réalité, c’est que les gens ne sont pas en train d’adhérer. C’est la raison pour laquelle on ne peut pas dire qu’il y a un mouvement populaire, il faut aller ramasser les gens par-ci, par-là pour les amener quelque part. Il y a beaucoup d’inconnus et je crois que ce n’est pas la peine que l’on se fie à ce genre de publicité et de campagne. On peut minimiser ce qui est mauvais et on maximise ce qui semble être bon. C’est comme ça. Parce qu’il faut impressionner. La réalité, c’est que c’est un chemin très dangereux. Encore une fois, nous sommes dans un pays de loi. Donc, on ne peut pas permettre que les gens viennent prendre en otage tout un pays et qu’on impose une candidature qui ne se doit pas. Nous n’avons jamais dit que personne d’entre eux ne peut être candidat à quoi que ce soit. Mais ce n’est pas dans la foulée. Ce n’est pas dans la foulée. La charte le dit clairement et même l’accord qu’ils ont signé avec la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) le dit clairement.
Encore une fois, jusqu’à ce jour, les organisations politiques, les partis politiques n’ont jamais appelé à manifester. Donc, il faut qu’on fasse tout pour éviter ça.
Est-ce que vous, en tant que leader, président d’un parti politique avez peur aujourd’hui d’affronter un candidat du CNRD aux élections ?
Mais bien sûr, c’est la raison pour laquelle ils ne veulent pas qu’il y ait des élections transparentes. Si les élections sont transparentes, nous avons dit, nous ne voulons pas que le Ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD) organise les élections. Nous voulons qu’un organe indépendant de gestion des élections le fasse. Nous voulons un fichier électoral qui soit élaboré, pas sur la base du RAVEC autour duquel ils sont en train de travailler, mais sur la base du fichier qui était là, qui avait déjà été toiletté et duquel on avait extirpé plus de 2,5 millions de votants fictifs.
Nous avons dit que nous n’avons pas besoin qu’ils fassent un recensement général, le RGPH, qui n’a rien à voir avec la transition en tant que telle. Et nous disons qu’il faut effectivement que ces élections soient supervisées par une institution internationale comme les Nations Unies. Et nous avons aussi dit qu’il faut qu’au niveau de la transition, par exemple, qu’on n’ait pas à transporter les urnes de localité en localité.
Nous avons demandé de digitaliser pour que les remontées des résultats se fassent électroniquement d’un bureau de vote à un centre de consolidation des données.
Si tout cela est fait, ils peuvent présenter qui ils veulent. Aussi longtemps qu’on élimine des circuits comme les CACV, qui sont des centres administratifs de contrôle de vote, ou alors les CCTIRV, qui sont des commissions centrales de transmission de vote, aussi longtemps qu’on élimine tout cela, on est en train d’éliminer les possibilités de trucage des élections. En Guinée, même si les gens votent, les gens voteront mais s’il y a des organes intermédiaires qui sont là et dont la vocation est de faire ce trucage-là. Ces organes deviennent en quelque sorte de véritables laboratoires de falsification des résultats.
Si tout cela est mis en place, c’est comme si vous alliez à un match de football, un match de qualification. Si vous avez tous les ingrédients, vous avez une équipe et tout est transparent, c’est le meilleur qui va gagner. Nous savons que le CNRD n’est pas un parti politique, du moins, maintenant. Alors, ceux qui ont les militants, on n’a qu’à faire match égal. On donne à chacun la possibilité de faire une campagne. Et comme ça, vous allez aller sur le terrain électoral.
On verra qui, effectivement, est populaire. Il faut retirer, effectivement, la possibilité de pouvoir acheter la conscience du peuple. Parce que le peuple va aller s’il a faim. Si on l’a affamé, il cherchera d’abord à manger avant de chercher à voter.
Alors il a choisi d’aller là c’est pour justement qu’on voit en lui un exemple comme quelqu’un en qui on peut faire confiance. Alors tout le monde le sait, aujourd’hui encore à leur niveau il y a tellement d’opacité, même dans la gestion du CNRD, on n’ose même pas en parler. Aujourd’hui, qui peut avoir le courage de faire une sorte d’audit dans la gestion du CNRD ? On n’en parle même pas.
Nous pensons qu’on ne peut pas en parler maintenant parce que ce serait peine perdue. Personne ne le fera. Les gens à qui on a demandé de présenter leurs biens, de déclarer leurs biens, s’ils n’ont pas eu le courage de le faire, vous n’allez pas leur demander de laisser d’autres entités fouiller dans leur gestion. Cela ne se fera jamais.
A suivre!
Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 25 novembre 2024 10:30Nous vous proposons aussi
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