Déby/Les « vérités » de Bah Oury : « Lorsqu’on insiste sur la limitation des mandats… »

Bah Oury

CONAKRY-La mort tragique du président tchadien, maréchal Idris Déby Itno, ce mardi 20 avril 2021, continue de susciter des réactions. Quelles conséquences cette disparition peut-elle avoir pour la sécurité dans le Sahel ? Quel avenir pour le Tchad ? Quels enseignements peut-on tirer de la mort brutale de l'homme de N'Djamena qui venait à peine d'être réélu pour un 6ème mandat ? Votre quotidien en ligne Africaguinee©, a interrogé l'opposant guinéen, Bah Oury qui a fait une "pertinente analyse" sur cette actualité du continent. Entretien exclusif.

 

AFRICAGUINEE.COM : Comment avez-vous appris la mort d’Idriss Deby Itno ?

BAH OURY : J’ai appris cette nouvelle avec une grande stupéfaction, c’était inattendu et c’est brutale pour plusieurs raisons. Brutale parce qu’il semblait être l’homme fort du Tchad, et il avait dirigé son pays avec une main de fer. Mais on a suivi l’évolution des groupes rebelles ces dernières semaines. Personnellement, je ne pouvais penser que ça allait aboutir à ce dénouement tragique pour la vie du président Tchadien.

Selon vous qu’est-ce que son décès pourrait avoir comme conséquences au plan sécuritaire dans le Sahel ?

Tous les régimes qui se sont succédé au Tchad pratiquement depuis l’indépendance, sont des régimes de type guerrier, violent et puis répressifs. Donc, le Maréchal Deby a poursuivi dans cette longue tradition de régime particulièrement violent et guerrier. Ça c’est un fait. Mais de l’autre côté, la tradition guerrière a été renforcée par la disposition d’une armée relativement efficace dans les régions de types sahéliens. Ce qui fait que dans une certaine mesure, le président tchadien a su utiliser son armée comme étant un bouclier pour lui permettre d’être incontournable dans les conflits qui ensanglantent le Sahel depuis pratiquement plus d’une décennie. Donc, dans la lutte contre le djihadisme islamique et des forces asymétriques qui pullulent du Mali jusqu’au niveau du Soudan du Sud en passant par la République Centrafricaine, c’est pratiquement un chef de guerre, un militaire qui a su toujours utiliser ses capacités militaires pour les services de sa cause pour le maintien de son pouvoir personnel.  

Peut-on craindre aujourd'hui une déstabilisation de cette région ?

Il y a d’abord un risque majeur pour l’Etat Tchad lui-même qui se retrouve dans une zone d’instabilité renforcée. Ce sont des forces rebelles qui se dirigent vers Ndjamena et qui sont à l’origine de la mort du président qui vient être élu pour un sixième mandat. Les dissensions internes risquent des déstructurer ce pays. Le risque de voir ce pays aussi grand que le Mali plonger comme la Libye, est là. C’est un risque "d’Afghanisation" de l’ensemble de la Corne de l’Afrique.

Le deuxième risque, c’est de voir les forces asymétriques de types djihadistes avoir plus d’entrain de maintenir leur offensive dans le Mali, le Burkina ou le Niger. Les risques sont accrus au cœur du continent africain. On ne peut pas dire que la France pourra contribuer à elle seule à la stabilisation de tout ce sous-continent sahélien. Il y a une nécessité absolue de revoir totalement les paradigmes par lesquels les gouvernements locaux et les puissances étrangères ont géré la situation du Sahel jusqu’à présent.

Idris Deby était un ami d’Alpha Condé -dont la décision de briguer un troisième mandat a renforcé les clivages en Guinée-.  Selon vous qu’est-ce que sa disparition -alors qu'il vient d'être réélu pour un sixième mandat-, peut renvoyer comme enseignement ?

 L’alternance ce n’est pas simplement pour permettre à un régime d’être remplacé par un autre ou à un président d'être remplacé par une autre personne. L’alternance c’est le socle par lequel la stabilité du pays est affirmée. Le fait qu’il y ait des personnes qui restent trop longtemps au pouvoir avec une personnalisation des attributs du pouvoir est un risque majeur. Le président Deby est parti de manière tragique. Mais quoi qu’il en soit, sa disparition d’une manière ou d’une autre aurait amené le Tchad dans une zone de conflits et d’instabilité. Lorsqu’on insiste sur la limitation des mandats, c’est pour protéger le pays d’une certaine forme de déstabilisation qui, nécessairement, interviendra après une longue période de pouvoir personnel. C’est valable pour les pays du monde entier.

Les sociétés ont besoin de respiration démocratique pour se renouveler et se transformer dans une dynamique de continuité. Le fait de rompre cela, ipso facto engage le pays dans une rupture de dynamique violente avec des retours en arrière comme on l’a constaté aussi bien pour l’Union Soviétique aussi bien des pays comme la Côte d’Ivoire avec le président Houphouët Boigny, les Mobutu Cessoko au Congo. La nécessité de limiter les mandats prend en compte la stabilité du pays, la paix et de la prévention des conflits. 

 

Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Créé le 21 avril 2021 08:59

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