De la Guinée en France : Le parcours inspirant de Oumou Sadio Baldé, première femme arbitre en Basse-Normandie

Oumou Sadio Baldé

BASSE-NORMANDIE- Actrice comédienne, arbitre professionnelle en France, Oumou Sadio Baldé Diallo a une riche et inspirante carrière. Pure produit de l’école guinéenne, cette mère de trois enfants, originaire de Koin, préfecture de Tougué, est née à Labé où elle a passé une partie de sa vie. Dès l’adolescence, elle a été piquée par le virus du football, un sport dominé par les hommes en Guinée, mais qu’elle a pratiqué avec dévouement et passion. De Labé à Dalaba, jusqu’à Conakry, elle ne s’est pas éloignée des terrains de foot jusqu’à intégrer le monde de l’arbitrage. Diplômée en administration des affaires de l’Université de Sonfonia, elle a rejoint la France en 2009 par les liens de mariage.


Le coup du destin ? Certes, elle a été épousée par un footballeur qu’elle a rejoint à l’Hexagone. Oumou Sadio Bah Diallo a décidé de continuer d’exercer le métier qui la passionne. En basse Normandie, elle était l’unique femme arbitre en 2009 dans cette région.  Un motif de fierté de ce qu’elle a appris en Guinée. Aujourd’hui, elle a raccroché l’arbitrage. Elle est déléguée sportive (l’équivalent de commissaire de match en Guinée, NDLR). Elle a répondu aux questions d’Africaguinee.com.

AFRICAGUINEE.COM : Pour commencer, pourquoi deux noms de famille BAH et Diallo à la fois ?

OUMOU SADIO BALDÉ DIALLO : Bonjour Africaguinee.com, merci de vous intéresser à moi. Oumou Sadio Bah Diallo, c’est simple. Bah, c’est mon nom de famille, Diallo est venu par les liens du mariage. D’où cette composition « Bah-Diallo ».

Parlez-nous de vos premiers pas dans le monde du sport ?

J’ai aimé jouer au football très tôt lorsque j’étais au collège, à Labé. A l’époque, il y avait des tournois scolaires. Je précise que je suis passée par le collège Hoggo Mbouro. A Labé, je n’ai fait que jouer au Foot. C’est quand je suis arrivée à Dalaba que j’ai découvert l’arbitrage pour la première fois. Je faisais la 10ème année. Les premiers coups de sifflet sont partis de là. Ensuite, je suis partie à Conakry. Avec la passion, j’ai fini par intégrer la fédération guinéenne de football en tant qu’arbitre. Mais le sport et moi, c’est depuis l’adolescence.

Dans quel cadre étiez-vous venue à Conakry ?

Mes parents ont été mutés à Conakry dans le cadre du travail. Du coup, toute la famille est partie. Ça m’a permis de me rapprocher des terrains de football et du cercle des arbitres. Une opportunité que je n’avais pas à l’intérieur du pays. Ensuite, j’ai retrouvé Tonton Midiaou sur place. C’est lui qui m’avait initié à l’arbitrage à Dalaba. Lui aussi, a été muté à Conakry. Par la force des choses, on s’est tous retrouvé à Conakry. Tonton Midiaou m’a amené à la fédération où il m’a présenté aux dirigeants. C’est comme ça que j’ai commencé le stage. Mais déjà depuis Dalaba, j’officiais des matchs.

Pendant combien de temps étiez-vous restée à Conakry ?

Le temps passé à Conakry est énorme. Parce que, pendant toutes mes années de lycée et d’université, j’étais là. Au niveau de l’arbitrage, j’ai repris en tant que stagiaire, après arbitre stagiaire, ensuite, je suis arrivée à la ligue. Enfin, j’ai eu mes diplômes niveau fédéral. Avant de quitter la Guinée en 2009, j’étais arbitre fédéral.

Vivre sa passion est difficile chez nous avec des familles souvent conservatrices. Quelle a été votre expérience ?

Ce n’a pas été facile. Quand tu vois une femme dans ce milieu dominé par les hommes, nos familles acceptent ça difficilement. Surtout qu’à l’époque, l’arbitrage féminin n’était pas très connu en Guinée.  Ce n’est pas qu’en Guinée seulement, parce que quand je suis arrivée en France, ce n’était pas connu comme aujourd’hui. Donc, pour mon cas, non seulement c’était difficile de faire passer cette décision en famille mais sur le terrain aussi. Les femmes arbitres ont connu beaucoup de revers. A cette époque, c’était très difficile de se faire accepter par les joueurs mais aussi par les dirigeants. En dépit de tout, j’ai gardé la passion, j’ai été tenace, j’adorais bien jouer au foot avec mes frères faute d’équipe féminine stable. C’est lors d’une discussion avec les frères, que je me suis rendue compte qu’une femme peut devenir arbitre. C’est comme ça que j’ai intégré le métier.

En Guinée, il n’y avait que le championnat masculin. Les filles ne jouaient qu’à l’occasion des tournois scolaires. Le plus grand tournoi féminin auquel j’ai assisté, c’est à Kankan. Je pense que c’est le plus grand tournoi féminin que j’ai eu dans ma carrière d’arbitre en Guinée. Le reste, j’officiais des matchs des hommes.  Les tournois inter-quartiers, interscolaires, m’ont permis aussi de me perfectionner. Parce qu’il n’y avait que la ligue 1 qui était bien structurée. Je profitais bien aussi des tournois dotés du trophée un tel ou un tel autre.   Nous avons fait notre visibilité à partir de là. On arbitrait le championnat masculin aussi.

Dans le foot il y a aussi souvent des moments de tension surtout pendant les derbys. A quel moment vous vous êtes senties en difficultés la veille ou le jour d’un match ?

Je le dis à chaque fois. Je ne sais si c’est parce que j’étais très jeune. Mais je n’avais pas peur devant un match lorsque j’étais en Guinée, toute ma carrière. C’est plutôt des défis qui m’attirent parce que je me sentais à ma place. Alors que les joueurs, les supporters ou les dirigeants disaient qu’on n’était pas à notre place. Ces mots ne m’ont jamais ébranlé. Je me plais bien là où je suis. Donc, pour moi, être désignée à un match, c’était une satisfaction. Même maintenant, je me le dis, si c’est à cet âge-là où je suis qu’on me demandait d’affronter certains défis que j’ai dû affronter en Guinée par le passé, je ne l’aurais pas fait. Avant, j’avais l’avantage d’être jeune. Je n’avais pas du tout peur, comme je vous le dis, quand je voyais une désignation à un match, j’étais hyper contente.

Je me souviens d’un match en Horoya (Matam) contre Athletico « Coléah » (deux grands rivaux historiques du championnat guinéen). C’était un derby vraiment au terrain de Coleyah. Ce jour, nous sommes restés jusqu’à 22 heures dans les vestiaires, les supporters nous attendaient dehors. C’est des choses qu’on se racontait en rigolant, mais ce n’est pas quelque chose qui a fait que le lendemain, j’avais peur d’y aller. Je savais que c’est des choses qui allaient être difficiles. Je me disais de mon côté que je suis à ma place.

Depuis 2009, vous vivez en France. Dans quel cadre avez-vous rejoint l’hexagone ?

Je suis arrivée par le biais de mon mari qui vivait là déjà. Donc, dans un premier temps, c’est par les liens du mariage. Mais la passion d’être arbitre me hantait toujours. Dès que je suis entrée en France, j’ai voulu directement reprendre mon métier d’arbitre. J’ai sorti tous mes diplômes d’arbitre obtenus en Guinée. Ça va vous surprendre mais lorsque je suis arrivée, j’étais la seule femme arbitre dans toute la région de la Basse Normandie. Avec mes diplômes, ils se sont rendus compte de mon niveau fédéral. Le niveau était là c’est vrai, malheureusement ils m’ont fait savoir qu’il n’y avait pas d’équivalence entre le championnat guinéen et celui Français. Ils ne savaient pas où me mettre alors que j’insistais pour arbitrer le championnat masculin comme en Guinée. Avec mon attachement, ils ont dit écoute on va te donner des matchs puis on va voir le résultat, en fonction de ça on va déterminer ton niveau. C’est comme ça que c’est parti pour le départ de ma carrière en France en tant qu’arbitre. Après ils ont eu une idée sur là où il fallait le mettre.

Comment avez-vous vécu cet instant de savoir que vous étiez la seule arbitre en 2009 en Basse Normandie ?

J’ai compris qu’il ne faut pas sous-estimer les acquis de chez nous. Ça me revient encore dans la tête. En 2009 j’étais la toute première femme arbitre dans l’histoire de la région de la Basse Normandie. Ça été une fierté pour moi d’avoir reçu une très bonne formation de base en Guinée. Ce que beaucoup n’arrivaient pas à comprendre qu’en Guinée aussi, il y a un niveau raisonnable dans l’arbitrage. L’autre avantage, c’est le fait que je n’avais pas besoin de cours de remise à niveau ou de certains stages pour m’adapter. Rapidement, j’ai gravi les échelons grâce à ce que j’avais acquis en Guinée.  Bien que l’arbitrage nécessite une formation continue. Ça implique des stages, des petites formations d’adaptation toute la saison…Pour moi ça n’a pas été trop difficile. Parce que je suis revenue dans un monde que je connaissais déjà avec un niveau qu’ils ont trouvé ici très élevé.

A quelle division du championnat avez-vous commencé à arbitrer en France ?

A mon arrivée, le premier match qu’ils m’ont donné, c’était un match en régional 2. Ils étaient satisfaits de ma prestation. Le week-end suivant, on m’a donné un match en régional 1, après ils m’ont envoyé dans les matchs en national 2 et national 3. A la fin de la saison, ils m’ont présenté à la fédération pour arbitrer au niveau national. Pour ceux qui connaissent les catégories de Foot, c’est l’équivalent de 3ème division, ici ils disent niveau national. J’ai continué comme ça, en 2012 j’ai eu l’honneur d’arbitrer la finale de la coupe nationale féminine. La saison dernière j’ai fait le dernier match de ma carrière. A partir de cette saison, je suis déléguée maintenant. C’est l’équivalent de commissaire de match en Guinée.

Parlez-nous de votre intégration…

Comme je vous le disais au début, ils étaient surpris du niveau que j’avais. Ici, ce n’est pas comme la Guinée. Chaque arbitre couvre un club. Le club où je suis arrivée, ils ont été vraiment sympa avec moi. Ils étaient fiers de moi, fiers que j’appartienne à leur club en tant que femme. Au niveau de la ligue de Basse-Normandie, il y avait un arbitre de Ligue 1, qui s’appelle ‘’Mikael le Sage’’. C’était lui le directeur technique d’arbitrage. De son lieu d’habitation au mien, il y avait 100 km à parcourir, mais il venait au moins une fois par semaine là où j’habite pour qu’on s’entraîne ensemble. Il amenait d’autres arbitres de haut niveau pour un meilleur encadrement. C’était un honneur pour eux d’avoir une femme dans leur rang d’arbitre. Ce qui fait que j’ai représenté la Basse-Normandie à plusieurs compétitions organisées en France. Ils m’envoient représenter notre région, de mon côté c’était aussi une fierté. A un moment donné, je le disais à mon mari : ce n’est pas parce que je viens de la Guinée, je suis honorée ici partout. Ça veut dire que la bonne formation est en Guinée, mais les gens ne s’en rendent pas compte. Je pense encore que la formation de chez nous est meilleure. C’est seulement la volonté et l’attachement qui font la différence.

Pourquoi vous avez raccroché si prématurément ?

Moi, je ne trouve pas que c’est prématuré. Parce que je me dis qu’à un moment donné, j’ai commencé à accompagner les jeunes arbitres pour leur formation. Maintenant il y a l’émergence au niveau des jeunes arbitres notamment l’arbitrage féminin. Beaucoup de jeunes et femmes plongent dans le métier d’arbitre dans la région où je suis actuellement, la Nouvelle-Aquitaine. Je contribue à leur formation et à leur perfectionnement. Dans la vie, il faut savoir dire à un moment donné que j’ai fait mon temps, il faut laisser la place aux jeunes.  Je n’ai pas pu quitter le milieu du foot. En réalité, le foot est devenu ma vie, le quitter est difficile pour moi. Du coup j’ai décidé de rester en tant que déléguée. Pourtant j’avais la possibilité d’être dans un niveau plus élevé et mon entourage ne voulait pas que j’arrête. Mais la décision était déjà prise. Quand j’ai arrêté, j’avais le choix de devenir déléguée ou observatrice. J’ai choisi d’être déléguée.

Déléguée sportive ou de foot ça rapporte à quoi ?

Déléguée, c’est comme si on dit en Guinée, commissaire de match. C’est le terme le plus courant en Guinée. Votre rôle c’est de superviser un match de foot du début à la fin, tu restes au bord du terrain entre les 2 bancs de touche. Il y a toujours un petit banc au milieu, c’est le banc du commissaire et du délégué. Après avoir supervisé le match, à la fin tu fais un rapport. Tu représentes la fédération, la ligue ou le district de foot. A toi de fournir un compte-rendu fidèle à l’institution. Tu coordonnes, tu supervises pour que tout se passe bien.

On excelle bien, comme chez les arbitres. En ce moment même, la fédération française veut féminiser le monde de délégués, parce que là aussi il n’y a presque pas de femmes. Le but est de pousser beaucoup de femmes à devenir déléguées, féminiser la fonction de déléguée. Là aussi il y a une possibilité de monter et aller jusqu’en fédération. C’est une nouvelle carrière qui s’ouvre à toi qui te permet aussi de gravir les échelons. Il y a même aussi le niveau international.

Oumou Baldé, à votre arrivée en France, vous n’étiez pas là pour vivre votre passion, mais pour fonder une famille et vivre en foyer. Comment tout cela vous a réussi ?

Rien n’est facile dans la vie, mais on nous dit à côté, vouloir c’est pouvoir.   Je mesurais toutes les charges qui m’attendaient et il fallait y arriver. La bonne gestion, la planification me revenait. En plus de la famille, il y a l’arbitrage qui est un choix, un métier. Donc, il y avait un bébé qu’il fallait gérer à tout prix pour ne pas sacrifier les années de perfection. J’ai été obligée de le garder soigneusement surtout si l’on se rappelle de ce qu’on a affronté en Guinée pour se faire une carrière. A côté aussi je voulais être mère. C’est difficile d’être une femme sportive et avoir des enfants en même temps. C’est un choix que j’ai réussi à cumuler.

Avez-vous bénéficié du soutien de votre mari ?

Oui j’ai vraiment bénéficié de son soutien. Sans lui, rien de tout ça, n’aurait été possible. Imaginez-vous à un moment, je laissais les enfants avec lui, je bouge pour des compétitions d’une semaine ou de 10 jours. Je suis absente de la maison. Si je n’avais pas un mari compréhensif, je ne pourrais rien faire dans ma carrière même si j’ai des droits. La réussite d’une femme mariée nécessite de l’accompagnement de son époux. C’est cette chance que j’ai eue dans mon parcours. J’ai une pensée positive pour lui. Sinon fonder une famille et suivre une carrière sportive, ce n’est pas évident. Il m’a vraiment soutenu. Nous constituons une famille sportive. Mon mari est footballeur, moi arbitre déléguée, nous avons 3 enfants. Le premier qui a 12 ans joue au foot à l’U13 au stade Bordelais, la fille, notre deuxième enfant âgée de 8 ans, fait l’athlétisme. Nous avons la toute dernière qui n’a pas commencé le sport d’abord.

Parlons du coup de charme qui vous ont mené à l’homme de votre vie, plus connu sous le nom de Tigana dans le championnat guinéen avant de partir en France. Dans quelles circonstances l’avez-vous rencontré ?

Je le connaissais de nom lorsqu’il jouait à Labé. Quand j’ai commencé l’arbitrage, je savais qu’il a joué dans les espoirs de Labé, ensuite au Fello Star. Ensuite, il a rejoint le Hafia Football club de Conakry. A mes premiers pas dans l’arbitrage, son groupe était déjà en ligue 1 guinéen. Je le connaissais de nom comme beaucoup le connaissaient dans le milieu du football.

Entre vous et Tigana, qui est tombé sous le charme de l’autre en premier ?

(Éclats de rire, NDLR) Je ne sais pas si c’est moi qui suis la première sur la ligne. Je ne me rappelle plus, c’est le destin peut-être. Je crois que c’est le destin, prenons comme ça. C’est en 2009 qu’on s’est marié en Guinée, j’étais à l’université de Conakry, la même année j’ai obtenu mon diplôme en administration des affaires à l’université de Sonfonia. C’est à la fin des études que je me suis mariée et je suis venue directement en France.

Vous êtes définitivement carrées dans le sport ou bien un autre projet germe en vous ?

Oui, je suis actrice comédienne. Là je n’en avais pas parlé.  A mon arrivée en France, j’ai voulu intégrer le monde du Cinéma que j’ai également commencé en Guinée notamment au club littéraire Hampâté Bâ à Labé. Ici j’ai une carrière de comédienne et de réalisatrice ici en France. J’ai tourné dans des séries qui sont sorties sur TF1, sur Canal+ actuellement. J’ai une association culturelle ici, j’ai aussi un spectacle sur l’excision et la violence faite aux femmes. C’est un monde aussi qui me passionne et que je continue de pratiquer  aussi.

Interview réalisée par Alpha Ousmane Bah

Pour Africaguinee.com

Tel : (+224) 664 93 45 45

Créé le 14 mars 2023 09:11

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