Date du Référendum, libération de Dadis : L’analyse décalée du politologue Moussa Samoura…

CONAKRY-Le politologue Dr Moussa Samoura s’est exprimé cette semaine sur les sujets brûlants de l’actualité sociopolitique en Guinée. Dans une interview accordée à notre rédaction, notre interlocuteur est revenu sur la possible candidature de Mamadi Doumbouya, perçue comme une rupture avec son engagement du 5 septembre 2021, ainsi que sur le contexte entourant l’organisation du référendum prévu en septembre prochain.
AFRICAGUINEE.COM : Après deux années de transition, le Chef de l’État a pris un décret convoquant le corps électoral pour un référendum constitutionnel. En tant que politologue, quelle lecture faites-vous de cette décision et du moment choisi pour l’annoncer ?
Dr. MOUSSA SAMOURA : Ce décret s’inscrit dans une dynamique déjà amorcée par le Chef de l’État à travers son discours du 31 décembre 2024, dans lequel il avait annoncé que 2025 serait une année électorale. Je pense donc que cette décision est cohérente avec cette déclaration. D’ailleurs, le Premier ministre l’a rappelé récemment, tout en précisant que toutes les élections ne pourront pas se tenir en 2025. Mais naturellement, le référendum doit en être le point de départ. Pour organiser les autres scrutins, il faut d’abord une Constitution, car c’est elle qui fixe le cadre institutionnel et juridique. Sans texte fondamental adopté, rien ne peut véritablement commencer. Par ailleurs, la dynamique du référendum a déjà été enclenchée avec le lancement imminent du recensement général de la population.
Ce décret intervient dans un climat sociopolitique marqué par la suspension de certains partis politiques, l’absence de dialogue inclusif et des cas d’arrestations parfois assimilés à des enlèvements. Ces facteurs peuvent-ils, selon vous, compromettre la légitimité ou l’issue du référendum à venir ?
Je ne peux pas parler à la place des acteurs politiques majeurs, car tout dépendra de leur stratégie. Mais, comme vous l’avez souligné, nous sommes dans une crise latente, même si elle n’est pas officiellement déclarée. Il existe effectivement un blocage entre les autorités de la transition et plusieurs grandes formations politiques du pays. L’avenir dépendra de la volonté réelle des autorités d’instaurer un climat apaisé. Si tel est leur objectif, elles devront impérativement mettre en œuvre des stratégies fondées sur le dialogue, la concertation et l’inclusion. C’est la seule voie pour désamorcer les tensions actuelles et aborder sereinement les étapes cruciales du processus de retour à l’ordre constitutionnel.
La grâce présidentielle récemment accordée à l’ex-chef de la junte, Moussa Dadis Camara, suscite de vives réactions au sein de l’opinion publique. Quelle analyse faites-vous de cette décision, aussi bien sur le plan politique que symbolique ?
Il faut d’abord replacer cette décision dans son contexte. Je ne pense pas qu’elle soit fortuite. Elle vise probablement à apaiser les tensions, car Moussa Dadis Camara, malgré tout ce qu’il a pu faire, reste un ancien président, issu d’une communauté importante qui s’est massivement mobilisée pour lui. Ensuite, la grâce présidentielle est une prérogative constitutionnelle du Chef de l’État. L’opportunité et le moment de l’exercer relèvent de son appréciation, même si certaines conditions juridiques doivent être réunies.

Il est utile de rappeler qu’une grâce présidentielle n’a pas besoin d’être motivée. Il n’est donc pas nécessaire d’évoquer officiellement des raisons de santé, par exemple. Selon les avocats, un appel était en cours, mais Dadis Camara s’en serait désisté. Si cela est confirmé, la décision de justice deviendrait définitive, ce qui rend juridiquement possible l’application d’une mesure de grâce.
Par ailleurs, je comprends l’amertume et les inquiétudes exprimées par les victimes. Mais il faut noter la chronologie des actes : deux décrets ont été pris. Le premier annonce l’indemnisation des victimes via le budget national. Ce timing n’est pas anodin. Il permet de calmer les esprits. Si la grâce avait été prononcée avant cette annonce, cela aurait provoqué un tollé bien plus important. Libérer symboliquement le « bourreau » sans rien offrir aux victimes aurait été inacceptable pour beaucoup.
Tout le monde sait que cette décision est éminemment politique. La paix et la cohésion sociale sont des objectifs politiques. Même les régimes autoritaires ont besoin d’un climat apaisé pour gouverner. L’accueil chaleureux réservé à Dadis dans sa communauté montre que le pouvoir pourrait tirer un bénéfice politique de cette décision.
Quel regard portez-vous sur la situation actuelle des grandes formations politiques traditionnelles, comme le RPG Arc-en-ciel, l’UFDG ou encore l’UFR, dans ce contexte transitoire ?
Ces partis ont été rattrapés par l’histoire, mais aussi par leur propre logique interne. Je l’ai déjà dit dans un autre média : leur principal problème réside dans le refus des leaders de passer la main. Ils ont personnalisé et centralisé la gestion de leurs partis, si bien que lorsque le leader est bloqué ou affaibli, c’est toute la structure qui vacille.
Aujourd’hui, contrairement à 2010, le terrain politique est vide. Les jeunes militants restent attachés à ces partis, non pas toujours par conviction idéologique, mais faute d’alternative crédible. Le jour où une nouvelle offre politique sérieuse émergera, elle sera saisie. Et cela arrivera, car le vide finit toujours par appeler une nouvelle dynamique, que les exils actuels des leaders ne font qu’accélérer.
On observe depuis plusieurs mois des mouvements en faveur d’une candidature du président de la transition, Mamadi Doumbouya, à la future présidentielle. Entre l’engagement initial du 5 septembre 2021 et cette dynamique actuelle, quelle hypothèse peut-on formuler sur ses intentions politiques ?
Je ne suis pas en position de conseiller le président Mamadi Doumbouya sur le respect ou non de son engagement du 5 septembre 2021. Mais il faut reconnaître qu’il est, comme beaucoup avant lui, rattrapé par le goût du pouvoir. Être en dehors du pouvoir et y être plongé sont deux réalités totalement différentes. Aujourd’hui, le Général détient les leviers de l’État. Même s’il n’a pas encore annoncé officiellement sa candidature, son entourage est très actif, voire en campagne.
On constate aussi que les voix appelant au respect de l’engagement initial deviennent de plus en plus marginales, face à l’élan croissant en faveur d’une candidature. Pour les partisans du CNRD, le vide politique actuel justifie pleinement cette option. En outre, sa candidature est perçue comme l’incarnation d’un changement générationnel. Les principaux candidats potentiels appartiennent à une autre époque, souvent qualifiée de dépassée par une jeunesse en quête de renouveau. Dans ce contexte, le Général Doumbouya, avec son calme, son image de stabilité et sa relative jeunesse, représente une alternative séduisante pour une partie de l’opinion.
Entretien réalisé par Sayon Camara
Pour Africaguinee.com
Créé le 14 avril 2025 12:04Nous vous proposons aussi
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