Crise politique en Guinée : Que propose l’opposant Bah Oury ? (Interview exclusive)

CONAKRY- Le ton est ferme ! Bah Oury appelle ses paires de l’opposition à accentuer la pression sur le pouvoir du Président Alpha Condé. Pour le vice-président de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée, le combat actuel ne doit pas se limiter à des questions de calendrier électoral, mais plutôt à une stratégie pour le départ d’Alpha Condé au pouvoir. Dans cet entretien exclusif accordé à notre rédaction, Bah Oury réagit également à l’invite faite par la Communauté internationale pour la tenue d’un dialogue pour éviter l’enlisement de la crise politique. Exclusif !!!
AFRICAGUINEE.COM : Monsieur Bah Oury bonjour !
BAH OURY : Bonjour Monsieur Souaré !
La Guinée traverse une crise politique très sévère depuis quelques semaines et vous vous appelez au maintien de la pression sur le pouvoir du Président Alpha Condé. Pourquoi selon vous l’opposition devrait continuer ses manifestations de rue ?
Je crois que les différentes déclarations de l’opposition ces derniers temps sont explicites. En premier lieu elle ne reconnait plus la CENI (Commission électorale nationale indépendante, Ndlr), la seconde chose elle a décidé de suspendre sa participation au Parlement et réitéré sa volonté d’organiser des manifestations de façon récurrente et enfin elle a confirmé sa position à travers la déclaration de Paris le 23 Mars dernier. Cette déclaration constitue un élément majeur dans la cadre de la stratégie de l’opposition d’aujourd’hui, parce qu’elle montre de façon explicite l’illégitimité d’Alpha Condé et que son maintien au pouvoir est une menace pour la paix, l’unité et la stabilité de la Guinée et de la sous-région. Je pense qu’avec tous ces éléments, l’opposition n’a plus d’autres choix que d’accentuer la lutte jusqu’au départ d’Alpha Condé. Il a bridé toutes les institutions du pays, il a même falsifié l’INDH (L’institut national des droits de l’Homme, Ndlr), ce qui est un acte de haute trahison. Il dit ne pas accepter d’aller dans le sens des revendications de l’opposition, même celles qui sont les plus minimales, à plus forte raison de respecter des accords qui ont été conclus antérieurement. La conclusion est simple, Alpha et son Gouvernement n’ont absolument rien d’autre à proposer dans le cadre d’un dialogue. Ce n’est qu’une mascarade pour faire semblant de satisfaire une communauté Internationale qui demande le dialogue tout en sachant que rien n’est fait, rien n’est posé pour qu’il y ait effectivement un dialogue, parce qu’en fin de compte Alpha Condé a carrément franchi le rubicond et qu’il ne peut plus faire marche arrière.
Est-ce que vous ne pensez pas que cette démarche de l’opposition n’est pas en contradiction à la volonté exprimée par cette communauté Internationale qui vous appelle à venir autour de la table de dialogue ?
La communauté internationale n’a que seul crédo pour tout conflit, comme la situation dans laquelle nous nous trouvons que d’user du dialogue, tout en sachant pertinemment que ce sont des déclarations. Fondamentalement on a laissé faire Alpha Condé en massacrant les populations. La communauté internationale ne s’est jamais insurgée pour taper sur la table lorsqu’il y a eu des violations massives des droits de l’Homme sous le régime d’Alpha Condé. L’une des rares fois où j’ai entendu une déclaration musclée, c’est lorsque Thierno Aliou Diaouné (ancien Ministre et acteur de la société civile guinéenne, Ndlr) a été assassiné. Il faut qu’on se rende compte d’une chose, nous sommes les principaux concernés pour l’avenir de notre pays, et cet avenir est sombre du fait d’une très mauvaise gouvernance et d’un mépris que le régime affiche à l’égard de tous les guinéens. Nous sommes les mieux placés pour savoir s’il est bon ou mauvais pour nous. Quelqu’un qui ne veux pas le dialogue, qui pense pouvoir rouler tout le monde dans la farine, il faut aller jusqu’au bout pour le déloger parce que sinon ce qui va se passer serait très grave pour notre pays.
Certains estiment pourtant qu’il faut accepter cette main tendue du pouvoir de Conakry à cause notamment du cortège de malheur qu’engendrent généralement les manifestations de l’opposition. Qu’en pensez-vous ?
Le dialogue constructif c’est celui qui permet de faire avancer les intérêts fondamentaux d’un pays, mais des dialogues qui ne sont qu’une manière de di celer le conflit , sans pour autant régler les problèmes de fond, ce genre de dialogue est extrêmement dangereux parce qu’au lieu de régler les problèmes, il les amplifie et la bombe explosera par la suite avec une plus grande intensité. C’est la raison pour laquelle nous guinéens, devrions nous rendre compte aujourd’hui avant qu’il n’y ait des élections véritables et démocratiques dans notre pays. Parce qu’on s’est rendu compte qu’il ne peut pas aller dans le sens de la préservation de la paix , de la réconciliation nationale , de la sécurité collective et aller dans le sens du développement du pays. Sa gouvernance est à l’antithèse que toute une nation véritable aspire et se bat pour.
Envisageriez-vous dans ce cas une nouvelle transition malgré les « dérapages » constatés lors que la junte militaire était au pouvoir en Guinée ?
L’arrivée de la junte fut une catastrophe, une catastrophe (…) même si on fait le bilan beaucoup de gens notamment ceux du RPG (parti au pouvoir, Ndlr) en sont responsables. Lorsqu’on prend le dernier Gouvernement de Lansana Conté, dirigé par le premier ministre Ahmed Tidiane Souaré, vous vous souvenez que le RPG avait refusé d’y amener par la manière des plus officielles un de ses représentants. Alors c’était une occasion rare pour gérer l’après Lansana Conté dans un contexte constitutionnel plus stable. Ils ont privilégié des stratégies telles que nous l’avions vu par la suite et qui ont plongé le pays dans la catastrophe. Par rapport à ce que vous dites prenons l’exemple de la Centre-Afrique, les retards, les discussions qui n’apportent pas de solutions risquent d’aboutir à la longue à des catastrophes majeures. Aller à des élections bâclées avec Alpha Condé, sous prétexte que la communauté internationale appelle au dialogue, c'est-à-dire rafistoler le mur sans pour autant le changer véritablement, c’est sacrifier la stabilité et l’avenir de la Guinée. Il y a des élections de sortie de crise et celles organisées n’importe comment qui sont les débuts d’une crise beaucoup plus violente et ravageuse. Donc si l’on ne prend pas garde, si on sacrifie nos intérêts pour faire plaisir à certaines oreilles qui ne s’intéressent à la Guinée que de manière épisodique et conjoncturelle (…), en aucune manière il ne faut accepter d’aller dans ce sens.
Comment avez-vous accueillit la dernière sortie médiatique de l’Ambassadeur des Etats-Unis à Conakry que certains accusent « d’ingérence » dans les affaires intérieures de la Guinée ?
Je n’ai pas entendu exactement ce qu’il a dit, mais étant le représentant d’une grande puissance s’il va dans le sens de l’intérêt du pays il n’y a pas de problème. Mais si c’est dans le sens de la préservation d’intérêt d’un camp au détriment de l’intérêt national, alors il serait dans l’erreur.
L’opposition a annoncé le jeudi 23 avril dernier qu’elle comptait déposer une plainte contre le Gouvernement guinéen à la cour de justice de la CEDEAO. Pensez-vous qu’il s’agit là d’une bonne démarche ?
C’est une procédure qui aurait dû intervenir très tôt, parce que les délégations spéciales sont là depuis plus de quatre ans, la saisine de la cour de justice de la CEDEAO aurait dû intervenir plutôt et aurait obligé le Gouvernement d’Alpha Condé à changer le tir. Bon ça vient presque tardivement puis que la marge de manœuvre est étroite mais cela vaut la peine de montrer au monde entier que le président de la Guinée gouverne dans la violence par les violations des règles du pays et ne présente aucune considération pour l’autorité de la loi.
Certains comme le Ministre de la justice vous taxent d’être un peu radical, de vouloir emmener les populations à une insurrection contre le régime en place ? Qu’en dites-vous ?
Je me félicite qu’ils le disent parce que je réitère ce que j’ai dit, il est tout à fait légitime de combattre la tyrannie, et je dis que le régime d’Alpha Condé est une forme de tyrannie. Notre constitution en son article 10 le permet. Le fait qu’un responsable politique use de ses droits constitutionnels parce qu’entendu et écouté par une frange de la population pour réclamer l’application entière et totale des principes de la République, et qu’un ministre de la justice qui de surcroit a été bâtonnier de l’ordre des Avocats à Montpellier s’insurge contre cela, je m’interroge sur la fiabilité de notre inique. Je m’explique, fiabilité pourquoi ? Lorsqu’on est dans un environnement normal comme en France, on use du terme il faut respecter la loi et il faut la faire respecter. Quand on est dans un pays comme le nôtre qui reste considéré comme une république bananière, on ferme les yeux sur les violations flagrantes des droits de l’Homme, on cautionne des violations graves des droits humains. Des condamnations à morts, des personnes emprisonnées injustement sans jugements, des personnes assassinées de façon ciblée(…). Un bandit qui dit que le chef de l’Etat actuel de la Guinée l’a reçu et la mandaté auprès des responsables de la sécurité, gendarmes et policiers, en leurs disant on confie à ce monsieur la sécurité de la ville de Conakry avec des moyens importants et des passes droits, ça c’est un acte de haute trahison. Un ministre d’Etat chargé de la justice et de surcroit homme de loi devrait agir en conséquence. Soit il est d’accord avec cela , donc il agit de manière sectaire , partisane et liberticide , soit il est en accord avec une vision du droit qui doit être partout et pour tous les êtres humains et qu’il dise qu’il n’est plus habilité à assumer sa responsabilité comme ministre de la justice d’un pays qui ne respecte pas les principes élémentaires des droits de l’homme. Soit on utilise de façon intelligente pour aider notre pays et nos pauvres citoyens, soit on utilise cette intelligente pour l’asservir, personnellement je préfère et je m’engage à utiliser tout ce que j’ai comme moyens pour servir mon pays et mes compatriotes, mais pas contre eux.
Avez-vous un message à lancer ?
La lutte qui est engagée aujourd’hui, je le dis et le répète, ramener la contestation du régime Alpha Condé simplement à des questions de calendrier électoral, c’est de restreindre la lutte et lui enlever des éléments importants qui sont indispensables. La lutte actuelle c’est la lutte pour la survie, c’est la lutte pour la sécurité des millions de guinéens, c’est la lutte pour les jeunes espérant avoir un avenir meilleur, c’est la lutte aussi de ces jeunes qui quittent ce pays, traversent le désert pour aller mourir dans la méditerranée. Elle est aussi la lutte pour les femmes de voir évoluer leurs enfants de manière stable dans des foyers .C’est pour que les gens puissent espérer avoir un emploi.
Mais le fait de parler seulement d’élections ou de CENI, ce n’est pas mobilisateur, il faut qu’on ouvre les yeux et que l’on se rende compte que la plateforme est globale, et que les syndicats, les femmes, les jeunes sont tous concernés par la lutte qui est engagée. Il faut que les politiques pour une fois puissent avoir le discours, l’attitude qui transcende leur moi, pour aller aux services de toute la Guinée. C’est ça leur mission. Toute personne qui ne va pas dans ce sens ne s’intéresse qu’à sa personne. Il faut que nos gens se rendent compte que c’est l’avenir de tout le pays qui est engagé. C’est cette souffrance collective qui nous fonde à dire que Alpha a trahi les intérêts fondamentaux du pays, il n’est pas en mesure d’aller dans le sens de la défense des intérêts de tous les guinéens et que son maintien au pouvoir reste une menace grave pour les intérêts nationaux. C’est pour cette raison de la manière la plus démocratique, que nous demandons aux citoyens guinéens de se mobiliser et d’exiger son départ du pouvoir et de permettre à la guinée de reprendre un chemin qui nous permettrait de redresser la barre.
Entretien réalisé par SOUARE Mamadou Hassimiou
Pour Africaguinee.com
Tél. : (+224) 655 31 11 11
Créé le 29 avril 2015 11:31Nous vous proposons aussi
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