Monnaie guinéenne, crise de billets, croissance, FMI : Dr. Karamo Kaba parle…(entretien)

CONAKRY – En marge d’une conférence du Fonds Monétaire International (FMI) ce mercredi 2 juillet 2025, le Dr. Karamo Kaba, Gouverneur de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG), s’est livré à une analyse approfondie de l’économie nationale. Devant un pool de journalistes dont un d’Africaguinee.com, il a partagé une vision optimiste, anticipant un « âge d’or » pour la Guinée, notamment grâce au projet Simandou. Le Dr. Kaba a également abordé la coopération avec le FMI, les perspectives de croissance, et a apporté des éclaircissements sur la pénurie de billets de banque, distinguant cette situation d’une crise de liquidité. Explications !
Monsieur le Gouverneur, vous venez de participer à cette conférence organisée par le FMI à l’intention de la Guinée. Quelle leçon peut-on tirer de cette rencontre en lien avec les indicateurs monétaires et bancaires ?
DR KARAMO KABA : D’abord, je tiens à remercier le Fonds Monétaire International (FMI) pour l’organisation de ce séminaire sur les perspectives économiques de l’Afrique subsaharienne.
C’est toujours important de venir, d’échanger, de comprendre ce que nous disent les institutions qui observent avec attention l’évolution de l’économie mondiale.
Ce que nous avons vu, c’est une reprise progressive de l’activité économique, accompagnée d’une inflation maîtrisée. Le FMI nous a rappelé qu’il existe beaucoup d’incertitudes, de tensions, et qu’il faut agir avec prudence. C’est exactement l’attitude que nous adoptons aujourd’hui en Guinée.
Lors de la dernière réunion du Comité de politique monétaire, le 13 juin, nous avons décidé de maintenir le statu quo sur nos deux taux directeurs. Nous ne les avons ni relevés, ni abaissés. Pourquoi ? Parce que nous voulons observer les développements récents et évaluer leur impact, notamment sur l’inflation.
Concernant l’activité économique, nous n’avons pas de signaux majeurs d’inquiétude. Nous pensons même que la Guinée va entrer dans un “âge d’or” dans les cinq années à venir. Avec le projet Simandou, nous anticipons une croissance à deux chiffres au cours des dix prochaines années.
Mais sur le plan de l’inflation, les tensions géopolitiques récentes – notamment entre Israël et l’Iran –, les menaces sur les voies maritimes, les tensions sur le marché pétrolier, tout cela augmente les incertitudes. C’est pourquoi nous avons décidé de nous donner un peu plus de temps pour évaluer la situation et accompagner au mieux l’économie nationale.
Je tiens à le souligner : notre taux de croissance est très fort. Cette année, nous tablons sur une croissance d’environ 7 %, et cela malgré le drame de l’explosion du dépôt pétrolier en décembre 2023. Ce résultat démontre la capacité de résilience de l’économie guinéenne, mais aussi sa forte capacité de rebond. Ce rebond devrait s’amplifier, non seulement en 2026, mais aussi dans les années à venir.
Qu’est-ce qui distingue aujourd’hui la Guinée des autres pays dits du Sud ?
La Guinée est un pays béni par Dieu. Nous avons plus de 300 kilomètres de façade maritime, un atout que beaucoup de pays de la sous-région n’ont pas — le Mali, par exemple. La plupart des grands fleuves d’Afrique de l’Ouest prennent leur source chez nous. Ce n’est pas pour rien qu’on nous appelle le « château d’eau de l’Afrique ». Nous disposons également de deux tiers des réserves mondiales de bauxite. À cela s’ajoutent d’importantes ressources en or, en fer avec Simandou, et une richesse forestière concentrée en Guinée forestière.
Quand on regarde tout cela, on peut légitimement s’interroger : comment un pays aussi riche peut-il encore être classé parmi les pays pauvres ? C’est une aberration. Ensuite, il y a un rattrapage en cours. Regardez les routes : plus de 1 000 kilomètres de routes sont en train d’être construits. Cela a un impact direct sur la vie des Guinéens.
Prenons un exemple concret : un commerçant de Nzérékoré qui envoyait des mangues à Conakry mettait auparavant deux jours pour acheminer sa marchandise. Aujourd’hui, cela se fait en une journée. Moins de pertes, moins de frais, donc moins de répercussions sur les prix pour le consommateur. Voilà pourquoi je reste optimiste pour l’avenir de notre pays.
Par rapport au tableau présenté lors de la conférence, je suis même encore plus optimiste que ce que dit le FMI. Ils parlent d’un taux de croissance à deux chiffres. Deux chiffres, cela veut dire au-delà de 10 %. Nous, nous avons des projections allant jusqu’à 13 %, 14 %, voire 15 %. L’avenir sera le juge de paix. Vous verrez que nous avions raison.
Un programme d’ajustement avec le FMI est en discussion pour faciliter l’accès au crédit. Quelles sont les dernières évolutions ?
Oui, et je suis également optimiste à ce sujet. Il y avait un certain nombre de préalables à remplir — je crois qu’il y en avait quatre, dont un concernait directement la Banque centrale. Aujourd’hui, toutes ces conditions préalables sont en voie d’être satisfaites. Cela nous donne bon espoir d’obtenir un programme avec le FMI.
Ce que nous voulons, c’est nous crédibiliser, nous normaliser. C’est pourquoi, dans le cadre du projet Simandou, nous prévoyons la création d’un fonds souverain à l’horizon 2040. Nous envisageons également d’obtenir une notation souveraine, ce qui nous permettra d’accéder au marché international. Bref, nous sommes dans une dynamique de normalisation et de projection à long terme. Ce qui se passe en Guinée est grand. Nous n’avons même pas encore conscience de l’ampleur de ce qui nous attend avec le projet Simandou.
Cependant, la population s’inquiète du manque de liquidités. Pouvez-vous clarifier la situation ?
Les mots ont un sens, et c’est important de bien nommer les choses. J’ai commencé mes études en médecine, et on m’a appris qu’un bon diagnostic commence par une bonne définition du problème.
Nous n’avons pas une crise de liquidité en Guinée. Nous avons une crise de billets.
Aujourd’hui, une personne bancarisée, qui opère dans les circuits électroniques ou numériques, n’a pas de difficulté à faire ses transactions. Le problème vient du fait que notre économie utilise encore trop de cash, alors que la Banque centrale dispose temporairement de moins de billets physiques.
Grâce au travail du Premier vice-gouverneur, nous avons engagé des discussions avec les fabricants de billets. Ils vont accélérer les livraisons. Dès le mois d’août, nous recevrons 500 milliards GNF en nouveaux billets. En septembre, plus de 1 500 milliards seront livrés. En octobre, nous attendons 600 à 700 milliards supplémentaires.
Nous mettons tout en œuvre pour résoudre ce problème. Je tiens à rassurer la population : ce moment est difficile, mais tout le monde sera payé. Ce n’est pas qu’il n’y a pas de problème. Il y a une tension temporaire. Mais nous allons franchir cette étape.
Propos recueillis par Sayon Camara
Pour Africaguinee.com
Créé le 3 juillet 2025 09:06Nous vous proposons aussi
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