Crise de liquidité en Guinée : Dr Ousmane Kaba révèle les causes et propose des solutions

CONAKRY – L’ancien ministre de l’Économie et des Finances, Dr Ousmane Kaba, s’est exprimé ce jeudi 19 juin 2025 sur la crise de liquidité que traverse actuellement la Guinée. Dans une vidéo publiée sur sa page Facebook, il en a analysé les causes profondes et a proposé plusieurs pistes de solutions.
Le fondateur de l’Université Koffi Annan de Guinée a tenu à rassurer d’entrée :
« C’est une maladie que l’on appelle le problème de liquidité dans les banques. Lorsque celles-ci n’arrivent plus à satisfaire les besoins de retrait des clients, on dit qu’elles sont illiquides. Il ne faut pas confondre illiquidité et insolvabilité. L’insolvabilité, c’est quand les banques accordent de mauvais crédits non remboursés, ce qui mène à la faillite. Nous ne sommes pas du tout dans ce cas. Je ne voudrais pas que les gens s’alarment. »

La Guinée fait donc face à une crise d’illiquidité, un phénomène qui, selon Dr Ousmane Kaba, survient fréquemment dans les économies. Il en explique les mécanismes :
« Une banque est un intermédiaire financier. Pour simplifier, disons que c’est un commerçant d’argent.
La banque fait du commerce avec l’argent. Alors, quand il y a un problème de liquidité, c’est-à-dire quand les banques manquent d’argent, il faut regarder leurs sources d’approvisionnement.
Une banque a deux sources principales :
- Soit ce sont les clients qui déposent leur argent au guichet ou sur leur compte,
- Soit la banque s’approvisionne auprès de la banque centrale.
À ce niveau, il faut savoir que la banque centrale est la banque des banques. Tout ce que vous faites auprès de votre banque, votre banque le fait aussi auprès de la banque centrale.
Vous déposez votre argent dans une banque ? Eh bien, la banque aussi dépose son argent à la banque centrale.
Vous demandez un crédit auprès de votre banque ? De la même manière, les banques commerciales demandent du crédit auprès de la banque centrale. C’est ce qu’on appelle le refinancement », a-t-il précisé.
S’il y a un manque de liquidités, l’ancien ministre estime qu’il faut s’interroger sur ce qui se passe au niveau de la banque centrale :
« Il faut revoir l’ensemble de la politique d’émission monétaire de la banque centrale. Qu’est-ce qui bloque ?
Est-ce que les banques commerciales n’ont pas un accès libre à leurs propres dépôts auprès de la banque centrale, comme elles le souhaitent ?
Ou est-ce que la banque centrale refuse de refinancer les banques commerciales ?
En général, ce type de situation survient quand, entre-temps, la banque centrale — qui est la banque de l’État — a effectué trop de dépenses pour le compte de l’État, des dépenses qui n’étaient pas prévues dans le budget. Dans notre jargon, on parle de dépenses extra-budgétaires.
Or, la masse monétaire — c’est-à-dire la quantité de monnaie en circulation — est strictement encadrée par les institutions de Bretton Woods, notamment le Fonds monétaire international, pour éviter l’inflation.
Ces institutions fixent des seuils à ne pas dépasser en matière d’émission monétaire.
Donc, si la banque centrale crée beaucoup d’argent pour financer ces dépenses imprévues de l’État, elle cherchera à compenser ce déséquilibre ailleurs, en l’occurrence au niveau du secteur privé.
Cela signifie qu’elle peut réduire le refinancement accordé aux banques commerciales, qui à leur tour réduisent les crédits octroyés aux entreprises et aux ménages.
Ce phénomène est connu en économie sous le nom d’effet d’éviction. Ce n’est pas une bonne politique.
Il faut que l’État cesse de faire des dépenses extra-budgétaires, car cela peut être l’une des causes majeures du manque de financement dans l’économie nationale », a-t-il expliqué.
Mais d’un autre côté, ajoute Dr Ousmane Kaba, lorsqu’une ou deux banques commencent à avoir des difficultés à satisfaire leurs clients, cela entraîne une perte de confiance :
« La monnaie que nous utilisons, les billets en circulation, c’est ce qu’on appelle de la monnaie fiduciaire — c’est-à-dire une monnaie fondée sur la confiance.
Si vous allez dans votre banque et que vous avez du mal à retirer votre argent, vous en parlez autour de vous. Les autres prennent peur.
Résultat : ils n’envoient plus leur argent à la banque, par crainte de ne pas pouvoir le retirer en cas de besoin.
Cela aussi crée une crise de liquidité. C’est une réaction en chaîne.
Dès que la population se méfie des banques, ce n’est pas une bonne chose. Et qu’est-ce que les clients font dans ce cas ?
Ils thésorisent la monnaie — c’est-à-dire qu’ils conservent leur argent chez eux.
C’est ce qu’on appelle la thésaurisation.
Certains mettent leur argent sous les paillasses, dans des armoires fermées à clé, ou, pour ceux qui vendent au marché, dans des coffres à la maison.
C’est quelque chose que je déconseille formellement. Pourquoi ?
Parce que vous devenez une cible pour les voleurs. Et il y a aussi le risque d’incendie, qui peut survenir à tout moment.
Ce comportement est l’une des deux grandes causes de la pénurie d’argent dans les banques — ce qu’on appelle l’illiquidité », explique l’ancien ministre de l’Économie et des Finances.
Les solutions sont simples
Pour éviter que les banques ne manquent d’argent, il faut d’abord revoir leurs sources d’approvisionnement.
La Banque centrale de la République de Guinée (BCRG) doit repenser sa politique d’émission monétaire et de refinancement, selon Dr Kaba.
« Premièrement, il faut que l’accès des banques à leurs propres dépôts auprès de la BCRG soit illimité et immédiat.
Deuxièmement, lorsque les banques ont besoin de financement, la banque centrale doit les refinancer selon des conditions claires et préalablement convenues.
Il semble — bien que je n’aie pas toutes les données — qu’il y ait actuellement de nouvelles règles à la BCRG qui n’ont pas été convenues.
Ce ne serait pas une bonne chose. Il est essentiel que la banque centrale respecte les règles du jeu, pour que le public garde confiance dans le système bancaire.
Troisièmement, les déposants doivent aussi avoir confiance dans leurs banques.
J’invite tous les agents économiques qui conservent de l’argent chez eux à déposer cet argent dans les banques.
C’est très important. Cela permet d’éviter les risques de vol, d’incendie, de cambriolage…
C’est donc le conseil que je donne au public : allez déposer votre argent à la banque, sur votre propre compte.
De leur côté, les banques doivent aussi faire des efforts pour satisfaire leurs clients.
Enfin, je dirais à l’État : il faut éviter les dépenses non prévues.
L’État ne doit pas trop peser sur la création monétaire. Malheureusement, c’est un problème ancien en Guinée, qui remonte à l’indépendance.
Il faut absolument que la discipline budgétaire soit respectée.
Il ne faut pas pousser la banque centrale à fabriquer de l’argent à tort et à travers, car c’est la source de l’inflation.
Et vous le savez : l’inflation, c’est un voleur invisible, qui a des millions de mains dans la poche de chacun, pour nous voler notre pouvoir d’achat.
C’est ce que j’explique souvent à mes étudiants à l’université.
J’espère que cette crise va bientôt prendre fin. D’ailleurs, je pense qu’elle est en train de se résorber.
Les banques redeviennent plus liquides et commencent à satisfaire les besoins des clients.
C’est à ce prix que l’économie peut bien fonctionner. Sinon, on aura des impacts négatifs sur la croissance, l’investissement, la consommation, et cela ne sera pas du tout favorable au peuple de Guinée.
Une telle situation compromet la prospérité de n’importe quel pays », a-t-il préconisé.
Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 20 juin 2025 08:15Nous vous proposons aussi
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