CRIEF : Qui est Francis Kova Zoumanigui, le magistrat qui juge Dr Diané et cie ?

CONAKRY-Il était jusqu’à un passé récent méconnu du grand public. Francis Kova Zoumanigui, a été découvert par de nombreux guinéens en mars dernier, lors de l’ouverture du procès emblématique des anciens dignitaires du régime d’Alpha Condé, déchu le 05 septembre 2021, par un coup d’Etat militaire.

Francis Kova Zoumanigui est le Président de la chambre de jugement de la CRIEF (Cour de Répression Économique et Financières), une juridiction spéciale mise en place par la junte pour réprimer les délits économiques et financiers. Il conduit les audiences dans des affaires de corruption présumée à grande échelle, impliquant des personnalités puissantes ayant occupé de très hautes fonctions dans l’appareil d’Etat. Parmi eux, d’anciens ministres d’Etat, Mohamed Diané, Oyé Guilavogui. L’ancien Premier ministre, Ibrahima Kassory Fofana, l’ancien président de l’Assemblée Nationale, Amadou Damaro Camara, sont attendus devant lui.

En avril dernier, il a surpris plus d’un lorsqu’il a décidé de tenir une audience à la maison centrale de Conakry. Le parquet spécial de la Crief aura beau marquer son opposition, François Kova Zoumanigui est resté droit dans ses bottes. Qui est ce magistrat hors du commun ? Africaguinee.com a enquêté et vous le fait découvrir. Portrait.

Francis Kova Zoumanigui, Président de la chambre de Jugement de la Crief, Africaguinee.com, mai 2022

Francis Kova Zoumanigui, magistrat

Francis Kova Zoumanigui est le Président de la chambre de jugement de la CRIEF (Cour de Répression Économique et Financières), une juridiction spéciale mise en place par la junte pour réprimer les délits économiques. C’est devant lui que des hommes considérés comme intouchables hier, accusés aujourd’hui de crimes financiers viennent se justifier. Ses audiences sont marquées par des moments de tension, mais il fait preuve de pédagogie pour calmer toutes les parties. Une attitude qui cache à peine le caractère de l’enseignant qu’il fut avant d’embrasser une carrière dans la magistrature.

Ce magistrat est un passionné de la terre. Avant de rejoindre les prétoires des Cours et tribunaux, il est d’abord ce grand agriculteur planteur. Il n’est pas du genre à se faire amadouer par de l’argent ou de biens matériels, nous apprend-on.

Né le 09 septembre 1974 à Conakry, dans la commune de Dixinn, Francis Kova Zoumanigui, « végétarien » est le fils de l’ex chef comptable de l’Entreprise Nationale Tabac Allumette Guinée (ENTAG.) Il commence l’école française par la maternelle au jardin 02 octobre, à l’époque où l’établissement était géré par les blancs. Puis, en 1984, il fréquente l’école primaire de Bellevue Josip Broz Tito où il fait connaissance avec un certain Kanfory Ibrahima Camara, actuel procureur de la République près le tribunal de première instance de Mafanco. Les deux ont grandi ensemble et ont fait leur étude primaire dans cette école.

Francis Kova Zoumanigui et son ami fréquentent le collège Dixinn port puis le Collège Kipé. Son papa partit à la retraite volontaire car ayant été abandonné par les autorités d’alors après la privatisation de l’entreprise.

Retour à Macenta

Le chef comptable de l’ex usine d’ENTAG décide de rentrer chez lui, à Macenta. Le jeune Francis Zoumanigui et sa famille décident de l’y accompagner. Dans cette ville située dans la région administrative de Nzérékoré, il passe deux ans d’études (1988 à 1991). « J’ai été chef comptable, je n’ai pas pris l’argent de l’Etat. Mais j’ai des ressources en moi : c’est l’Intégrité » lui confie son père dont il est le fils héritier.

A Macenta, Francis Zoumanigui hérite les biens de son papa que ce dernier avait lui aussi hérité de ses parents. De vastes domaines ! Près de 1000 hectares de terre cultivables. Sur les 900 hectares dont son papa est propriétaire, ce dernier le conseille de l’aider et lui demande de faire l’agriculture et de la plantation quand il sera un peu plus grand.

« Quand tu travailleras sur ces terres et que tu récoltes, tu en sortiras heureux, incorruptible et imperturbable » lui prodigue son papa. Des conseils qui resteront gravés dans la mémoire de l’actuel magistrat.

« Ça me faisait mal de quitter la ville et allez au village. Mais il m’a dit, prends le coupe-coupe et travaille. J’étais l’unique garçon, mais il m’a montré ce chemin que j’ai suivi malgré mon jeune âge », se souvient-il. Il quitte Macenta pour Fria en Basse Guinée pour poursuivre ses études chez son grand frère, à l’époque préfet. Il y restera jusqu’en 1993 avant de transférer pour Faranah où il décroche le BAC 1 en 1995. Il est classé 25ème de la République.

Freiné par la pauvreté des parents …

Malgré le succès dans les études, Francis Kova ne peut poursuivre les études. D’une part, à cause d’une maladie de sinusite et d’autre, la pauvreté de ses deux parents dont une maman qui n’avait plus de soutien. Il retourne à Macenta en 1996 pour aider sa maman toute la saison en abandonnant les études momentanément. Durant cette période, il multiplie les activités pour faire un grand champ. Des petits boulots de photographie et autre, il accumule les recettes et réussit à faire un grand champ dont la récolte a permis de nourrir la famille et leur bâtir une maison de retraite. En 1997, il profite des vacances pour agrandir le champ en plantant des cafetiers. Des arbres qui feront bonheur un peu plus tard.

La sinusite lui fait obstacle 

Admis pour le Bac 2 en 1997, il fut orienté à l’Université Gamal Abbdel Nasser, option droit privé. Mais la licence 1 se voit transférer à l’Université Foulayah de Kindia. Nouveau coup d’arrêt : sa sinusite lui faisait obstacle au point qu’il a été obligé d’arrêter les cours pour venir se faire traiter à Conakry pendant trois mois. A son retour, ses amis de Promotion dont l’actuel avocat général Mamadou Dian Bora Diallo et l’avocat Me Amadou DS Bah lui propose de continuer avec eux, Francis décline cette idée et décide de reprendre les cours à Zéro.

Francis Kova Zoumanigui, Président de la chambre de Jugement de la Crief, Africaguinee.com, mai 2022

Retour à Conakry et début d’une autre aventure

Après la licence 1, le futur magistrat retourne à Conakry et continue ses études à l’université Gamal où il sort avec une maitrise en droit privé en 2022. Il entame une carrière d’enseignant dans les universités privées, dont Koffi Annan, UNIC etc. Parallèlement, Francis Kova Zoumanigui devient assistant au cabinet de Maitre Pépé Koulémou et assistant de son chef de département à Gamal en la personne de Me Alseny Bah.

Cet enseignant-chercheur et avocat confirme d’ailleurs les dires de son ancien apprenant. « C’est un de mes anciens étudiants qui m’a le plus impressionné depuis la première année de Droit. Il a été très correct en classe, travailleur et sérieux. Il liait le travail intellectuel à celui manuel (agriculture) car il m’a montré son champ. Quand un étudiant a ces genres d’idées, tu l’encourages à évoluer », témoigne son ancien formateur Me Alseny Bah.

Le concours qui change le destin

En 2008, l’Etat guinéen organise un concours de recrutement des auditeurs de justice, futurs magistrats. A l’époque c’était le centre de formation et de documentation judiciaire (CFDJ). Après la formation théorique, il fait le stage pratique au tribunal de première instance de Mafanco sous l’autorité de procureur Moundjour Chérif, actuel procureur de la Cour Suprême et un certain Aly Touré, actuel Procureur Spécial de la Cour de Répression des Infractions Économiques et Financières (CRIEF). Ce dernier était l’assistant du procureur.

Début de carrière professionnelle

C’est en juillet 2011 que Francis Kova Zoumanigui entame sa carrière de magistrat en qualité de juge civil et commercial au tribunal de première de Dixinn. De cette date jusqu’en 2018, il était également chargé de naturalisation. Il finit par être de la composition criminelle.

Durant son passage au TPI de Dixinn, le magistrat bénéfice plusieurs formations dont celle de l’Ecole Supérieur de Magistrature de Cotonou, puis à Abidjan dans le cadre commercial. En 2016, il part au Centre d’étude judicaire d’Egypte de Caire pour une formation en droit civil et commercial sanctionné par un diplôme.

En prélude à la mise en place du tribunal de commerce de Conakry, le ministre de la justice à l’époque, maitre Cheick Sacko met en place une commission de sélection de juge commercial à Conakry. Ladite commission a trois dossiers de magistrats de Conakry dont Francis fait partie des candidats. Après sélection, Francis Zoumanigui est le seul admis. Il bénéficiera par la suite d’une formation à l’institut international du management d’Abidjan (IIMA) pour avoir les atouts nécessaires sur le fonctionnement d’un tribunal de Commerce.

Francis Kova Zoumanigui, Président de la chambre de Jugement de la Crief, Africaguinee.com, mai 2022

Quand le tribunal du Commerce a été créé en 2018, il est nommé par Décret président de section en compagnie d’un autre magistrat en attendant l’opérationnalisation dudit tribunal. Cela est intervenu en 2019.

Par la suite, il deviendra Président de section et juge de référé de 2019 à 2021 dans cette juridiction. Durant son passage, le magistrat Zoumanigui tente de s’attaquer à certains dossiers de malversations financières en dénonçant, certaines attitudes peu orthodoxes. Ce qui lui a valu d’être éjecté. Un détail qu’il ne souhaite pas révéler.

Le 29 décembre 2021, il est affecté au TPI de Dixinn en tant président de la première section correctionnelle et celle criminelle. Un nouveau monde pour le magistrat mais qu’il réussit tout de même grâce à sa maitrise des cours qu’il enseignait bien avant.

La CRIEF

La Cour de Répression des Infractions Économiques et financières est créée par les nouvelles autorités lesquelles, placent la lutte contre les crimes économiques dans ses priorités. Le 24 avril 2022, Francis Kova Zoumanigui est nommé président de la chambre de jugement.

Sur les dossiers en instance, il programme le jugement d’un cas de détournement emblématique. La première condamnation tombe dès juillet 2022. La chambre de jugement dont il est le président a reconnu coupable, M. Sidiki Sylla en fuite, ancien DAAF (Directeur des affaires administratives et financières) de la Cour Constitutionnelle. Ce dernier est condamné par défaut à 10 ans d’emprisonnement et au paiement de 75 milliards francs guinéens. Ceci est le coup d’envoi d’une série décisions dont celles relatives à la vente illicite de médicaments et l’usurpation de titre de la profession de pharmaciens.

Des magistrats de la Cour de Répression des Infractions Économiques
Des magistrats de la Crief

Depuis mars 2023, la CRIEF a entamé le jugement des anciens dignitaires du régime d’Alpha Condé. Si certains ont comparu devant la chambre de Francis Kova Zoumanigui, d’autres pour des raisons de santé et autres ne l’ont pas encore.

Pour certains cas, le magistrat n’hésite pas à effectuer un transport judiciaire à leur lieu de détention pour les juger. C’est le cas d’Amadou Damaro Camara, ancien président de l’Assemblée Nationale. Le 06 avril, alors qu’il était attendu à la barre, l’accusé n’a pas comparu. Le juge Zoumanigui ordonne alors que la Cour se transporte à la maison centrale pour son jugement. Un fait rarissime, mais légal selon le magistrat.

Loin des spéculations, il explique que c’est l’article 484 du code de procédure pénal qui le lui autorise. C’est pourquoi le 25 du même mois, il s’est rendu pour juger Amadou Damaro qui n’était pas là.

« Tant que je suis là aucun innocent n’ira en prison mais les coupables n’échapperont pas aussi. Nous avons pour habitude d’appliquer les textes, c’est ce qui explique ma célérité », confie le juge.

Francis Kova Zoumanigui

Alors que certains redoutent de l’indépendance de la CRIEF, Francis Kova Zoumanigui laisse apparaitre en lui un magistrat qui n’est soumis qu’au récit de la loi. Sa mission, il compte la mener jusqu’au bout.

« Je n’ai pas de parti pris en tant que juge de siège. C’est très vilain de gérer les humeurs. Je veux que tous mes actes me survivent. Je voudrais que quiconque en venait à me lire demain, qu’on me reconnaisse. J’ai combattu l’injustice, je ne peux pas faire subir cette injustice à autrui. La loi me dit que ‘’ tu n’es soumis qu’à l’autorité de la Loi’’ et aucune autorité ne peut me donner des instructions dans l’accomplissement de cette mission tant que je vis et suis magistrat », assure-t-il.

Francis Kova Zoumanigui, Président de la chambre de Jugement de la Crief, Africaguinee.com, mai 2022
Francis Kova Zoumanigui, Président de la chambre de Jugement de la Crief, Africaguinee.com, mai 2022

Pour sa mission, il compte la mener et être fier d’avoir posé des actes au bénéfice de la République. « Je tiens à ne pas décevoir ».

Agriculteur, éleveur, planteur, François Kova Zoumanigui aime la nature (forêt), le sport qu’il pratique régulièrement. Père de cinq enfants dont une fille, le magistrat se plait à sortir esquiver quelques pas de danses avec madame. Pour lui, « Peu de mots suffisent pour qui sait comprendre », comme l’enseigne sa citation fétiche.

Le magistrat pense qu’il faut continuer à moraliser la vie publique. C’est quand-même triste selon lui d’apprendre que l’Etat perd beaucoup. « Chacun n’a qu’à revoir sa conduite, sa gestion des biens ‘’propres’’ et surtout publics. Le pays nous est cher. On n’a presque pas des services sociaux de base (…) alors que toute la possibilité est là de nous doter de ces biens. Si on parvenait à bien gérer, soigner la gestion ça serait bon. Les pères de famille doivent enseigner les bonnes pratiques aux enfants pour que la Guinée de demain soit meilleure. Acceptons qu’on applique les textes, qu’on rattrape ce qui est possible suivant les faits, mais pas d’injustice », enseigne le président de la chambre de jugement de la CRIEF.

Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Tel : (00224) 664 72 76 28

Créé le 22 mai 2023 09:35

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