Conflit foncier à Gouécké : plusieurs boutiques pillées, la ville désertée ( nos constats)

NZÉRÉKORÉ – Les violences qui ont éclaté ce mardi 27 mai 2025 dans la commune rurale de Gouécké, préfecture de Nzérékoré, ont causé plusieurs dégâts matériels.  De sources locales, au moins cinq personnes été également blessées. 

Selon nos constats sur place, plusieurs boutiques ont été pillées et au moins cinq personnes ont été blessées au cours de ce mouvement, alimenté par un conflit foncier. Certains citoyens ont également été interpellés à l’issue des échauffourées.

Sur le terrain, la situation est préoccupante : de nombreux habitants ont fui la ville pour se réfugier en brousse, laissant Gouécké totalement déserte. 

Interrogé sur place, Emmanuel Lamah, un jeune de la localité, a vécu le début des violences. Il affirme que certains jeunes, dont la provenance reste à vérifier, ont été au cœur des nombreux dégâts ayant causé d’importantes pertes chez les citoyens.

« Quand les mouvements ont commencé, j’étais inquiet car j’avais mon bar juste au bord de la route. J’ai immédiatement informé la sous-préfète pour que les autorités prennent des dispositions. J’ai vu des jeunes qui n’étaient pas de Gouécké, sans connaître leur provenance. C’est à ce moment-là que j’ai appelé. Au fur et à mesure que la tension montait, certains jeunes de Gouécké se sont également impliqués dans le mouvement », a-t-il expliqué.

Plusieurs boutiques ont été pillées, puis incendiées après avoir été vidées de leur contenu, apprend-on sur place. Des victimes rencontrées par nos reporters expriment leur désolation. Elles réclament justice et interpellent l’État à leur venir en aide.

« Hier, tout le monde a été surpris. Nous étions au marché vers 8 heures quand nous avons vu les femmes du marché courir partout. Nous avons alors fait rentrer les marchandises pour rentrer chez nous. Arrivé à la maison, je n’ai pas trouvé l’une de mes filles. Je suis ressorti, malgré les jets de pierres, pour la chercher. Je l’ai retrouvée en chemin et nous sommes rentrés ensemble. J’en ai profité pour me rendre à mon chantier. C’est là qu’on m’a appelé pour me dire que la situation en ville se dégradait, que la boutique de mon ami avait été cassée et que les assaillants se dirigeaient vers la mienne. J’ai immédiatement pris ma moto pour rejoindre ma boutique située près du commissariat, car j’en ai deux. Là, j’ai trouvé des jeunes armés de haches et de gourdins. J’ai tenté de discuter avec eux pour qu’ils épargnent ma boutique, mais en vain. Ils ont commencé à la détruire devant moi », témoigne Vincent Lamah, une des victimes, qui affirme avoir perdu plus de 80 millions de francs dans ces violences.

Abou Condé, un autre jeune commerçant, a vu ses trois boutiques pillées devant lui. Il affirme avoir subi une perte estimée à plus de 600 millions de francs guinéens.

« C’était hier matin, les jeunes m’ont informé qu’il y avait un problème à Nyonda. Comme j’ai trois boutiques collées, je les ai fermées et suis rentré chez moi. Je suis resté à la maison, puis j’ai reçu plusieurs appels me demandant de revenir à mes boutiques, car des jeunes voulaient s’attaquer à elles. Sur place, j’ai trouvé de nombreux jeunes mobilisés qui lançaient des pierres. Je leur ai dit que s’ils touchaient à mes boutiques, ils détruiraient ma vie devant moi. Ils ont alors commencé à me jeter des pierres. Certains m’ont conseillé de partir, sous peine d’être tué. J’ai donc quitté les lieux, mais mon cœur n’a pas tenu, car tous mes biens étaient dans ces boutiques. Je suis revenu et j’ai découvert que la première boutique avait été entièrement pillée : téléphones de toutes sortes et autres objets emportés. Ils ont continué avec les autres boutiques, qu’ils ont vidées avant d’y mettre le feu », raconte-t-il.

Selon des informations recueillies sur place, un conflit domanial serait à l’origine de ces violences qui ont paralysé cette commune rurale située à une quarantaine de kilomètres de Nzérékoré. Ce différend oppose deux individus revendiquant la propriété d’une portion de terre cultivable. Les tensions ont monté après plusieurs tentatives de négociation infructueuses et une intervention judiciaire.

« À ma connaissance, le domaine en question appartenait à Nyonda, un secteur du district de Tokpata, relevant de la sous-préfecture de Womey. C’est à l’époque de la RCD, une société spécialisée dans la plantation de café, que j’ai appris que ce domaine aurait été transféré à Gouécké par les habitants de Nyonda pour des raisons liées à une pépinière, donc à l’État. Ce qui appartient à la collectivité, si elle n’en fait plus usage, revient à l’État. Pourtant, Saïdou se réclame propriétaire de ce domaine. Au départ, le verdict attribuait le terrain à Philippe Join, mais il a ensuite été dit que le coin avait été donné au père de Saïdou par Dan, donc le domaine appartient à Saïdou. Or, Dan était chef, mais le domaine familial de Dan se situe sur la route de Womey. Nous avons interrogé les descendants de Dan pour savoir s’ils se souvenaient que leur père avait donné ce terrain au père de Saïdou, et l’un d’eux a déclaré que ce domaine ne leur appartenait pas. Voilà pourquoi la situation est confuse », explique Charles Delamou, membre du conseil des sages de Gouécké.

« Depuis 2017, Seydou Sacko et feu l’ex-maire Philippe Join se disputent un domaine qui, selon les habitants, n’appartient à aucun des deux. Pourtant, une décision de justice a été rendue en faveur d’une seule des parties. Ce conflit s’est prolongé pendant plusieurs années. J’ai essayé de le résoudre durant l’année que j’ai passée ici, mais en vain. J’ai fait appel aux confessions religieuses, aux chefs de district, aux notables, et nous sommes même allés à la préfecture. Moi-même, j’ai été emprisonné une nuit à la maison centrale à cause de ce problème foncier. Finalement, j’ai écrit au nouveau préfet pour solliciter son aide. Celui-ci a transmis le dossier à la justice, qui a ordonné la formation d’une commission et interdit à quiconque de se rendre sur le site. Mais certains ont ignoré cette décision et ont tenté de travailler sur les lieux. Le président du tribunal m’a demandé, ainsi qu’aux deux parties, de quitter les lieux. Je ne les ai pas trouvés sur place. Il m’a alors chargé de transmettre à la commission la convocation pour une réunion le lundi suivant. Je ne sais pas s’ils s’y sont rendus. Hier matin, alors que je me préparais à me rendre dans un secteur pour prendre un kit d’enrôlement, le commandant de la gendarmerie m’a appelé. En me rendant à son bureau, il m’a informé que les femmes avaient bloqué la route menant à Nyonda. En sortant pour aller sur place, nous avons croisé deux pickups de la gendarmerie revenant du site litigieux. Je n’étais même pas au courant », raconte Flaurent Loua, président de la délégation spéciale de Gouécké, qui précise que cinq personnes ont été blessées lors des violences.

« Il y a cinq blessés et plusieurs magasins pillés. Si les militaires n’étaient pas intervenus, la situation aurait dégénéré davantage. Leur arrivée a permis de rétablir l’ordre. Devant moi, ils ont interpellé une personne, mais je ne connais pas le nombre total des arrestations », ajoute le président de la délégation spéciale.

Pour clore, les victimes ont vivement interpellé l’État afin que justice soit rendue. Elles demandent également l’aide du gouvernement pour réparer les dégâts matériels.

« Nous implorons le gouvernement de nous venir en aide car la perte est énorme. Je suis gravement blessé, notamment à la tête. Je possède deux boutiques : une pour le stockage, l’autre pour la vente de divers produits. Je demande justice », lance Vincent Lamah.

« J’ai commencé par un télécentre avant de créer ces trois boutiques remplies de téléphones, batteries de véhicules et panneaux solaires. J’emploie trois jeunes diplômés ici. Je souhaite que justice soit faite et que le gouvernement nous aide à compenser nos pertes », déclare Abou Condé, qui a perdu ses trois boutiques.

Depuis la nuit du mardi 27 mai 2025, les forces de défense et de sécurité sont déployées sur place pour maintenir l’ordre. Ce mercredi 28 mai 2025, le mouvement Goukazou, ainsi que certains observateurs et membres de la société civile, se sont rendus sur les lieux pour mener des enquêtes.

A suivre !

SAKOUVOGUI Paul Foromo

Correspondant Régional d’Africaguinee.com

En Guinée Forestière.

Tél. (00224) 628 80 17 43

Créé le 29 mai 2025 07:05

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