Cellou Dalein se confie à Africaguinee.com : « Nous préparons la rue pour dire non à Alpha Condé… »

Cellou Dalein Diallo, leader de l'UFDG

CONAKRY- Quelle est la nouvelle approche de Cellou Dalein Diallo pour barrer la route à Alpha Condé dans son projet de référendum pour la nouvelle Constitution ? Rentré fraîchement d’une tournée qui l’a conduit notamment aux Nations-Unies au Secrétariat d’État américain, le chef de file de l’opposition guinéenne a accepté de nous accorder une interview exclusive. Dans cet entretien, le leader de l’Union des Forces Démocratiques de Guinée revient sur la « moisson » de sa tournée, sa lecture de la situation politique actuelle de son pays, mais aussi des prochaines démarches des opposants au projet de nouvelle Constitution. 

 

AFRICAGUINEE.COM : Vous venez de boucler une tournée au Etats-Unis. Que peut-on retenir comme bilan ? 

CELLOU DALEIN DIALLO :Je suis parti d’ici pour prendre part à une réunion du Bureau Exécutif de l’International Libéral dont je suis un des vice-présidents. Cette réunion qui se tenait à Londres s’est très bien passée. J’ai profité pour rencontrer la communauté guinéenne vivant en Angleterre, notamment à Londres et à Birmingham. J’ai pu m’entretenir avec eux. J’ai senti qu’ils étaient tous mobilisés pour le combat que nous avons décidé de mener contre le troisième mandat. J’en ai profité pour leur faire le compte-rendu des élections locales. J’ai fait état de l’organisation chaotique de cette élection et le fait que ces élections ne soient pas terminées parce qu’au regard des dispositions de la Loi, ces élections comportaient trois niveaux : la commune, le quartier et la région. Lorsque monsieur Alpha Condé s’est rendu compte qu’il perdait au niveau des quartiers, notamment à Conakry, ils ont décidé de suspendre la mise en place des conseils de quartiers et la désignation de leurs chefs. Je dois rappeler que l’UFDG pouvait diriger plus de 2/3 des quartiers de Conakry au regard des résultats obtenus lors des élections locales. Il était prévu de mettre en place ces conseils de quartier 15 jours seulement après l’installation des exécutifs communaux et 60 jours après pour les conseils régionaux. J’ai expliqué tout cela à la communauté guinéenne vivant en Angleterre qui s’était fortement mobilisée pour prendre part au meeting que j’ai animé. 

Après Londres je suis venu aux Etats-Unis où j’ai eu l’honneur d’être reçu par la Secrétaire Générale adjointe des Nations-Unies, l’américaine Rose Marie avec laquelle j’ai eu un entretien très fructueux. Je n’ai pas manqué d’attirer son attention sur les velléités de monsieur Alpha Condé de changer de Constitution aux seuls fins de pouvoir s’octroyer une présidence à vie. J’ai attiré son attention sur les conséquences d’une telle initiative. C'est-à-dire qu’aujourd’hui, face à la mobilisation du peuple de Guinée pour dire NON à ce projet, il y a des risques puisque monsieur Alpha Condé en personne a appelé ses partisans à se préparer pour l’affrontement. J’ai parlé de la naissance du FNDC (Front National pour la Défense de la Constitution, Ndlr) qui regroupe la Société civile, les syndicats, les partis politiques, et beaucoup de leaders d’opinion, qui travaillent, se préparent pour barrer la route à ce projet. Je leur ai dit qu’il n’y a pas beaucoup de moyens puisque la justice est inféodée, il n’y a pas de séparation des pouvoirs. Le seul recours dont dispose l’opposition, c’est la rue. Nous préparons la rue pour dire NON à monsieur Alpha Condé dans sa velléité de commettre ce parjure parce que n’oublions pas qu’il a juré par deux fois sur cette constitution. Cet entretien a été très positif. Madame Rose Marie a été très réceptive de mon discours.

J’ai rencontré également deux sous-secrétaires d’Etat. D’abord monsieur Tibor qui fut ambassadeur et qui est sous-secrétaire d’Etat aux affaires africaines, auquel j’ai pratiquement délivré le même message, les mêmes préoccupations par rapport à ce projet de troisième mandat. J’ai attiré leur attention sur le fait que les élections locales n’étaient pas terminées, le fichier n’était pas assaini, qu’il y a eu un consensus pour faire auditer le fichier, les conclusions ont été dégagées par une commission d’experts indépendants et que des recommandations pertinentes ont été formulées. Malheureusement là aussi le Pouvoir traîne le pas. J’ai attiré leur attention sur le recul de la démocratie, sur le recul des droits humains en Guinée et surtout les risques que comporte ce projet d’Alpha Condé de s’octroyer une présidence à vie. 

Avez-vous senti une réelle volonté de la part de toutes ces personnalités d’interpeler le Pouvoir d’Alpha Condé ? 

J’ai senti qu’ils sont préoccupés. J’ai compris qu’ils partagent les préoccupations de l’opposition, du FNDC, par rapport à cette volonté. Je ne sais pas quelle initiative ils vont prendre. Dans tous les cas, contrairement à ce qui a été dit, ce n’est pas la pathologie du colonisé. Ce sont des partenaires importants de la Guinée. Il faut donc attirer leur attention sur ce qui se passe et sur les risques qui menacent la démocratie en Guinée, mais également qui menacent la stabilité dans la sous-région. C’est ce que j’ai fait en toute responsabilité. Mais je ne suis pas le premier. Vous savez très bien que le Gouvernement a instruit tous les ambassadeurs d’expliquer à ces autorités et à ces institutions la nécessité selon eux d’adopter une nouvelle Constitution. Pourquoi l’ont-ils fait ? C’est la pathologie du colonisé ? NON. Il était important que nous aussi, puissions expliquer les motifs de notre position ferme contre ce projet-là. 

D’aucuns disent d’ailleurs que c’est ce qui aurait fait précipiter votre tournée. Qu’en est-il ? 

Non, ce n’est pas précipité. J’ai estimé qu’il fallait aller expliquer notre position. Puisque déjà, le Gouvernement a pris l’initiative d’expliquer le motif pour lequel c’est nécessaire selon lui de changer de constitution, il fallait que je leur explique que ce n’est pas nécessaire de changer de Constitution si ce n’est que pour octroyer à monsieur Alpha Condé un troisième mandat. Ce sont eux les premiers à mener des démarches vis-à-vis des partenaires techniques et financiers. Ma démarche n’a rien de colonisé. 

En marge de votre tournée aux Etats-Unis vous avez également rencontré Mme Corine Dufka de Human Rights Watch. Quels sont les sujets que vous abordés avec elle ? 

D’abord les droits humains parce que c’est une ONG qui a une grande crédibilité dans le monde. Son organisation n’est pas du tout satisfaite de la manière dont les droits de l’Homme sont traités ici. Elles déplorent non seulement l’impunité qui caractérise aujourd’hui la gestion de l’Etat sur les sujets liés aux droits de l’Homme. Les forces de l’ordre lorsqu’elles commettent des crimes notamment lors des manifestations, elles ne sont jamais interpellées. Jamais une commission d’enquête n’a été mise en place. 

Quel regard portez-vous sur la nouvelle loi portant sur la lutte contre le terrorisme que l’Assemblée Nationale a votée ? 

C’est une Loi qu’on a considérée comme liberticide. Nous sommes tous d’accord qu’il faut lutter contre le terrorisme qui est un fléau dans la sous-région ouest africaine, il ne faut pas que la Guinée reste à l’écart. Mais ils veulent en profiter pour restreindre nos libertés et se donner le droit d’interpeler et de mettre en détention qui ils veulent sans tenir compte des autres Lois qui protégeaient déjà les citoyens guinéens. Nous n’étions pas d’accord, et les Libéraux-Démocrate n’ont pas voté cette Loi. 

De nombreux observateurs estiment aujourd’hui que les activités de l’opposition sont phagocytées par le FNDC qui milite uniquement contre un troisième mandat. Qu’en dites-vous ? 

Ecoutez, il y a des priorités. L’opposition républicaine a par exemple décidé de fixer comme priorité la lutte contre le troisième mandat. Parce que si Monsieur Alpha Condé réussit à s’éterniser au Pouvoir, il n’y aura plus d’élections, il n’y aura plus d’État de droit ni de protection des droits humains. Dès lors qu’il a cette intention et que ça a l’air urgent, on a dit que c’est la première priorité. Ça ne signifie pas qu’on n’a pas de revendications. Nous voulons que les élections locales soient parachevées par la mise en place des conseils de quartier et l’installation des conseils régionaux. Nous voulons que le fichier soit assaini (…). Ce sont des revendications que nous n’oublions pas. Mais compte tenu de l’importance que nous accordions à cette volonté d’Alpha Condé de s’octroyer un troisième mandat, on a décidé d’inscrire cette lutte comme priorité. 

Mais n’oublions pas que nous sommes membres fondateurs du FNDC. Il y a une tendance à opposer le FNDC à l’UFDG ou à l’opposition républicaine. Mais nous sommes fondateurs du FNDC. Donc le combat contre le troisième mandat se mène là-bas, le combat sur les questions relatives aux revendications des élections sera mené. Il est d’ailleurs en train d’être mené. Nous avons écrit au Premier ministre pour attirer son attention sur le fait que les élections locales n’étaient pas achevées. Il nous a répondu en prenant l’engagement de prendre toutes les dispositions pour que ces élections soient achevées. Avant mon départ pour Londres, j’ai encore envoyé une lettre pour rappeler au premier ministre que ça fait trois mois qu’il m’avait promis de prendre des dispositions pour finaliser ces élections locales. Jusqu’à présent, je ne vois encore aucun acte posé dans cette direction. 

Que répondez-vous à ceux qui estiment que l’opposition est toujours en mode réaction ? 

Nous allons saisir la Cour suprême ! Parce que si l’Etat refuse d’appliquer une Loi de la république, même si nous savons que la justice est inféodée dans sa globalité, nous allons d’abord épuiser les recours légaux de manière pacifique avant d’envisager la rue. Même avant de partir, j’ai rencontré la communauté internationale, les partenaires techniques qui siègent au comité de suivi pour attirer leur attention sur cette situation. On ne peut pas dire qu’on applique la Loi que si elle ne dessert pas le RPG (parti au pouvoir, Ndlr). Or, aujourd’hui, c’est le cas. Pourquoi ne pas installer les chefs de districts, de quartiers ? Mettre en place les Conseils régionaux ? C’est simplement parce qu’Alpha Condé contrôle 100% des quartiers. Tous les chefs de quartier ont soit été nommés par Resco, soit par Sorel ou par Mathurin, en fonction de leur zèle dans la fraude en faveur du RPG. Aujourd’hui, au regard des résultats obtenus lors des élections locales, si on installe les quartiers, on sait que l’UFDG risque de prendre les 2/3 du contrôle des quartiers. C’est important. C’est pourquoi il refuse de le faire. Sans compter que si les régions sont installées, je ne pense pas que Alpha Condé a l’assurance d’avoir trois sur les huit régions, sans compter Conakry.

Et aujourd’hui le rapprochement UFR-UFDG dans le cadre du FNDC, c’est évident que sur les huit conseils régionaux, le RPG ne pourrait contrôler au maximum trois. Ils savent tout ça, c’est pour ça qu’ils refusent d’appliquer la Loi. Ce n’est pas acceptable ! Nous allons saisir la Cour Suprême. Si elle statue et qu’elle estime que notre plainte est irrecevable, comme c’est souvent le cas, nous allons utiliser d’autres recours. 

Pensez-vous qu’un grand rassemblement à l’image des forces vives de 2007 est envisageable ? 

En ce qui concerne le FNDC, la quasi-totalité des partis politiques est là. Les forces sociales regroupent un certain nombre d’acteurs de la société civile. Nous n’excluons pas que très rapidement les syndicats nous rejoignent pour mener la lutte contre le troisième mandat. Pour l’achèvement du processus des élections locales, c’est possible qu’on ait pas l’unanimité. Mais lorsque nous défendons la Loi, nous sommes forts parce qu’on défend la Loi. L’UFDG et l’opposition républicaine sont d’accord pour se battre pour le respect de la Loi. Normalement, même la société civile devrait soutenir ce combat pour le respect de la Loi. Parce que nous avons l’ambition de construire un Etat de Droit. Cela suppose le respect de la Loi et l’indépendance des institutions. Ce qui est loin d’être le cas en Guinée avec Alpha Condé. Maintenant pour l’assainissement du fichier, je crois que la quasi-totalité des partis politiques est d’accord sur ça. Là aussi, il y a un rapport d’experts indépendants, qui a formulé des recommandations. On a fait l’audit, des anomalies ont été identifiées, des recommandations ont été formulées pour les corriger. Ça serait très malhonnête de dire que maintenant on n’applique pas ces recommandations parce qu’elles ne servent pas une partie en l’occurrence le Pouvoir. 

Etes-vous de ceux qui pensent que le président de la CENI est en connivence avec le Pouvoir notamment en ce qui concerne le choix de l’opérateur technique ? 

On n’a pas d’éléments indiquant que l’opérateur qui a été choisi pour la solution informatique est proche du Pouvoir. Il s’est trouvé semble-t-il que c’est l’un des meilleurs dossiers qui a été préparé. Est-ce qu’il était en complicité avec la CENI ? Parce que pour fausser dans un appel d’offres, c’est de mettre parfois des informations à la disposition d’un soumissionnaire potentiel que les autres concurrents n’ont pas. On soupçonne qu’il y ait une complicité entre la CENI et cette société là. Pour le moment on n’a pas de preuves, on n’a que des soupçons. Mais nous restons vigilants au niveau de la CENI comme au niveau du comité de suivi. 

Le ministère des Mines vient de lancer un appel d’offres pour les Blocs 1 et 2 de Simandou. Quelle est votre réaction ? 

C’est l’incompétence et l’inexpérience de monsieur Alpha Condé qui nous ont mis dans cette situation. Lorsqu’il est arrivé au Pouvoir, le Simandou était convoité. On aurait pu avoir notre trans guinéen, notre port en eau profonde puisque le fer était à 180 dollars la tonne. Toutes les compagnies voulaient le Simandou, mais Alpha Condé a tergiversé, il a changé le code minier avec effet rétroactif, il a audité les conventions, il a fait mille choses.  Même Rio Tinto qui était prête à investir s’est finalement découragée. Tout ça à cause des tergiversations de monsieur Alpha Condé. Finalement le prix du fer a chuté, le projet n’était plus rentable avec ses composantes. 

Avec 20 milliards de dollars d’investissement, personne ne pouvait s’engager parce que ce n’était plus possible. Aujourd’hui le fer a un peu grimpé même s’il n’a pas atteint le niveau de 2011-2012, mais il y a de plus en plus d’intérêts pour le Simandou. Mais on risque de perdre l’opportunité d’avoir notre trans guinéen et notre port en eau profonde parce qu’avec le niveau actuel du prix du fer, je ne suis pas sûr, qu’on puisse construire les infrastructures nécessaires à son évacuation par le littoral guinéen. 

Sidya Touré lui dénonce une volonté d’Alpha Condé de brader les les ressources minières du pays. Qu’en dites-vous ?

Le fait que Alpha soit pressé dans le cadre de son projet de troisième mandat, il faut qu’il y ait beaucoup de ressources pour justifier son maintien au Pouvoir. Sidya n’a peut-être pas tort. Il veut aujourd’hui trouver les ressources suffisantes pour justifier à posteriori ou à priori son troisième mandat. Pour cela, il peut par exemple renoncer au trans guinéen. Ce qui serait triste pour la Guinée. Je me souviens encore lorsque j’étais au Gouvernement, nous avons eu des négociations avec les ivoiriens qui voulaient qu’on fasse évacuer le minerai du Simandou par la Côte d’Ivoire. Le Général Lansana Conté leur avait dit niet et que le trans guinéen n’est pas une option, c’est une contrainte pour le projet et que le fer de Guinée doit être évacué par le littoral. Est-ce que monsieur Alpha Condé n’est pas en train de renoncer au trans guinéen et au port en eau profonde pour avoir tout de suite beaucoup d’argent pour justifier à priori ou à postériori son troisième mandat ? 

Si au soir de l’élection présidentielle de 2020 vous êtes élu, est-ce que vous allez revenir sur tous ces contrats ? 

Il n’y a pas pour le moment de contrats. Mais nous allons négocier pour l’exploitation de ces minerais au profit de la Guinée. Mais pour Cellou Dalein Diallo, il faudra tirer le maximum d’avantages de ce minerai exceptionnel qui est le plus riche actuellement dans le monde non exploité, pour l’économie guinéenne. Pour moi, le trans guinéen, le port en eau profonde sur le littoral sont des avantages certains pour l’économie guinéenne. 

 

Interview réalisée par Diallo Boubacar 1

Pour Africaguinee.com

Tél. : (00224) 655 311 111

Créé le 30 juillet 2019 08:54

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