A quoi s’expose la Guinée après la révocation « massive » des permis miniers? Dr Zotomou parle…

CONAKRY – Le gouvernement a procédé au retrait de 140 permis miniers et à la suppression de plusieurs concessions attribuées à des sociétés jugées inactives. L’exécutif guinéen justifie cette décision par une volonté de réorganiser le secteur, de renforcer la transparence et de restaurer la souveraineté sur les ressources naturelles. Dans cet entretien accordé à notre rédaction, Dr Édouard Zotomou Kpoghomou, expert en projets miniers et président de l’UDRP, ( Union démocratique pour le Renouveau et le Progrès) analyse cette mesure. Il avertit : la démarche de l’exécutif pourrait être un couteau à double tranchant.
AFRICAGUINEE.COM : On assiste à un retrait massif de permis et de concessions minières à plusieurs entreprises. Quelle lecture faites-vous de cette décision ?
Dr EDOUARD ZOTOMOU KPOGHOMOU : Concernant cette opération de « nettoiement » du cadastre minier guinéen, avec le retrait de centaines de permis de recherche ou d’exploitation, il faut comprendre d’abord que dans le secteur minier, il existe deux types de permis : les permis de recherche et, ensuite, les permis d’exploitation, une fois qu’un gisement est localisé.
Mais avant d’en arriver là, le pays est censé être guidé par un certain nombre de principes, rassemblés dans le Code minier, qui définit les responsabilités de chaque partie. On peut octroyer un permis de recherche à quelqu’un, mais ce n’est pas forcément cette même personne qui aura les moyens nécessaires pour passer à l’exploitation. Ceux qui exploitent doivent aussi répondre à plusieurs critères : avoir la capacité financière, l’expertise technique et, surtout, respecter les obligations légales, notamment les clauses sur la protection de l’environnement et autres engagements contractuels.
Donc, lorsqu’un permis est octroyé, c’est toujours sous conditions. Si celles-ci ne sont pas respectées, alors oui, l’État peut agir, tout comme les entreprises concernées. Mais avant toute mesure radicale, il faut chercher à régler les éventuels litiges en interne, à l’amiable.
Je me souviens avoir déjà alerté sur cette question, notamment en 2014, lors d’un différend avec une grande compagnie minière. Beaucoup pensaient à l’époque qu’il suffisait de « montrer les muscles » et d’agir unilatéralement, au nom de la souveraineté. Mais une fois qu’un contrat est signé, il y a des obligations internationales. On ne peut pas se lever un matin et dire simplement : « On retire tout », sans s’exposer à des conséquences juridiques.
Aujourd’hui, je pense qu’il faut d’abord aplanir les divergences. Sinon, on risque de se retrouver dans des litiges longs et coûteux devant des juridictions internationales. Certaines de ces compagnies ont un chiffre d’affaires 10 à 15 fois supérieur au PIB de la Guinée. Elles peuvent se payer les meilleurs cabinets d’avocats au monde. Et devant ces tribunaux, ce n’est pas notre bonne foi qui comptera, c’est notre capacité juridique et financière.
C’est pourquoi, encore une fois, je plaide pour des rétrocessions négociées. Il faut discuter, parvenir à un accord à l’amiable. Si l’on force les choses, on court à l’échec.
Aujourd’hui, beaucoup de compagnies ont vu leurs permis retirés. Pourtant, cette situation aurait pu être évitée. À l’époque déjà, j’avais proposé un moratoire sur l’attribution de permis de recherche et d’exploitation de la bauxite. C’est dans cette filière qu’il y a eu une véritable prolifération. Or, beaucoup de sociétés venaient uniquement pour exporter la bauxite, sans aucune intention d’investir dans une chaîne de valeur intégrée (bauxite-alumine). Ce n’est pas acceptable.
Une fois qu’elles commencent à gagner de l’argent facilement en exportant la bauxite brute, elles ne sont plus enclines à revoir les clauses contractuelles ou à investir dans la transformation locale. Elles sont déjà dans le confort.
Je pense qu’il est encore temps de faire un pas en arrière, de calmer le jeu. Certaines entreprises ont réagi, affirmant qu’elles n’ont jamais failli à leurs obligations. Cela veut dire qu’elles contestent les motifs du retrait. Et dans ce cas, la voie du dialogue est impérative.
Il faut s’asseoir, discuter, revoir les points de désaccord. Se demander aussi si l’État guinéen n’a pas, lui-même, manqué à certaines obligations. Parce que si c’est le cas, cela compliquera les choses et affaiblira notre position dans d’éventuels contentieux.
Le gouvernement justifie sa décision par la volonté de réorganiser le secteur, renforcer la transparence et restaurer la souveraineté sur les ressources naturelles. Ne pensez-vous pas qu’il y a une volonté de bien faire ?
Oui, d’accord. Mais justement, le cadastre minier aurait dû être bien établi dès le départ. Il faut d’abord organiser ce cadastre, car c’est lui qui centralise les données géologiques, donne une vue d’ensemble sur les ressources disponibles et leur localisation. C’est un outil essentiel pour savoir ce qui existe et ce qu’on peut attribuer.
Or, si l’on attribue des permis sans disposer de données fiables ou à jour, cela signifie qu’on n’a pas pris les précautions nécessaires. C’est là le problème. On aurait dû réorganiser tout cela avant de commencer à distribuer des permis à des compagnies qui viennent investir. Car ces entreprises viennent pour un objectif : rentabiliser leur investissement.
Vous ne pouvez pas, après avoir accordé un permis dans certaines conditions, changer soudainement les règles du jeu, surtout quand il s’agit de plus de 140 compagnies opérant dans une même filière. C’est énorme ! Cela démontre bien que le secteur n’était pas assaini.
Parmi ces compagnies, plusieurs auraient pu construire des raffineries si cela leur avait été exigé dès le départ. On ne peut pas exiger aujourd’hui ce qui n’était pas prévu dans les termes initiaux. Si vous leur avez juste permis d’exporter la bauxite, sans conditions sur la transformation locale, ce n’est pas maintenant qu’il faut leur demander de bâtir des usines alors que ni les moyens, ni les obligations contractuelles ne sont réunis.
Avant d’attribuer un permis, il faut s’assurer que la société a les moyens financiers et l’expérience technique pour mener à bien le projet. Sinon, certaines ne viennent que pour spéculer : obtenir un permis, ajouter de la valeur à leur dossier et revendre leur licence à une entreprise mieux nantie.
Tout cela doit être pris en compte avant toute attribution. On ne peut pas parler d’assainissement maintenant, après avoir donné les permis de manière désordonnée. Ce travail de « toilettage » du cadastre minier aurait dû précéder toute distribution, pas venir après coup.
Certains estiment que ce retrait massif pourrait être une stratégie pour renégocier les contrats ou les remettre aux enchères. Qu’en pensez-vous ?
Mais justement, ce n’est pas une bonne façon de faire. Lorsqu’un État s’engage par contrat, il y a un principe fondamental : la continuité de l’État. Sauf si les accords sont manifestement contraires à l’intérêt national, ils doivent être respectés. Même après un coup d’État, les nouveaux dirigeants affirment souvent qu’ils respecteront les engagements contractuels de l’État.
Si aujourd’hui on retire des permis simplement parce qu’ils n’ont pas été attribués sous l’actuel régime, cela peut donner une impression de manœuvre opportuniste. Certains pourraient penser qu’il s’agit de pousser les compagnies à négocier en coulisse, à faire des compromis douteux.
Je le dis avec gravité : ce genre de stratégie peut se retourner contre nous. C’est un jeu dangereux.
Vous évoquez aussi un impact potentiel sur l’emploi. Quels pourraient être les effets collatéraux de cette décision ?
Il y aura des impacts, c’est évident. Ces sociétés emploient des ouvriers guinéens. Si elles cessent leurs activités, cela n’impactera pas seulement leur chiffre d’affaires, mais aussi le climat socio-économique du pays.
Mettre brusquement des gens au chômage, surtout ceux qui s’étaient installés dans une certaine stabilité de vie, c’est provoquer des tensions. Cela affecte des familles entières, des communautés, et peut engendrer des remous sociaux.
C’est pourquoi il faut faire preuve d’habileté. D’autant plus qu’on a, dès le départ, mal géré le processus. On a attribué des permis à des entreprises qui n’auraient jamais dû en bénéficier.
À votre avis, les autorités actuelles sont-elles réellement en mesure, comme elles le prétendent, de réorganiser le secteur minier, renforcer la transparence et restaurer la souveraineté sur les ressources naturelles du pays ?
Vous savez, la transparence, quand elle est sélective, ce n’est plus de la transparence. Si on veut instaurer la transparence dans le secteur minier, il faut le faire également dans tous les autres domaines. Ce ne peut être à géométrie variable.
Aujourd’hui, on entend des discours forts. Le président de la transition a récemment affirmé que les compagnies minières devraient s’engager à construire des raffineries dans un délai d’un an, voire moins. Eh bien moi, je me suis dit que ce n’était pas réaliste. Ce genre de décision ne se prend pas à la légère.
Ces entreprises ont des conseils d’administration, des équipes techniques, des bureaux d’études, des analystes de risques. Avant qu’une décision stratégique ne soit prise, notamment pour la construction d’une raffinerie, tout un processus d’évaluation est engagé.
Une usine d’alumine, par exemple, peut coûter au minimum trois milliards de dollars, selon la capacité visée. Ce sont des projets de très grande envergure, qui nécessitent des études de faisabilité technique, environnementale, économique et juridique. Tout cela doit être analysé et validé avant même d’envisager la pose de la première pierre.
Si nous voulons que ces compagnies investissent dans la transformation locale, il ne s’agit pas d’une décision unilatérale. Nous pouvons exprimer une requête, mais cette requête sera évaluée sur la base de plusieurs paramètres internes à chaque entreprise.
On ne peut pas décréter, du jour au lendemain, la construction d’installations industrielles aussi complexes. Ce n’est pas une question de volonté politique seule. Il faut de la préparation, du réalisme, et surtout, anticiper. C’est pourquoi je le répète : il aurait fallu poser les bonnes bases en amont.
Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
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