Sur les traces de Bah Sadio : L’auteur de la célèbre chanson « Djéré lêlé »…

CONAKRY-On l’avait annoncé en début de semaine, l’acte 1 est là. 47 ans après le décès de Amadou Sadio Bah, connu sous le nom de « Bah Sadio », auteur de la célébrissime chanson « djéré lêlé », Africaguinee.com revient sur la vie de ce célèbre artiste.

Cette virtuose a été ressuscité récemment par Soul Bang’s, lauréat du prix découverte Rfi 2016, à travers une belle reprise du morceau fétiche Djéré Lélé. Dans l’acte 1 de l’enquête documentaire, nous sommes allés à la rencontre d’Abdoulaye Carter Diallo, ami, tuteur de Bah Sadio. Dans ce témoignage, il lève le voile sur la vie de ce chanteur hors norme. Il nous fait découvrir la guitare, ainsi que certains objets de son ami, jalousement gardés. M. Carter Diallo relate les moments de gloire de Bah Sadio, sa maladie, son décès en France, à l’âge de 36 ans. Il fait des confidences sur la contribution de Bâ Mamadou, Alpha Condé, Siradio Diallo…lors des obsèques de l’auteur de la chanson fétiche Djéré Leelé. Témoignages. 

« Je suis né en 1942 à Thiaguelbori, Lélouma en Guinée, Bah Sadio aussi est de Thiaguelbori mais de Bhoundou Tély. Il est mon aîné de deux ans. On s’est connu en 1958 en Guinée avant que je n’aille à Dakar où il m’a rejoint après 1960 avec son orchestre. Parmi eux, il y avait Diouldé Sentou, Korka Bombili, Abdoulaye Roky. A l’époque, je n’avais que 20 ans pratiquement mais j’étais bien positionné. Mon oncle (tuteur) qui m’hébergeait était le planton de Leopold Senghor. Nous avons ensemble réorganisé le groupe Jeere Leele pour faire des tournées. C’était des années lumières pour nous. Nous avons parcouru tout le pays et une partie de la Mauritanie. Ils ont eu de l’argent vraiment. Déjà, le nom commençait à retentir partout.

Je les ai laissés à Dakar en 1965 pour aller en France. Mais ils étaient à cheval aussi entre la Guinée et le Sénégal. Quand Bah Sadio a eu mon numéro de téléphone en 1970, il m’a appelé pour me dire qu’il était seul maintenant. Bah Diouldé Sentou et Korka sont rentrés en Guinée. Bah Sadjo ne voulait pas reculer du tout, il voulait avancer. Il m’a dit qu’il veut venir à Paris. Je lui ai dit que la condition pour venir en France, il fallait avoir 10.000 FCFA comme argent de poche pour pouvoir entrer. C’est tout ce qu’on te demande à l’aéroport (un moment où les documents des pays colonisés par la France portaient encore les armoiries de l’administration française. C’était le même territoire, le visa n’était pas encore l’ordre du jour, NDLR)

Je lui dis que pour faciliter le voyage, il faut aller en Gambie se faire un passeport anglophone. Du coup, une fois arrivée à l’aéroport où je travaille, il suffirait juste de demander après moi, il me verra. En ce moment, Diallo Aliou était le commandant de CRS de la police de l’air. Ce monsieur était mon point focal. C’est comme ça que Bah Sadio m’a trouvé à Paris.

Abdoulaye Carter Diallo, tenant la guitare de Baldé Sadio

L’Ascension de Bah Sadio en France

A son arrivée, nous avons passé de bons moments, jusqu’en 1976, année de son décès. Je l’ai présenté à tous les cafés et restaurants africains de Paris. Avec sa guitare, il s’est fait une place partout. Sa voix attirait tout le monde, son ascension a frustré les maliens. Il disait que ce n’est pas à Bah Sadio de mobiliser dans les restaurants, mais c’est eux. Ils ont vu sa fulgurante ascension comme une provocation. Finalement, quand Bah Sadio fait ses heures dans les cafés, il gagnait beaucoup d’argent, les gens ont eu le goût musical de Bah Sadio. A la fin, on le cherchait partout où il jouait. Il rentrait toujours les poches pleines. Quand il quitte, les autres (artistes) ne sont plus écoutés. Il a fait de beaux jours, il était vraiment adulé. Une seule soirée pouvait payer sa maison mensuelle. C’est son projet d’album avec l’autoproduction qui a joué sur ses économies.

Maladie et hospitalisation de Bah Sadio à l’hôpital Bichat de Paris

Il était au sommet de son art quand il fut terrassé par la maladie : il avait un problème de foie. Un dimanche soir, Sadio est venu me voir. Il m’a expliqué le mal qu’il a en précisant qu’il revenait de l’hôpital où on lui a signifié qu’il doit verser 80 mille francs anciens (le franc français a remplacé l’ancien franc par après NDLR) pour ses analyses, le scanneur. Je lui ai donné un rendez-vous pour l’argent. Il était revenu avec son dossier médical. Il a pris l’argent pour retourner à l’hôpital. Je lui ai dit qu’après, tout ce qu’on lui dira, de revenir, s’il y a d’autres frais on va gérer ensemble. Il m’a donné son accord, il est parti. Après l’examen à l’hôpital, on lui a dit que sa maladie nécessite une intervention chirurgicale de toute urgence. Ce qui fut fait. Son hospitalisation a duré une dizaine de jours avant son opération.

Décès de Bah Sadio le 25 octobre 1976 à 20 heures

C’est lors de cette opération qu’il a été rappelé à Dieu. C’était le 25 octobre 1976 à 20 heures passées. C’était un lundi. J’ai été invité à me rendre à l’hôpital en urgence, j’étais considéré comme le tuteur de Sadio. J’ai pris mon véhicule pour partir directement aux services des urgences. Arrivé, on me dit que votre parent est dans la salle d’opération, j’avance vers ce service. À la rentrée, je trouve Marie Fayza, qui se faisait appeler Marie Sadio à la fin (compagne de Bah Sadio) en train de pleurer à chaudes larmes. Elle tombe sur moi, une crise s’en est suivie. Entretemps, le médecin sort demander si je suis Abdoulaye Diallo, le frère de Bah Sadio ; je réponds par l’affirmatif. Il dit : « malheureusement, nous n’avons pas pu sauver votre frère Bah Sadio, il est mort ». Je me mets par terre sans pouvoir dire mot. J’avais deux problèmes en face. La femme de Bah Sadio tombée en crise et Bah Sadio décédé. Les médecins sont venus injecter la femme et lui ont mis un peu de sucre dans la bouche. Elle s’est retrouvée. C’est après ça que le médecin me dit : ‘’parlons de la mort de votre frère maintenant. Quelle est votre décision ? Il me demande si nous comptons porter plainte contre l’hôpital’’. Je lui dis : ‘’Monsieur c’est la volonté de Dieu, Bah Sadio était venu se soigner, malheureusement il n’a pas trouvé le remède. Il retourne chez son créateur’’.

Le choc

On me fait entrer dans la pièce où le corps était interné. Cette image me hante encore, le corps était couvert d’un drap. Le médecin retire le drap, même la partie ouverte n’était cousue encore. Le médecin m’a montré tout. À côté du problème de foie, les poumons étaient noircis et tiraient sur la couleur de la cendre. J’ai pris quelques minutes pour observer Sadio sans vie. J’ai demandé à ce qu’on recouvre le corps. Je ressors dehors. Le médecin demande encore si on va porter plainte. Je lui réponds que pour ma part, je ne compte pas porter plainte, néanmoins il y a les responsables de l’association des guinéens en France, je vais les informer. C’était feu Siradiou Diallo, Alpha Condé, ancien président, Doukouré, il y avait un jeune de Lelouma Aliou Diaala. Coté culturel, nous avions Ahmed Tidiane Cissé ancien ministre de la culture d’Alpha Condé et Jean Luc Bangoura. Ils étaient très proches de l’artiste Bah Sadio, ils faisaient beaucoup de tournées ensemble. Après tout, Cissé Ahmed Tidiane et Bangoura sont venus au nom des autres, nous sommes repartis à l’hôpital. Nous avons pris la décision ne pas porter plainte. Nous avons été mandatés pour récupérer le corps pour inhumation. L’hôpital était d’accord aussi mais il a demandé à faire des analyses poussées sur sa maladie, avant de nous rendre le corps.  L’hôpital a pris l’engagement de son coté d’assurer tous les frais des obsèques et décide payer 25 ans pour la location de la tombe. Les documents ont été signés.

Amitiés profondes avec Bah Sadio

Mon amitié avec Sadio résiste aux temps malgré son décès. À chaque fois, je me rappelle de mon nom dans le morceau Jeere Leele avec toute l’affection. ll dit Ngara Baydallaahi, ça me retient encore toute la vie. (Abdoulaye a pour diminutif Ngara en pular. C’est affectif, NDRL). Baydallaahi un mot arabe qui pourrait signifier la lumière de Dieu. Pour reprendre entièrement le passage en pular.  Voici les termes : « Awa Mi ɗo weltanaade jonnooɓe lan bhen. Ko Goonga Ma yo Ngara Baydallaahi’’. Ko Goonga ma nana bee mi haala, NDLR ». Ce qui signifie « je rends grâce à ceux qui sont généreux envers moi. Tu as raison Abdoulaye éclairé de lumière divine. Il faut que j’en parle » cette chanson me marque à jamais.

Contribution de Siradiou Diallo, Alpha Condé, Ba Mamadou et d’autres pour les obsèques de Bah Sadio

La solidarité a été forte suite au décès de feu Sadio Bah en France. Les gens se sont mobilisés fortement pour honorer notre frère. Je me rappelle Siradiou Diallo avait donné 800 mille francs. Ce jour, il n’a pas eu le temps de venir, il avait remis l’enveloppe à quelqu’un pour nous la déposer pour faire face à tous les frais à payer. Il a promis de venir à l’enterrement s’il est libre. Alpha Condé avait donné 100.000, Bâ Mamadou 150.000, Sow Samba, professeur à la deuxième université de Paris avait contribué à hauteur de 400 milles francs. Nous autres avons fait des cotisations. Nous n’avions pas tout dépensé, c’est une infime partie que nous avions dépensé. Le reste de l’argent a permis de payer l’appartement de Marie Fayza pour une année et assurer sa dépense à côté et pour certains entretiens.

Lettre de l’avis de décès et les affaires de Bah Sadio vers la Guinée

Les vêtements de Bah Sadio ont été mis dans une valise pour être envoyés vers la Guinée à sa famille. Quand tout a été réuni, c’est à Ataoulahi Bah (fils de feu Elhadj Abdourahamane Bah et grand frère de Safioulaye Bah, ancien préfet de Labé NDLR) que tout a été envoyé, étant responsable, pour expédier vers la famille. À cette époque, même envoyer une lettre pourrait conduire à l’arrestation de tes parents en Guinée, mais il fallait informer la famille. De toute façon, une lettre était nécessaire. Ataouhali avait pris son courage à deux mains pour écrire une lettre à la famille du défunt avec des caractères arabes où il a expliqué les circonstances du décès. Pour une simple lettre manuscrite, toute une famille pourrait être mise aux arrêts en Guinée avec l’argument que c’est des complotistes. Mais Ataoulahi a bravé ça pour informer la famille, il avait laissé un contact où la famille avait aussi la possibilité de demander d’autres renseignements.

Impossibilité de ramener les restes de la dépouille de Bah Sadio en Guinée

 Après une location de 25 ans de la tombe, il n’y a pas eu de possibilité de reprendre la dépouille. La tombe doit être déterrée à ce jour. Ce que nous pouvons faire, c’est de réunir ses objets, les photos et la guitare pour lui rendre un hommage digne de son rang le 25 Octobre 2023, date anniversaire de son décès. En 2026 il fera 50 ans depuis la mort Bah Sadio. Il a été inhumé le vendredi 29 octobre dans un cimetière à Orly, cimetière de Thais, je crois. J’ai la guitare de Bah Sadio avec moi et des petits objets en guise de souvenir de notre amitié et quelques photos. On m’a suggéré de déposer la guitare au Musée après pour que les visiteurs puissent voir l’instrument que notre artiste a utilisé toute sa vie. C’est toujours émouvant pour moi d’entendre cette musique. Les larmes me coulent naturellement et ça me ramène directement à Bah Sadio. Aujourd’hui on peut retravailler sa musique et la revendre pour aider sa famille.

L’album de Bah Sadio à titre posthume

Il a commencé son projet d’Album qui le tenait à cœur vraiment. Il voulait absolument voir son album sur le marché. Toutes ses économies étaient parties presque pour l’enregistrement de son album. Malheureusement, il est décédé sans voir son rêve se réaliser. Quelques jours après l’inhumation de Sadio, le studio d’enregistrement m’a convoqué. J’ai répondu. Ils m’ont fait savoir que la maquette est prête mais comme l’auteur est décédé, ils vont procéder à la destruction de la matière grise, c’est-à-dire qu’ils vont incinérer l’œuvre. J’ai répliqué en leur disant qu’il n’y a aucune raison à détruire l’album déjà prêt. Ils m’ont réclamé un reliquat de 150 milles francs. J’ai trouvé le montant pour payer afin qu’on ait le disque. J’ai informé Tidiane Cissé et Jean Luc Bangoura afin qu’on sorte l’album. L’album es sorti, la structure USAFI ou Yousafi j’ai oublié la bonne dénomination, c’est cette agence qui avait vendu le disque. Ils ont dit que l’argent c’est pour sa famille, donc que c’est moi. J’ai répondu que je suis son ami, sa famille se trouve en Guinée. Je suis Diallo, lui il est Bah, c’est Dieu qui nous a réuni, rien ne me revient sur ses droits d’auteurs ».

A suivre…

Alpha Ousmane Bah

Pour Africaguinee.com

Tel : (+224) 664 93 45 45

Créé le 24 août 2023 10:57

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