Rapatriement massif annoncé par Trump : L’éclairage d’Elhadj Saliou Sow, consultant en immigration…
NEW-YORK- La réélection de Donald Trump en novembre dernier aux États-Unis, suscite de la crainte chez des milliers de citoyens en situation irrégulière dans le pays de l’Oncle Sam. Au lendemain de sa victoire, le nouveau président a nommé Tom Homan à l’immigration. Ce dernir est l’artisan de la séparation des enfants de leurs parents lors du premier mandat du riche homme d’affaires américain. Ce retour fait peur même aux citoyens en situation régulière.
La prochaine nouvelle administration Trump vise à faire partir pour un départ, 1 million de sans-papiers. Elle compte mobiliser 90 milliards de dollars et mettre même l’armée à contribution pour l’exécution de la mesure. Pour ce faire, Trump évoque la loi ‘’ The Alien Enemies Act’’ adoptée en 1798. Pour mieux comprendre ce pan, Africaguinee.com est allé à la rencontre d’Elhadj Mohamed Saliou Sow, consultant en immigration résident aux Etats-Unis depuis 25 ans.
AFRICAGUINEE.COM : Le retour de Donald Trump à la maison blanche engendre-t-il des risques de déportation massive de migrants en situation irrégulière aux États-Unis ?
ELHADJ MOHAMED SALIOU SOW : Possible déportation ? Oui. Il y a un million de migrants ayant épuisé tout recours pour trouver l’asile aux États-Unis. Donc la plupart de cette catégorie a reçu la notification d’un juge pour quitter le territoire. Cela avant même l’élection de Trump. En fait, quand votre demande d’asile est refusée, le juge vous dit de sortir du territoire américain par vos propres moyens, mais si vous restez ici après cette injonction, vous faites l’objet de rapatriement à tout moment. Donc retenez, il y a un million de ces cas. S’il s’agit de déporter les gens, ils sont les premiers concernés et visés par l’administration Trump au cas où il mettrait sa menace à exécution. Les priorités de ces déportations de Trump et ses alliés c’est dans ce million de cas et non des migrants arrivés sur le territoire alors qu’ils ne sont pas passés devant un juge avec leur demande d’asile. Pour le moment estimons qu’un sans-papier dont le dossier n’est pas examiné par un tribunal pour connaitre son sort a encore du sursis jusqu’à son passage devant un juge qui donnera le dernier mot soit de rester ou partir. C’est après que la phase de déportation ou du rapatriement viendra à l’ordre du jour.
Les demandeurs d’asile dont les dossiers sont au tribunal en attente de traitement sont aussi exclus du rapatriement. Cette catégorie peut aussi rester au pays jusqu’à ce que sa demande soit acceptée ou refusée. A moins qu’il n’y ait un changement radical de dernière minute contre les migrants en situation de demande d’asile. Mais c’est possible que la nouvelle administration procède à un rapatriement immédiat une fois que le juge rejette votre demande notamment en dernier ressort, qu’elle fasse arrêter les gens dès leur sortie du tribunal c’est une possibilité dans la vision de Trump au lieu de dire aux concernés de sortir du pays comme on le fait actuellement.
En dépit de tout, les sans-papiers ont peur. Existe-t-il des signaux réels d’un rapatriement de masse comme cela avait été annoncé dans les « discours de Campagne » ?
Vous n’êtes pas sans savoir, sa première nomination c’est un agent désigné pour la déportation ; il s’appelle Tom Homan. A son premier mandat, ce type était chargé de ce qu’on appelle ici ICE (les agents d’immigration). En attendant de finir les cas susceptibles de déportation, ce n’est pas possible qu’ils laissent d’autres entrer par les frontières terrestres, ils seront formels avec tous les moyens nécessaires au blocage. Ils vont fermer les frontières aux vagues d’arrivée, je pense que cette page sera tournée pour le moment. Ils comptent durcir le ton et les conditions de l’immigration aux États-Unis, une politique que les républicains ont toujours attaqué quand les démocrates accordent certaines faveurs à des migrants.
Des proches de Trump vont jusqu’à menacer de faire partir du territoire des enfants nés de parents sans-papiers même si ceux-ci pourraient revenir quand ils seront majeurs. Mais à ce que je sache, un amendement de la constitution protège de tels enfants. A quelle condition cette disposition est-elle suspensive ?
Oui tout le monde a entendu ces menaces ici, alors que les enfants nés de parents migrants illégaux sont citoyens américains. Tout enfant né sur le territoire américain quelle que soit la situation de ses parents, il devient citoyen américain. Même un enfant né en dehors du territoire américain. Il suffit que le père ou la mère ait la nationalité américaine, l’enfant né ailleurs est aussi américain de par sa mère ou son père. Comme vous le dites cette résolution se trouve au 14eme amendement de la constitution des États-Unis, c’est élémentaire ici, c’est connu de tout le monde. C’est après la guerre civile qu’Abraham Lincoln a fait voter la loi en libérant les esclaves. La loi stipule que ”toute personne née aux États-Unis ou d’un parent ou des parents américains est citoyen américain. Toute personne qui naît sur le territoire américain est citoyen américain”. Pour changer cette loi, il faudra un amendement et pour faire cet amendement il faut que les 3/4 des sénateurs ; les 3/4 de la chambre des représentants votent favorablement ; que ce vote soit suivi d’un référendum de 3/4 également des 50 Etats de l’Amérique.
Ce qui n’est pas facile à faire mais il faut rester prudent parce que les républicains ont la majorité des pouvoirs aux Etats-Unis suite à la présidentielle et au renouvellement des instances institutionnelles. Et la cour suprême leur est favorable parce qu’il y a 9 juges en cas de failles, elle est un recours. Parmi les 9 juges, 6 sont envoyés là-bas par les républicains. Les Républicains sont confortés dans leur pouvoir. Ils ont le Sénat, la Maison Blanche, la chambre des représentants également. Donc, cela fait peur même pour nous qui disposons du droit de citoyenneté américaine ; s’ils décidaient de changer la politique de gouvernance américaine en premier, les dispositions de la question migratoire. Je sais que les gens vont résister, mais les craintes des sans-papiers sont grandes. Même ceux qui en disposent ce n’est pas facile, moi-même citoyen américain depuis 16 ans je suis inquiet.
Si votre demande d’asile est rejetée après tous les recours. Que prévoit la loi pour l’expulsion dans ce cas de figure ?
En cas de rejet de la demande d’asile après que tous les recours soient épuisés, habituellement rien ne se passe dans la précipitation. On adresse un courrier au citoyen dont la demande d’asile a été rejetée pour lui demander humblement de quitter le pays, la plupart du temps, le départ est indiqué dans les 3 mois qui suivent mais ils ne font pas de date butoir pour dire tel jour il faut obligatoirement quitter. En tout cas je n’ai pas vu de date butoir pour le moment. Les trois mois peuvent expirer et que les gens déboutés continuent à rester, mais en ce moment vous n’avez aucune couverture ou moyen de défense. A partir du moment où le juge vous dit de sortir à travers le courrier et la décision, si vous restez après le délai requis ; à tout moment vous pouvez faire l’objet de rapatriement.
Des possibilités de retour sont-elles offertes aux personnes expulsées ? Si oui, ceux qui ont quitté dans le délai requis par le juge ont-ils plus de chance que ceux sortis par la force ?
Des questions pertinentes qui méritent des précisions. En fait, ils n’ont pas les mêmes chances. Par exemple celui qui sort volontairement des USA parce qu’il n’a pas eu de papiers, il lui est interdit de revenir pendant 5 ans seulement, après il peut demander de revenir. Maintenant pour la personne expulsée par les moyens du pays, il lui faudra 10 ans pour pouvoir faire une nouvelle demande de visa pour revenir et il lui faudra une demande spéciale, si vraiment il veut revenir. Il y a des sans-papiers renvoyés mais ils ont toutes les chances de revenir s’ils ont de la famille ici notamment leurs enfants nés ici qui peuvent les ramener après. Si vous laissez des enfants ici et que vous rentrez au pays, dès que vos enfants auront 21 ans, ils auront le droit de demander votre retour.
Mais beaucoup de nos parents commettent souvent l’erreur de rentrer sans prévenir…
La plus grosse erreur de beaucoup de nos parents guinéens ou africains même, ils décident de rentrer souvent en comptant sur les enfants. Mais ils partent sans informer officiellement le juge qu’ils sont partis. En principe si vous décidez de partir, vous voyez le juge pour l’informer. Il y a un papier à faire à cet effet pour marquer les dates comme ça votre cas est connu. Vous savez les Etats-Unis c’est un pays particulier, on ne contrôle pas celui qui sort, c’est ceux qui rentrent qui sont contrôlés. Si vous sortez des USA, c’est votre carte d’embarquement on ne demande pas le passeport ; c’est la compagnie d’Avion qui a besoin de votre passeport à l’enregistrement eux aussi c’est pour savoir réellement est-ce que vous êtes permis d’entrer dans votre pays de destination sinon l’Etat américain, ce n’est pas important pour lui. La douane et la police américaine ne contrôlent pas celui qui sort, c’est l’Europe qui a ce système. Donc étant sans-papier si vous quittez les Etats-Unis sans signaler que vous êtes partis, le système continuera à mentionner que vous êtes Là.
Est-ce que le rejet de la demande d’asile met fin également à l’accès au permis de travail ?
En principe, tant que l’intéressé est sur le territoire américain, son permis de travail de travail est valide à moins qu’il expire et qu’on refuse de le lui renouveler. Sinon le permis de travail est donné même aux nouveaux venus après 150 ou 180 jours soit 5 ou 6 mois de séjour sur le territoire des USA. Ce qui permet à chacun de subsister en attendant de connaître son sort.
A un moment, l’administration américaine avait annoncé son intention de recourir à l’armée pour expulser les sans-papiers en évoquant la loi appelée ‘’ The Alien Enemies Act’’. Que dit exactement cette loi ?
Effectivement cette idée a été évoquée par le camp de TRUMP ; The Alien Enemies Act est une loi adoptée en 1798, c’est parti d’un conflit avec les français. C’est à la suite de ce conflit que cette loi a vu jour. Les républicains veulent réactiver cette loi. S’ils le font, elle leur donne la possibilité de recourir à l’armée pour expulser tout sans-papier vivant sur le territoire américain. Comme c’est un État droit, les juges peuvent ne pas l’appliquer surtout si la loi évoquée stipule que son application est uniquement en période de guerre pourtant les Etats-Unis ne sont pas en guerre. Cette loi était adoptée pour déporter des personnes hostiles à la Nation américaine, mais un sans-papier n’est un homme hostile aux Etats-Unis. Pour le moment nous sommes à la phase menace, c’est par la suite que nous allons comprendre leur engagement réel, si c’est pour la campagne électorale ou si c’est une véritable politique de la gouvernance Trump
En cas de durcissement de la politique migratoire, les nouveaux venus auront-ils un droit de recours en cas de rejet de leurs demandes ?
C’est un principe de base pour les recours mais avec ceux qui arrivent, nous ne savons pas dans quelle administration nous allons basculer. En fait, les juridictions migratoires sont différentes des autres juridictions nationales. L’immigration est sous la branche de l’exécutif, ils peuvent prendre certaines décisions à l’encontre des migrants à tout moment. Si les règles actuelles restent en vigueur, ce sont 3 ou 4 possibilités qui s’offrent au juge autour d’un sans-papier jugé devant lui. La première possibilité est qu’on donne au demandeur le papier qui lui permet de vivre sur le territoire américain, comme il peut partir et revenir, il peut envoyer ses enfants, sa femme et même ses parents ici.
Deuxième possibilité, tu n’arrives pas à convaincre le juge, il rejette ta demande toutefois il te dit, compte tenu de la situation de ton pays, on te donne le permis de travail en permanence, tu restes là mais dès que tu sors, c’est fini, tu ne rentres plus aux USA ou bien on te laisse dans la nature sans permis. Dans ces premiers cas, il y a un droit d’appel, mais il y a autres choses qu’on appelle le B.I.A(bureau of immigration review), c’est la commission d’appel en matière d’immigration. Tout citoyen a le droit de faire son appel à recours à ce niveau. Avant quand tu le fais, ton dossier pourrait faire au moins 7 ans sans que le processus ne se termine. C’est tout comme les autres, en attendant tu as droit aux permis de travail et à vivre librement dans le pays. Maintenant à cause de la vague des arrivés par le Nicaragua, ils veulent tout écourter pour retenir ceux qui sont à retenir et renvoyer les autres ; je pense que maintenant tout le processus est entre 6 mois et 2 ans seulement, dans cette courte période ils vont donner le sort de chacun.
Qu’est ce qui pourrait arriver de façon générale si l’administration Trump mettait ses menaces à exécution ?
La première des choses, elle va effacer toute la politique d’immigration des USA élaborée par les démocrates. La situation pourrait être dramatique. Ces républicains sont dépourvus d’humanisme petit qu’il soit. Vous avez vu au premier mandat de Trump, des familles ont été détruites ici. Des enfants séparés de leurs parents, nous avons vu ça. Ils ont détruit du coup une politique de Barack Obama qui avait fait une ordonnance afin qu’on laisse entrer tout citoyen venu à la frontière avec un enfant et même les loger. Ce message bien passé en Amérique latine, chacun a pris un enfant pour venir aux Etats-Unis. Trump est venu effacer cette décision de Barack Obama. Il a dit que toute personne qui vient avec un enfant est considérée comme un criminel. Finalement au temps de Trump, ils ont décidé de garder les enfants venus avec les parents, ces derniers sont reconduits hors des frontières. Ce sont des milliers d’enfants qui avaient été séparés de leurs parents. Il y a eu des enfants de 3 ans qui ont été séparés de leurs familles. Tout s’est passé sans état d’âme. Finalement des plaintes ont été portées contre ces actes. Un juge a rendu une décision de faire en sorte que les enfants et leurs parents soient réunis à nouveau. A cette époque aussi, l’acteur principal de ce scandale c’est Tom Holman, celui que Trump vient de nommer encore pour déporter les gens. Je pense que depuis son acte à la première mandature de Trump, il y a au moins 300 enfants dont les parents ne sont pas retrouvés jusque-là, nous sommes en 2024. Ces enfants sont encore dans les foyers pour enfants.
Il aurait menacé même de faire partir les enfants américains nés de parents illégaux…
Tom Homan a déclaré cette fois ci, qu’ils ne vont pas séparer les enfants nés aux USA de leurs parents, qu’ils les feront partir ensemble, s’ils sont illégaux. Pour eux, quand les enfants grandiront, ils pourront revenir, ce sont des citoyens américains. Mais juridiquement ce n’est pas possible. Il reste à savoir s’ils vont trouver les moyens d’appliquer cette déclaration, parce que nulle part il n’est possible de déporter un américain. Les juges ne vont pas permettre cela à la Cour Suprême quelles que soient les raisons. De toute façon l’investiture de Trump est attendue avec beaucoup de stress (pour les migrants en situation irrégulière).
Interview réalisé par Alpha Ousmane Bah
Pour Africaguinee.com
Tel : (+224) 664 93 45
Créé le 13 décembre 2024 19:30Nous vous proposons aussi
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