Quel modèle pour les pays africains ?

Ousmane Diallo

Plus de soixante années après les indépendances, diagnostiquer les modes de gouvernance en Afrique, essentiellement hérités de la colonisation et émanant de cultures lointaines, s’impose comme un passage obligé pour non seulement comprendre les défis collectifs auxquels les peuples africains sont confrontés au sein du monde actuel, mais aussi et surtout pour mieux les gouverner et anticiper l’avenir.

En effet, nous savons bien que, dans certains pays africains, notamment en Afrique francophone, les problèmes socio-politiques ne manquent pas. Ils surgissent notamment lorsque des dirigeants au pouvoir choisissent de modifier la constitution de leur pays afin de s’y maintenir. Qu'ils aient tort ou raison de le faire, c'est une réalité qui fait continue de faire couler beaucoup d’encre dans nos contrées et, parfois, fort malheureusement, du sang. 

D’où l'intérêt principal de ce texte qui est, avant tout, un appel lancé à l’intelligentsia africaine pour qu’elle réfléchisse à des structurations politiques qui reflèteraient au mieux nos coutumes et aspirations démocratiques tout en protégeant réellement nos intérêts socio-économiques communs. 

En effet, sans vouloir complètement contredire Barack Obama lorsqu’il avance que « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes », nous estimons plutôt que l’Afrique a surtout besoin de grands leaders grâce auxquels non seulement elle peut construire des instituions fortes, mais aussi et surtout préparer une relève à la hauteur des multiples défis collectifs qui seront les siens. 

Sans de grands leaders, pas d'institutions fortes

Ce sont d’abord les acteurs qui produisent les institutions, ensuite les instituions, si elles sont fortes et donc contraignantes, peuvent influencer les décisions prises par les acteurs. Sans de grands leaders, pas d'institutions fortes. Cette thèse nous servira de toile de fond.

Ainsi, plutôt que de s’attacher vaille que vaille à la limitation du nombre de mandats, ne serait-il pas peut être plus stratégique de tenir compte des spécificités locales, de l’histoire et de l’élan de chaque pays africain ? Et si la vraie question portait précisément sur l’aptitude ou l’inaptitude des dirigeants africains à developper leurs pays respectifs ? 

Ces questions ne nous empêchent pas de partager la pertinente réserve du professeur Mamoudou Gazibo  à ce sujet : « même quand l’homme providentiel est resté incorruptible par miracle, ce qu’il a mis une vie à bâtir peut être vite défait après lui sans une succession institutionnalisée. » Le chaos qui règne en Libye depuis la mort de Mouammar Kadhafi en 2011 est suffisamment instructif.  

Poursuivons en restant honnêtes : le sujet abordé ici est d’une complexité telle que nous pourrions fournir autant d’analyses que de pays africains, car il existe des facteurs endogènes et exogènes qui singularisent chaque pays. Le Sénégal, par exemple, n’est ni la Guinée, ni le Mali, ni l’Ouganda, encore moins l’Algérie ou le Maroc. Conscients de tous ces éléments, nous procéderons avec humilité, précaution et sans aucune prétention. 

Deux exemples édifiants : le Rwanda et le Cameroun

Si au Cameroun, Paul Biya préside la destinée du pays depuis 1982, au Rwanda, Paul Kagamé est au pouvoir depuis plus de deux décennies. Dans les deux cas, nous avons des chefs d’État qui exercent le pouvoir depuis des lustres, en passant, entre autres stratagèmes, par la modification de la constitution en vigueur.

Pourtant, au niveau de l’opinion publique africaine, l’admiration dont jouit Paul Kagame semble fortement contraster avec le sentiment de rejet exprimé par la même opinion envers Paul Biya et son régime. L’un des enseignements à tirer de ce contraste est que, lorsque les peuples africains sont vraiment gouvernés par des leaders bâtisseurs et visionnaires, aux réalisations concrètes qui améliorent leurs conditions de vie au quotidien, le principe de la limitation du nombre de mandats cesse d’être une question de vie ou de mort. 

Stabilité politique et développement économique

En deux décennies, le Rwanda a réussi un développement économique remarquable tout en maintenant sa stabilité politique. Que Paul Kagame soit donc, aujourd’hui, présenté comme un leader exemplaire, devrait nous pousser à revoir un certain nombre d’idées que nous nous faisons de l’exercice du pouvoir en Afrique. 

Pour le président rwandais. nous devons clairement « comprendre que le temps du baby-sitting est révolu et que nous ne grandirons jamais tant que nous estimerons avoir un besoin éternel de baby-sitters européens, américains, asiatiques ou autres.»

Dans le même ordre d'idées, un compatriote guinéen, passionné de politique africaine, vivant et travaillant dans la province de l’Alberta au Canada, nous confiait tout récemment ceci : « franchement, je n’ai aucun problème avec le fait qu’Alassane Dramane Ouattara reste au pouvoir pour trois mandats, voire plus. Son bilan est excellent. Je dirais même que son pays a la chance de l’avoir. » 

Conscient de la grande soif de changement qui anime le peuple de Guinée ainsi que de l’ampleur et l’urgence des multiples défis auxquels son pays est confronté, le Président Alpha Condé, dans sa dernière adresse à la nation, s'engage à bâtir « une nouvelle Guinée unie et solidaire » au sein de laquelle « chacun de nous doit privilégier l’intérêt général … » 

Dans l'entendement du chef de l’État, « gouverner en démocratie et à notre époque de toutes les exigences, c’est de consulter avant de décider, et d’expliquer ce qu’on décide pour l’adhésion de chacun et de tous. » Mais cela ne l'empêche pas de prévenir ses compatriotes que « gouverner autrement, c’est aussi la culture du mérite et de l’excellence et de l’obligation de résultats pour chacun et tous. » 

En Asie, des leaders comme le Singapourien Lee Kwan Yew, ont su développer leurs pays dans un contexte de régime autoritaire. Comme le rappelle l’essayiste Yann Gwet : « au moment de son indépendance, le PIB/habitants de Singapour était de 400 dollars par an. En 2010, il avoisinait 40 000 dollars par an. » 

Le monde a changé et continue de changer. L’Afrique aussi !

En plus des enjeux liés à la stabilité politique des États et les immenses défis de développement économique et social, nous avons également les défis d’ordre culturel, géostratégique et international dont il faudrait tenir compte dans la conception d’un modèle politique pour les pays africains. 2021, ce n’est sûrement pas l’an 2000, encore moins les années 90 ou 60. Bien des paramètres entre ainsi en action.

Mais, comme le note l'économiste Thierry Amougou, le modèle rwandais n'est  pas sans soulever de grandes questions comme celles-ci  : « la légitimité d'un dirigeant africain doit elle être davantage basée sur ces résultats concrets de développement que sur le principe électif ? Si la légitimité démocratique vient à faire défaut, comme cela est majoritairement le cas en Afrique, la légitimité fondée sur les résultats n'est-elle pas plus réaliste pour satisfaire les besoins fondamentaux ?  »

Que dire de plus si ce n'est le fait de rappeler que les principes démocratiques (élections libres et transparentes, respect de l’opposition, État de droit, etc.) sont certes universels, mais il existe néanmoins plusieurs formes de démocratie à travers le monde. La France et les États-Unis, par exemple, ont chacun leur propre forme de démocratie. 

En définitive, contrairement à ce que nous pourrions imaginer, sans minutieusement examiner les positions des uns et des autres, les Africains ne sont donc pas forcément assoiffés d’alternance au pouvoir à tout prix, mais plutôt de bonne gouvernance. C’est une nuance qui vaut son pesant d’or. Il revient donc aux hommes et femmes de chaque pays africain de construire son propre modèle en tenant compte de tout ce qui précède.

PS : Un afroamércain au poste stratégique de secrétaire à la Défense, une mère célibataire d’origine amérindienne comme ministre de l’Intérieur,  un homosexuel pour diriger le ministère des Transports, une personne transgenre à la Santé, une avocate d’origine asiatique au Commerce et une femme noire à la vice présidence. Que pensez-vous de cette composition du cabinet de Joe Biden, le nouveau président des États-Unis d’Amérique ?

Ousmane Diallo, diplômé de l'École d'études politiques de l'université d'Ottawa

Son blog : http://www.iciousmanediallo.com

Créé le 3 février 2021 09:54

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