Ousmane Goual Diallo : « Notre pays est le seul où des acteurs politiques sont contents de compter les victimes et en font des trophées… »
CONAKRY-Après un séjour d’un mois hors du pays, le ministre des Transports rentre en Guinée dans un contexte de deuil national suite à la tragédie survenue le dimanche 1er décembre 2024, au stade de 3 avril. Cet événement tragique qui a fait 56 morts selon un bilan provisoire, suscite une onde de choc. Pour parler de ce sujet, Africaguinee.com a été reçu par le porte-parole du Gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo. Entretien exclusif. (Première partie).
AFRICAGUINEE.COM : Vous rentrez au pays dans un contexte de deuil national suite à cette tragédie qui a eu lieu à Nzérékoré, qui a fait 56 morts, selon un bilan provisoire du gouvernement. Quelle est d’abord votre réaction suite à ce drame ?
OUSMANE GAOUAL DIALLO : D’abord, c’est de m’associer à tous les Guinéens qui ont eu une minute de prière pour les victimes, pour le repos de leur âme, pour la quiétude sociale et rappeler aussi, la responsabilité première est celle de l’État. C’est l’État qui est regardé lorsqu’il y a une tragédie. Ensuite, la deuxième chose, c’est de dire aux hommes politiques, aux acteurs de la société civile, à toutes ces personnes qui s’expriment et qui essayent de dire que les organisateurs seraient les coupables de cet événement-là, de faire attention. De faire attention parce que notre cadre législatif n’est pas conçu comme ça. Rappelez-vous que la plupart de ceux qui parlent aujourd’hui, pour indexer la responsabilité des organisateurs, étaient des organisateurs des événements du 28 septembre.
C’est eux qui appelaient les citoyens au stade, mais ils n’ont pas été incriminés, ni par la justice, ni indexés par la société, parce qu’ils étaient des organisateurs. La justice a cherché les coupables. Vous appelez quotidiennement à des manifestations politiques qui entraînent des morts, mais personne ne vous indexe parce que vous avez appelé à la manifestation. Il faut chercher les coupables, mais il faut faire attention. Ce n’est pas parce que quelqu’un a appelé à l’organisation d’un événement et qu’il y a une tragédie qu’on doit tout de suite indexer l’organisateur. Il y a eu des défaillances, il y a eu un certain nombre de manquements, il y a eu un certain nombre de choses.
Ce stade n’est pas un stade dans les normes, mais ce n’est pas un stade qui a été construit maintenant. Beaucoup de ceux qui parlent étaient en situation de responsabilité au moment où ce stade se construisait. Quand on fait une enceinte comme ça, même limitée à 10 000 personnes avec une seule entrée, c’est un risque. Il y a longtemps que la FIFA a recommandé qu’il y ait plusieurs entrées, plusieurs sorties pour qu’à moins de dix minutes, qu’on soit capable d’évacuer un stade de 80 000 personnes. Donc là, on a vu que même ça, ce sont des dispositions qui n’étaient pas en place. Et puis il y a eu d’autres manquements, d’où la responsabilité de l’État.
L’État va prendre sa responsabilité pleine et entière. Mais ce n’est pas parce qu’il est coupable, mais c’est parce que c’est lui qui incombe en premier lieu la protection de la vie des citoyens. C’est à lui qu’incombe en premier lieu la prévention de ce type de tragédie. Donc quand ça arrive, on ne se dérobe pas. On tire des leçons pour mieux construire l’avenir.
Selon des acteurs de la société civile, notamment des organisations qui défendent les droits de l’homme dans la région de Nzérékoré, il y aurait eu 135 morts. Qu’en dites-vous ?
Alors la première chose qu’il faut faire, c’est de faire attention à ça. Le gouvernement a donné un chiffre provisoire, les premières informations qui sont données, c’est à partir de sources hospitalières et des services de sécurité qui étaient présents. Si quelqu’un estime qu’il y a 130, 140 morts, le plus simple c’est de publier les noms de ceux-là, que l’État ne connaît pas, ou qui n’est pas encore actualisé. C’est très important. Ces organisations ne doivent pas s’habituer à s’amuser avec des chiffres.
Si vous avez la liste de 130 personnes ou de 300 personnes mortes, comme j’ai vu certains le dire, le plus simple élément c’est de publier la liste, parce qu’au moins, librement, là où vous avez fait la tribune pour annoncer ces chiffres, vous pouvez publier la liste des gens, avec leur famille. C’est quand même plus simple, pour ne pas qu’une tragédie soit source de polémiques, mais qu’ils permettent de connaître la vérité. S’il y avait 300 morts, le gouvernement aurait annoncé 300 morts, parce que de toute façon ce sont des victimes, et ce ne sont pas des gens qu’on a assassinés. C’est un accident tragique, mais on aurait annoncé les chiffres.
Donc, ceux qui sont en train d’annoncer des chiffres, le plus simple pour eux, pour prendre en porte-à-faux l’État, et dire que par exemple on cacherait quelque chose, c’est de publier la liste des gens. Les 300 personnes qu’ils disent être mortes là, il faut faire attention. C’est pour ça que notre société doit être une société apaisée, où on va dire les choses de façon objective, pas chercher à jeter l’anathème lorsqu’il y a ce type de tragédie, mais à participer à la construction psychologique de notre société, à la solidarité, à l’effort de compassion et de l’empathie. C’est à cela que nous invitons nos concitoyens.
Ces organisations évoquent aussi des cas de portés disparus. On n’en a pas entendu parler au niveau des autorités.
Mais attendez, encore une fois, être portés disparues ne veut pas dire mort.
Mais les autorités peuvent le signaler.
Mais quand c’est signalé, c’est pris en compte, mais ça ne peut pas être considéré comme un décédé. La question, si vous avez des témoignages, rappelez à ces gens qui vous donnent ces témoignages, que l’État a des structures où ils peuvent aller signaler l’absence d’un des leurs. L’État le prendra en compte et mettra en place des mécanismes pour les retrouver. Aussi, ils peuvent aller à la morgue pour voir parmi les victimes déjà, si celui qu’ils recherchent n’est pas parmi ces gens-là oubien voir, parce que d’autres ont été évacués à Labé, d’autres sont évacués dans d’autres endroits, certains sont à Conakry, est-ce que ceux qui les recherchent ne sont pas parmi les blessés qui sont passés par là. Il faut encore prendre tout ça avec beaucoup de recul. C’est pour ça que je dis, la plupart des responsables politiques et ceux qui se réclament des organisations de droits de l’homme, qui se sont exprimés, se sont laissés submergés par l’émotion.
J’ai entendu tous dire, c’est parce que c’est organisé au nom du président Mamadi Doumbouya, ils sont responsables, le CNRD, les gens qui organisent sont responsables. Si on fait ce raisonnement, alors ça devient inquiétant pour les organisations de la société civile, les organisations politiques qui sont promptes à appeler à des manifestations, souvent qui se soldent par des tragédies ou des accidents. Il ne faut pas faire ça. Même quand on fait des campagnes électorales dans les tournées, il arrive que des gens meurent. Mais ce n’est pas pour autant qu’on va arrêter le leader pour dire que c’est parce que c’est sa campagne que c’est lui le coupable. Il faut faire attention.
Cette mobilisation, il faut reconnaître qu’elle a été faite parce qu’il y avait un tournoi qui a été doté de la refondation, mais aussi placé sous haut le patronage du président Mamadi Doumbouya alors que les mouvements de soutien sont officiellement interdits. Comment pouvez-vous expliquer cela ?
Ce que je dis, ce n’est pas parce que la FIFA organise la Coupe du Monde et qu’à l’occasion des matchs, des tribunes s’effondrent, qu’il y ait des morts, qu’on va arrêter tous les responsables de la FIFA. Il faut faire attention. Oui, c’est un mouvement de soutien qui a été organisé à l’attention du chef de l’État. Oui, nous soutenons ce type de mouvement-là. Il y a une tragédie que nous déplorons, mais il ne faut pas dire parce qu’ils ont organisé un mouvement de soutien qu’ils sont responsables de la mort des gens. C’est un accident malheureux parce que personne n’est allé là-bas pour donner la mort. C’est cela aussi qui est important.
Si on part de ce principe, alors demain, si les partis politiques appellent à des manifestations et qu’il y a des morts, ils doivent répondre pénalement, débattre devant le tribunal parce qu’ils ont appelé à des manifestations. C’est eux qu’on doit… interpeler ou bien on doit aller rechercher les auteurs de ces assassinats ou de la tragédie. Oubien on doit juste dire : tu as appelé la manifestation, s’il y a mort d’hommes, c’est toi le coupable. C’est comme ça qu’on construit notre société ? Ce n’est pas comme ça que notre cadre juridique fonctionne. Ce n’est pas comme ça que notre texte législatif a prévu. Et donc, c’est pour ça qu’on a diligenté des enquêtes pour situer les responsabilités. Les responsabilités peuvent être justes par négligence, par impréparation, par inadvertance. Il faut les situer quand même. Et en ce moment-là, redistribuer les sanctions et puis dans tous les cas, l’Etat prend ses responsabilités. C’est pour ça que nous nous occupons de ce qui est urgent. Prendre en charge les blessés les plus importants. Prendre en charge les familles des victimes pour les accompagner psychologiquement et peut-être financièrement. Pour apaiser notre société. C’est cela notre rôle. Après, derrière, les responsabilités, on va les situer. Et il y aura une communication transparente sur cette question-là parce qu’elle est importante, parce qu’elle touche la paix sociale, parce qu’elle touche notre communauté entièrement.
Parlant de ces enquêtes-là, parce qu’on est déjà une semaine après ce drame. Où est-ce qu’on en est?
Moi, j’ai dit que le porte-parole, l’appareil judiciaire répondra et fera le point là-dessus. Même si je suis au courant, je ne suis pas habilité à donner des informations sur une enquête judiciaire qui est ouverte et sur lesquelles il y a un parquet qui est saisi. Il y a plusieurs paliers entre ce parquet et le ministre porte-parole parce qu’il y a une garde-sort entre nous. Il y a des mécanismes de communication judiciaire et des procédures pour ça.
Ce que je veux préciser, le système judiciaire guinéen ne dit pas que quelqu’un est coupable parce qu’il a appelé à des manifestations, qu’il est coupable quand il y a un accident dans cette manifestation. Ce n’est pas comme ça. Est-ce qu’un seul organisateur des événements du 28 septembre a été inquiété lors du procès ? Non, parce qu’ils ne sont pas coupables. Ce n’est pas parce qu’ils ont dit aux gens venez au stade du 28 septembre pour manifester qu’ils étaient les coupables. Les coupables, on les a recherchés et on leur a distribué des sanctions. C’est ce que je rappelle. Notre système judiciaire prévoit des sanctions et des mécanismes de rechercher les coupables et les auteurs de ça, des négligences ou des manquements pour pouvoir distribuer des sanctions. Mais ce n’est pas lié automatiquement à l’organisateur.
Les autorités de la transition ont quand même interdit les mouvements de soutien. N’est-ce pas important pour elles de faire respecter cette décision ?
Non, mais attendez, et alors ? Ce n’est pas aux partis politiques de dire que c’est interdit, c’est aux autorités. Si les autorités laissent faire, et alors ? Ou bien c’est écrit dans la loi que c’est interdit ? Ce n’est pas la loi qui l’interdit, c’est des mesures administratives. Et par définition, elles peuvent être temporaires.
A ce qu’on sache, pour le moment, il n’y a pas une décision qui a mis fin à ces mesures…
Et alors, est-ce que ça, c’est ce qui fait qu’ils sont coupables, les organisateurs ? S’il y a des manquements, pour dire que vous avez organisé une manifestation illégale, ça c’est autre chose. Ça, ça n’a rien à voir avec la tragédie. Même s’il n’y a pas de tragédie mais s’il y a des manquements, il y a des structures de l’État pour amener les gens sur le bon chemin.
Pendant ce temps, certains acteurs politiques estiment qu’il y a du deux poids deux mesures car il leur est interdit d’organiser des manifestations de ce genre dans le pays. Que répondez-vous ?
Écoutez, tous les samedis que Dieu fait, vous êtes un journaliste, tous les sièges des partis politiques se donnent à cœur joie à des manifestations politiques pour étrier le gouvernement et les actions du gouvernement. Ça, ça se fait chaque semaine. Si on dit que les activités des partis politiques sont interdites, il y a un problème de compréhension. Et aujourd’hui, ceux qui veulent circuler partout pour faire leur congrès, faire ceci ou aller voir là-bas, mais ça ne se fait pas dans des cases, ça se fait aussi sur des espaces. Il faut faire attention à tout ça.
C’est pour ça que je dis, nous avons besoin d’un débat plus serein, plus objectif, plus structuré, pour faire en sorte que notre pays redécouvre des mécanismes de règlement de nos différentes contradictions et de chercher toujours à amplifier des polémiques, souvent sans relief.
Maintenant que nous avons vécu cette malheureuse tragédie. Quelles sont les mesures que les autorités ont prises pour éviter que cela arrive ?
Il y a le conseil interministériel, le premier ministre et son cabinet restreint, avec le comité de crise devraient annoncer un certain nombre de choses. Mais d’ores et déjà, je pense que c’est très bien d’associer les services de sécurité pleinement, dans tout ce que nous faisons.
Faire une déclaration en bonnes et dû formes, solliciter l’intervention des services de sécurité et aussi préparer les services de santé en cas de problème, pour que les victimes puissent être prises en charge. Parce que même la lenteur de la prise en charge des victimes peut augmenter le nombre de charges. Et puis, s’il y avait suffisamment d’agents de police aussi à l’intérieur, peut-être qu’ils auraient pu canaliser la foule avec des matraques.
Mais n’oubliez pas, quand les gens ont envahi le stade avec une bonne volonté d’en découdre, avec le peu d’agents de police qui étaient là-bas, tout ceci a pu entraîner des paniques de part et d’autre et aggraver la situation de ce stade-là. Donc, il faut tirer des leçons positives et faire en sorte qu’un événement comme ça ne se fasse plus dans un stade où il n’y a qu’une seule entrée. Ça veut dire ouvrir des entrées, pour qu’il y ait plusieurs entrées dans le stade, afin qu’au cas échéant, les évacuations puissent être plus rapides.
Cette tragédie intervient en tout cas à quelques jours, disons, de la fin du chronogramme de la transition qui a été fixée entre la CEDEAO et les autorités guinéennes. Est-ce que ça ne fait pas tâche noire, au bilan du CNRD ?
Quand il y a une mort d’homme, c’est toujours une tâche noire, peu importe les raisons de la mort, peu importe les auteurs. Quand il y a des victimes, c’est toujours une tâche noire. C’est pour ça qu’il faut éviter de s’en réjouir. Notre pays est le seul où des acteurs politiques sont contents de compter les victimes et en font des trophées. Quand il y a des victimes, il faut apporter de l’empathie et la solidarité nationale dans ces moments-là. Ce n’est pas le moment de profiter du nombre de victimes, pour faire des slogans, pour faire des campagnes, pour jeter l’anathème sur l’action de l’État.
A suivre !
Interview réalisée par Siddy Koundara Diallo
Pour Africaguinee.com
Créé le 11 décembre 2024 11:00Nous vous proposons aussi
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