Militaires exécutés : Sékou Touré, la CIA…les confidences de Aliou Barry

Aliou Barry directeur du Centre d’Analyse et d’Etudes Stratégiques (CAES)

CONAKRY-Trente-sept ans après sa mort, Ahmed Sékou Touré, premier président de la Guinée indépendante, ne cesse de faire parler de lui. Héros pour certains, bourreau pour d’autres, l’ancien Chef d’Etat guinéen (1958-1984) qui osé dire « NON » à la France ne fait toujours pas l’unanimité. S’il suscite autant de controverses, c’est en grande partie, à cause de son lourd héritage en matière des droits humain. Des milliers de guinéens ont péri sous règne. En marge de la célébration de l'an 63 de la création de l’armée guinéenne, l'association des victimes du Camp Boiro a revisité l’une des pages sombres du règne de Sékou Touré. Les pionniers de l’armée guinéenne, ensevelis dans des fosses communes.

Au lendemain de l'accession de la Guinée à l'indépendance en octobre 1958, Ahmed Sékou Touré avait instruit le 1er novembre de cette même année à Keita Noumandjan, capitaine à l'époque, de créer un corps d'armée nationale.

Comment ce processus avait-il été opéré ? Qu’est-ce qui avait favorisé la « radicalisation » de Sékou Touré ? Pourquoi l’armée avait-elle été politisée ? Aliou Barry, directeur du Centre d’Analyse et d’Etudes Stratégiques (CAES), a levé un coin du voile sur cette page historique de l’armée guinéenne.

« Dès le départ, l'armée guinéenne a été constituée de tous les militaires guinéens qui étaient incorporés dans l'armée française et quelques-uns qui étaient en vacances au pays. D'autres étaient en Indochine, en Algérie comme feus les généraux Lansana Conté, Facinet Touré qui étaient tous revenus.  Sur les archives du ministère français de la défense, au moment du référendum du 28 septembre 58, il y avait à peu près 11 000 militaires français d'origine guinéenne. Sur ces 11 000, 2 500 choisiront de servir la nouvelle armée guinéenne et 5 000 seront libérés de l'armée française. Il y avait deux catégories : ceux qui étaient nouvellement incorporés dans l'armée française et ceux qui étaient pratiquement enfin de carrière. Ce regroupement des miliaires guinéens de l'armée française s'est étalé du 26 au 30 octobre. La France mit à la disposition de la Guinée les anciens camps. Le noyau de l'armée guinéenne est constitué de tous ces militaires qui étaient dans l'armée française », explique le spécialiste en géopolitique

À l'époque, dit-il, il y avait deux bataillons, répartis entre Kindia et Labé, et l'autre entre Kankan et N'zérékoré. La ville de Kankan abritait le camp de rassemblement le plus important avec un effectif estimé à 500 hommes. Ce camp était dirigé par l'adjudant-chef Zoumanigui. Et au temps de la Guinée Française, ce temps portait le nom d'Archimard. La ville de Kindia abritait un bataillon de 400 hommes. Il était commandé par le lieutenant Henry Sylla qui a été d'ailleurs ministre au temps de Sékou Touré.

La France avait tout emporté

La décision courageuse de la Guinée d'accéder à l'indépendance en 1958 était mal digérée par la France. En quittant son ancienne colonie, elle avait tout pris. Ce qu'elle ne pouvait pas emporter avait été détruit ou jeté à la mer. Le Ministre de la défense de l'époque Fodéba Keita témoignera en disant : “Nos frères d'armes qui ont eu le tort d'opter pour leur pays ont été déshabillés jusqu'au leurs dernières chaussettes. Leurs effets brûlés, les magasins de vivres et d'habillements ont été vidés ou cédés gratuitement à la compagnie de Fria ou la société de bauxite de Guinée. A Labé, Dalaba et Kankan les maisons de Cantonnement furent à la dynamite pour éviter que cette armée ne se nourrisse”. C'est dans ce contexte que l'armée guinéenne est née, précise Aliou Barry.

La politisation de la sécurité sous la première République

Pour Sékou Touré, le soldat de la révolution était avant tout un militant politique qui, même en dehors du service, œuvre à la consolidation de la révolution. C'est ainsi que le leader guinéen va s'atteler à placer dans les activités des armées dans le cadre des idéaux de la révolution, selon Aliou Barry qui précise que cette politisation va s'accentuer par deux phénomènes. Premièrement, le coup d'état intervenu au Ghana en 1966, qui a renversé le panafricaniste NKwamé Kourouma et deuxièmement, le coup d'État en 1966 au Mali qui renversa Modibo Keita. C'est ce qui a conduit monsieur Sékou Touré de se méfier.  Pour éviter que cela ne lui arrive, il a opté pour la politisation de l'armée, explique le directeur du Centre d’Analyse et d’Etudes Stratégiques (CAES).

Dans une note de la CIA (une des agences américaines des renseignements), cite Aliou Barry, M. Sékou Touré se disait “inquiet par la loyauté de sa propre armée et craignait que les éléments anti régime puissent tirer parti du climat psychologique créé par le coup d'État malien pour exploiter un mécontentement interne présent et de longue date”. Les services américains vont plus loin en disant que M. Sékou Touré s'était investi d'un effort majeur pour neutraliser toute opposition potentielle au sein des armées. 

« En août-décembre 1968, une manifestation de soutien avait eu lieu dans les armées parce qu'il y avait eu un problème à Labé où trois militaires avaient été arrêtés. Alors qu’ils étaient en train d'être transférés au camp Camayenne appelé camp de la garde républicaine, dans l'avion ils ont réussi à neutraliser le commissaire (Boiro) qui en était le commandant. Le camp Boiro porta le nom de ce commissaire en signe de reconnaissance », révèle le directeur du Centre d’Analyse et d’Etudes Stratégiques (CAES).

La note de la CIA précise également que Sékou Touré, en s'adressant aux troupes, avait annoncé que l'armée souhaiterait d'être une entité séparée et qu'une législation était en cours de préparation pour incorporer formellement l'armée dans l'administration.  Il se rapportait que Sékou Touré se méfiait complètement de l'armée.

« Des officiers furent arrêtés. C'est le cas du capitaine Noumandjan Keita, le colonel Kaman Diaby. Sékou Touré est rentré dans une sorte de complot. Le premier complot où des militaires ont été arrêtés furent appelés complot (Kaman-Fodéba). Il a profité de l'occasion pour anéantir ces officiers », rappelle Aliou Barry.

Dans un de ses tomes (le pouvoir populaire) publié en 1969, Sékou Touré écrit : “devant l'indignité et la haute trahison de certains militaires africains, complices, conscients ou agents criminels du retour en arrière de notre pays, le peuple d'Afrique, les masses travailleuses des villes et de la campagne, les honnêtes fils des pays d'Afrique vont s'organiser pour briser radicalement toute nouvelle tentative de coup d'Etat”. 

Création des comités d'unités militaires

Pour mettre son plan à exécution, explique le directeur du Centre d’Analyse et d’Etudes Stratégiques (CAES), Sékou Touré avait mis au sein de l'armée ”des comités d'unités militaires”. Dans chaque garnison, du dernier soldat au commandant, ils vont se réunir pour créer ces comités à la tête desquels on mettait des caporaux. En plus, il créa la milice populaire à laquelle il donna le plein pouvoir. Kaba 41, rescapé du camp Boiro a décrit dans son livre cette période. « Dans la Guinée de Sékou Touré, l'armée était le pousse douleur du peuple. Elle était vidée de tout son contenu, elle n'existait que de nom depuis l'arrestation de Keita Fodéba en 69. Depuis les évènements du Mali, chaque militaire se demandait pourquoi il portait l'uniforme[…] Désarmé, politisé, en allant pieds nus dans des plantations, mal nourri et mal habillé, le soldat guinéen faisait vraiment pitié”.

Tout comme les autres couches socioprofessionnelles, l'armée guinéenne a également été victime du régime sanglant de monsieur Sékou Touré, selon Aliou Barr.

« Les officiers les plus valeureux de l'armée guinéenne ont été fusillés et remplacés par des chefs discrédités, des coopérants et collaborateurs. D'aucuns furent même membre du fameux comité militaire du parti dont la tache consistait à interroger leurs camarades d'armes. C'est pourquoi il n'y a jamais eu de vérité en Guinée parce qu'au sortir de 1984, Lansana Conté, Diarra Traoré, ont fait partie du comité révolutionnaire qui était chargé d'interroger leurs anciens camarades. C'est pourquoi il était très difficile pour eux de faire la lumière sur ce qui s'est passé », soutient le directeur du CAES.

En tant qu'ancien militaire, ALIOU Barry salue les actions qui ont été posées ces derniers jours par le CNRD qui a réhabilité les officiers militaires guinéens fusillés dans cette période. Parmi les 42 militaires, il y avait entre autres le général Noumandjan Keita, le commandant Kaman Diaby, le colonel Mamadou Diallo etc.

 

Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

Créé le 4 novembre 2021 04:07

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