Fétichisme, spiritualité, Pouvoir : Les confidences du Pr. Dodji Amouzouvi…

CONAKRY-En Afrique le fétichisme reste encore très répandu. Des intellectuels, des dirigeants politiques, hommes d’Etat, hommes de sciences…et de foi monothéiste (islam, christianisme) y font recours. Ils fréquentent en cachette les joueurs de cauris, les marabouts chez les musulmans ou les féticheurs. Le but est de chercher pour certains à changer ou voir le cours de leur destin, d’autres cherchent la protection, la sauvegarde ou la recherche d’un poste. La Guinée n’est pas épargnée par cette pratique.

Récemment, les « prédictions funestes » d’un féticheur appelé Mofâ Sory Dounoh contre le régime du colonel Mamadi Doumbouya, est devenu une affaire d’Etat. Pour avoir prédit la chute de la junte, il a été traqué par les autorités, certains de ses proches arrêtés. Comment appréhender la propension de ce phénomène dans la vie politique ? Africaguinee.com a interrogé le Professeur Dodji AMOUZOUVI, Directeur scientifique du Laboratoire d’Analyse et de Recherche Religions Espaces et Développement LARRED. Dans cet entretien, ce sociologue et enseignant chercheur béninois donne son analyse sur le concept fétichisme et sa vision de ce fait de société.

AFRICAGUINEE.COM : EN Afrique, particulièrement en Guinée, des dirigeants, intellectuels, hommes de sciences, homme de foi…font recours au fétichisme. Comment pouvez-vous expliquer ce phénomène ?

DODJI AMOUZOUVI : Je voudrais déjà récuser le mot féticheur qui ne correspond en rien aux réalités spirituelles négro-africaines. C’est un mot péjoratif, diminutif, insultant que la colonisation a collée à nos réalités et à notre vie spirituelle. La fétichio, un terme portugais désigne une substance péjorative de nos réalités. A la limite païenne, c’est du paganisme pur et dur, du paganisme infériorisant.  Ce qui est fétiche, c’est quelque chose de superficielle, c’est diabolique, satanique et là c’est ceux qui croient aux choses de la nature, (l’arbre, une pierre, la foudre etc.). On a réduit notre spiritualité au fétichisme lorsqu’on est plutôt du côté négatif, on jette un regard sur le féticheur.

Quand nous parlons de spiritualité africaine, négro-africaine, c’est des entités, des réalités beaucoup plus profondes monothéistes qui sont largement en avance sur ce que le judéo chrétien nous propose. Cela dit et ce que je pense en général, des diplômés en particulier, des politiciens, des hommes d’affaires…tous ceux qui sont bardés de diplômes et qui ont recours à la spiritualité, ceux qui le font, c’est eux qui sont en avance sur le monde. C’est eux qui ont compris. C’est eux qui ont l’équilibre qu’il faut pour pouvoir travailler pour le développement de l’Afrique.

Pourquoi et comment ?

Simplement parce que l’homme, l’espèce humaine est double. Il y a une dimension spirituelle immatérielle et une dimension physique en l’Homme. Tout le monde sait qu’aujourd’hui c’est le monde invisible, le monde de la spiritualité qui gouverne le monde visible. Jean Paul Sartre dit que : « dès que je délibère, les jeux sont déjà faits ».  Avant même que nous ne posions un acte, l’idée, la pensée, l’intuition qui sont du domaine de la métaphysique, de l’invisible, du spirituel, ont déjà tranché, guidé et canalisé nos pas.

Donc toute personne, quel que soit son diplôme qui a compris ça et chaque acte qu’il doit poser dans ce monde physique se ressource, se retourne vers l’invisible, il a toutes les chances de réussir, de ne pas se tromper, d’être promue, d’être éclairée et d’être en phase avec les entités spirituelles invisibles, les énergies qui gouvernent ce monde. Il n’est donc pas une question de diplôme, de professeur d’université, de politicien ou de président de la République, c’est ainsi que le monde est fait. Il y a des énergies, des vibrations, des entités, des lois et principes qui gouvernent la nature. Ces lois et principes sont dans la grande dimension que nous appelons spirituelle.

Je fais une distinction entre le spirituel et le religieux parce que le religieux rentre dedans, c’est toute sorte d’arnaque, de déviance et d’instrumentalisation qui arrivent. Ça c’est une institution sociale qui arrive. Mais on ne peut pas parler du religieux sans le spirituel. Je préfère rester au niveau du spirituel pur et dur pour dire que, avant que je n’agisse je réfléchis, et, avant la réflexion, je monte, quelque part. Quelqu’un a dit, « tourner sept fois votre langue avant de parler », c’est une parole biblique si je ne m’abuse. Cette parole biblique, lorsqu’on l’applique à la vie de tous les jours pour ceux qui ne sont pas chrétiens, on retrouve toute la prudence spirituelle, toute la précaution spirituelle qu’un Homme normal, équilibré et bien structuré doit prôner avant d’agir.

Le monde spirituel s’est tourné vers la spiritualité : c’est aller chercher la torche, la lumière, la force, le levier avec lequel on doit pouvoir agir et bien agir. Quand donc on est en parfaite harmonie avec ses entités-là, il n’y a aucune raison qu’on ne vive pas bien sur terre. Voilà pourquoi ceux qui ont compris se retourne vers le monde spirituel pour aller puiser la force, la puissance, la clairvoyance nécessaire pour bien agir ici-bas.

Que voulez-vous dire concrètement quand vous affirmez que c’est le monde invisible qui gouverne le monde physique ?

Je veux dire que la dimension invisible, ce qu’on ne voit pas, le siège des dieux, de la spiritualité est mille fois plus grand que le monde visible, la terre, les quatre points cardinaux que nous voyons. Je veux dire qu’avant que quelque chose ne se produise dans le monde visible que nous voyons dans les quatre points cardinaux, il a été déjà décidé dans le monde invisible. Le monde invisible c’est le monde de la spiritualité. En clair, si on ne pense pas à la chose, on ne la fera pas. L’idée précède toujours l’action. Celui qui dit tourner la langue sept (7) fois avant de parler, mais le parler relève du physique, le tourner relève de la réflexion, on ne voit pas ça. Il y a donc deux mondes : invisible, (de l’âme, de l’esprit, des entités spirituelles) et un monde physique, matériel. Le premier est plus puissant, fort que le second visible. C’est pour cela que le monde invisible gouverne celui visible.

Entretien réalisé par Siddy Koundara Diallo

Pour Africaguinee.com

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