Quand Sékou Touré refusait de manger sans ses chauffeurs: Les confidences d’Elhadj Amadou Diallo…

LABÉ – Dans les annales de l’histoire guinéenne, des figures discrètes ont côtoyé des figures politiques emblématiques. Elhadj Amadou Diallo, 84 ans, en est un exemple vivant. Cet autodidacte de Labé, dernier chauffeur des missions officielles du président Ahmed Sékou Touré dans la région, livre un témoignage inédit, riche en anecdotes et en émotions. De ses débuts derrière le volant en 1959 à ses derniers instants avec le « Guide de la Révolution », Elhadj Amadou Diallo nous plonge dans une époque fascinante, faite de protocoles rigoureux, de rencontres inoubliables et de moments de tension.
Elhadj Amadou Diallo a commencé sa carrière de chauffeur dans la région administrative de Labé en 1961. Son parcours est marqué par une ascension progressive, passant par différents postes avant de se voir confier la responsabilité des véhicules officiels. « J’ai eu l’occasion de garder et de conduire un temps toutes les belles voitures qui arrivaient au nom de l’État, » se souvient-il. C’est en 1983, après le départ à la retraite d’El Hadj Bassirou, le chauffeur titulaire, qu’il est désigné pour conduire la voiture officielle du président Ahmed Sékou Touré lors de ses missions.
Des passagers de prestige et des rencontres inoubliables
La mission d’Elhadj Diallo dépassait le simple fait de conduire. Il a transporté Sékou Touré aux côtés de plusieurs chefs d’État africains et même français. La mémoire fraîche, il énumère quelques-unes de ces dates historiques, conservées précieusement dans ses notes personnelles :
- 18 mars 1983: Le président Sékou Touré et le président Moussa Traoré du Mali.
- 6 mai 1983: Sékou Touré et Seny Kountié du Niger à Labé.
- 13 mai 1983: Sékou Touré et Omar Bongo du Gabon, une date qu’il retient comme la dernière mission officielle et le dernier séjour de Sékou Touré à Labé.
Il se remémore également un événement marquant en 1966, lors de la visite de Kwame Nkrumah du Ghana. Alors qu’El Hadj Bassirou conduisait les présidents, c’est lui qui a eu l’honneur de transporter les deux premières dames, Hadja Andrée Touré et Mme Fathia Nkrumah, de Labé à Dalaba.
“Je suis chauffeur de profession depuis 1959, l’année à laquelle j’ai eu mon permis de conduire. J’ai été engagé comme chauffeur à la région administrative de Labé en 1961. En 1962 j’ai été muté auprès de M. Baldè Aliou Tairé, inspecteur de la JRDA (premier inspecteur de la Jeunesse Révolutionnaire Démocratique Africaine de la Labé NDLR). En 1964, des inspecteurs administratifs et financiers sont installés à Labé. Ils ont demandé aux autorités de faire moi leur chauffeur. Quand ils ont obtenu l’accord, je suis resté avec eux. Quelque temps après, le ministère a été créé. Mes patrons et moi sommes restés sous la tutelle du ministère. C’est ainsi que j’ai conduit tous les ministres affectés à l’époque à Labé. J’ai eu l’occasion de garder et de conduire un temps toutes les belles voitures qui arrivaient au nom de l’Etat. Vers la fin, El Hadj Bassirou, notre doyen, le chauffeur titulaire du président lors des missions officielles a fait valoir ses droits à la retraite. On m’a confié la voiture officielle du président en 1983
Le peu de présidents que je conduis avec le président Sékou Touré, j’ai fait une note que je garde encore soigneusement. Le 18 Mars 1983, j’ai conduit le président Sekou Touré et le Président Moussa Traoré du Mali lors d’une visite officielle. Le 6 Mai 1983, Sékou Touré et Seny Kountié du Niger à Labé ici. Le 13 Mai 1983, Sékou Touré et Oumar Bongo, je pense que c’est la dernière mission officielle du président Sékou Touré et le dernier séjour aussi. En 1966, lors de la visite de Kwamé Krumah du Ghana en Guinée, El Hadj Bassirou était actif, ce jour j’ai conduit les 2 premières dames à Dalaba (Hadja Andrée Touré et Mme Fathia Krumah. Sékou Touré et kwamé Krumah ont continué sur Conakry par la route j’ai ramené les 2 premières dames à Labé pour retourner à Conakry par avion NDLR)”, se souvient-il.
Honneur et angoisse…
La première fois qu’il a été désigné pour conduire le président, Elhadj Diallo a ressenti un mélange puissant d’honneur et d’angoisse. « Imaginez si la voiture tombe en panne en pleine mission, certains diront que c’est toi qui as organisé dans le but de faire un complot, » explique-t-il, soulignant la pression constante. Heureusement, sa diligence et son professionnalisme ont toujours payé. « Jamais pendant ma conduite, un véhicule du président est tombé en panne, même un simple arrêt de moteur, » affirme-t-il avec fierté. Les véhicules présidentiels à Labé étaient la « PARISIENNE » et la « MPALA », une marque américaine.
Il partage des échanges directs avec Sékou Touré, des moments simples mais significatifs. Le 6 mai 1983, alors qu’il conduit les présidents Sékou Touré et Seny Kountié de l’aéroport au stade de Labé, le président Touré lui demande d’arrêter près de l’espace Seny Kountié : « Mon frère, j’avais demandé à ce que des arbres soient plantés ici, est-ce que c’est fait ? » A sa réponse affirmative, Sékou Touré le remercie.
“C’est un moment d’honneur et de gloire d’être désigné chauffeur du président. Quand on m’a dit de le conduire, j’ai été marqué mais d’autre part c’était l’angoisse surtout à cette époque conduire un président constituait un danger. Imaginez si la voiture tombe en panne en pleine mission, certains diront que c’est toi qui as organisé dans le but de faire un complot. J’ai été marqué et honoré mais l’angoisse était là également. Dieu merci, toutes les fois que j’ai pris le volant, tout s’est bien passé, il n’y a pas eu de panne ou autres dysfonctionnements. J’ai conduit correctement, finalement il m’a remercié en guise de reconnaissance, en me serrant la main. Jamais pendant ma conduite, un véhicule du président est tombé en panne, même un simple arrêt de moteur. Il y avait deux véhicules présidentiels à Labé, LA PARISIENNE et la MPALA une marque américaine”.
J’étais honoré
Un autre moment gravé dans sa mémoire est le 13 mai 1983. Après ce qui serait le dernier séjour officiel de Sékou Touré à Labé, le président, fidèle à sa tradition, serra la main de tous avant de monter dans l’avion. Elhadj Diallo se tenait près du véhicule présidentiel. « Il me tend la main. Il me dit merci mon frère. C’était le 13 Mai 1983 ; c’était son tout dernier séjour officiel à Labé avec un chef-d’État avant son décès en Mars 1984. »
« C’était un 6 Mai, le président Sékou Touré a reçu la visite du président Seny Kountiè, à qui un domaine est attribué à l’espace public de l’Aéroport de Labé. Le triangle Seny Kountiè est toujours là, connu de tous les anciens. Ce jour aussi j’ai conduit les deux présidents de l’Aéroport au Stade de Labé. Arrivé à l’espace Seny Kountiè, le président m’a demandé de marquer un arrêt et m’a dit : mon frère, j’avais demandé à ce que des arbres soient plantés ici, est-ce que c’est fait ? J’ai dit oui au président il y a une semaine de cela. Il dit d’accord, merci le cortège officiel a continué au Stade de Labé. La deuxième fois que j’ai communiqué directement avec le président Ahmed Sékou Touré, c’est à la fin de la mission. Comme il est de tradition, il serre la main de tout le monde avant de reprendre l’avion pour Conakry. Là aussi j’étais adossé au véhicule présidentiel, il a salué tout le monde, il revient vers le véhicule, il me tend la main. Il me dit merci mon frère. C’était le 13 Mai 1983 ; c’était son tout dernier séjour officiel à Labé avec un chef-d ’Etat avant son décès en Mars 1984. Ça peut même être son dernier voyage à Labé ici. J’ai été honoré ce jour devant tout le monde”.
Une anecdote révélatrice de la personnalité d’Ahmed Sékou Touré se déroule lors d’un dîner à Dalaba ou Mamou. Alors que des chauffeurs étaient invités à manger mais se voient refuser l’accès par le préfet, Sékou Touré intervient : « Chauffeurs, entrez. Si vous ne mangez pas, je ne mange pas. » Un geste qui a marqué M. Diallo.
Des Frissons hors normes
La vie de chauffeur officiel n’était pas sans risques. Elhadj Diallo raconte une nuit tardive à Labé avec le président Mauritanien Moctar Ould Dadah. Ayant ramené le président à la villa après un bal, il rentre chez lui à pied. Dans l’obscurité, il est soudainement interpellé et braqué par des parachutistes. L’un d’eux, le reconnaissant comme le chauffeur du président, lui permet de continuer, mais l’incident laisse une trace.
“A l’occasion d’une autre visite importante de certains Chef-d’Etat dont Moctar Ould Dadah de la Mauritanie, un bal a été organisé à la permanence de Labé, le président Mauritanien ne voulait pas danser. Il me demande de le ramener à la Villa, je viens, gare la voiture pour rentrer chez moi à pied. Un moment où les parachutistes étaient couchés partout dans les herbes et autour de la Villa, quand j’ai bougé ; à 60 mètres de moi, quelqu’un se lève et me braque son fusil. Il dit halte, je marque un arrêt, quelqu’un d’autre est à 2 mètres de moi, il se lève et me regarde, il dit c’est le chauffeur du président. Ce dernier me dit de continuer. J’ai continué à la maison à pied. Je n’avais pas de motos cette nuit-là et aucune voiture n’était là cette nuit à part cette voiture officielle du président.
Nous avons souvent eu l’occasion de manger avec lui à Dalaba et à Mamou, pas sur la même table mais dans le même cercle. Un jour, lors d’un dîner, les chauffeurs sont entrés dans la salle pour manger. Le préfet qu’on appelle gouverneur à l’époque nous dit allez dehors d’abord. Sékou Touré l’entend. Il dit : « chauffeurs entrez. Si vous ne mangez pas, je ne mange pas. » Ecoutez nous avons rempli la salle, nous avons mangé avec lui pas sur sa table mais dans la salle des officiels quand-même”, se souvient Elhadj Amadou Diallo.
Sékou Touré les apaise, non, ce n’est pas lui qui a fait. Laissez-le tranquille.
Un autre moment de frayeur survient le 13 mai 1983, après la visite officielle avec Omar Bongo. En démarrant brusquement le véhicule pour se rendre à l’aéroport, une épaisse fumée noire s’échappe de l’échappement, directement vers le président Bongo qui tousse violemment. Les gardes du corps, furieux, s’approchent, mais Sékou Touré les apaise : « Non, ce n’est pas lui qui a fait. Laissez-le tranquille. »
“ Je vous disais au début, que le dernier voyage officiel du président Sékou Touré à Labé, c’est le 13 Mai 1983 avec le président Oumar Bongo du Gabon, je précise séjour officiel. Le 12 Mai j’étais à Koundara en mission avec des inspecteurs et le président devait être là le 13 Mai, le gouverneur de Labé a envoyé un autre chauffeur à Koundara pour me relever afin que je rentre d’urgence à Labé pour conduire le président et son hôte Oumar Bongo.
Toujours le 13 Mai 1983, à la fin de la visite officielle, il était question de reprendre les deux présidents à la villa Syli à destination de l’aéroport tout près. Le président Bongo était derrière le véhicule, je ne savais pas, je démarre d’un coup, une épaisse fumée noire se dégage du véhicule, de l’échappement même ; le président Bongo a inhalé une forte quantité de fumée. Il tousse beaucoup suite à ce qui lui est arrivé. Les gardes corps qui ont vu la scène s’énervent et viennent me demander si j’ai vu ce que j’ai fait au président Bongo. Mais le président Sékou Touré dit non ce n’est pas lui qui a fait. Laissez le tranquille”, se rappelle-t-il.
Ce qui frappe chez Elhadj Amadou Diallo, c’est sa capacité à s’exprimer dans un français correct, malgré qu’il n’ai jamais fréquenté l’école. Il explique son parcours d’autodidacte : « Le peu que j’ai appris c’est avec des enseignants hors école par curiosité. » Des lectures assidues, des manuels scolaires comme « Mamadou et Bineta sont devenus grands » aux encyclopédies et romans, ont forgé son savoir. Il allait même trouver des enseignants pour éclaircir des passages complexes.
“J’ai aimé les études sans avoir la chance d’étudier, le peu que j’ai appris c’est avec des enseignants hors école par curiosité, j’ai côtoyé des maîtres du primaire, du collège, du lycée et même de l’Université. Finalement ils m’ont conseillé d’acheter des livres comme « Mamadou et Bineta sont devenus grands » et des encyclopédies. J’ai lu tout ça, même des romans vers la fin, je lis souvent Tierno Monemembo. Je partais vers des enseignants qui édifient sur certains passages”, confie celui qui, discrètement mais sûrement, a tenu le volant des véhicules présidentiels à des moments décisifs.
Alpha Ousmane Bah
Pour Afrciaguinee.com
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